Essayiste célèbre ayant également travaillé dans la publicité, Shigesato Itoi décide de s'ouvrir à de nouveaux horizons. On est alors au cœur des années 80. Sa passion pour les jeux vidéo le pousse à présenter à Nintendo des plans de game design créés par ses soins. Résultat, l'entretien qu'il passe avec un certain Shigeru Miyamoto se déroule mal. Ce dernier fait comprendre à Itoi qu'un travail de simplification est nécessaire pour commencer à envisager la création d'un jeu. Boulot que l'essayiste fournit immédiatement. L'aventure Mother peut alors commencer. Le jeu débarque en juillet 1989 au Japon. Le premier épisode a été conçu par des équipes de Nintendo en collaboration avec des studios qui entretenaient des liens plus qu'étroits avec la société japonaise, à savoir Ape Inc. et Pax Sofnica. Initiateur du projet, scénariste et réalisateur, Shigesato Itoi occupe un rôle central dans l'équipe de développement. Toute la partie sonore est l'oeuvre de l'inévitable Hirokazu Tanaka - dont le travail ne plaît au départ pas beaucoup à Itoi - accompagné de Keichii Suzuki. Et à la production, on retrouve le talentueux et pointilleux Shigeru Miyamoto.

Mother s'ouvre sur un texte expliquant qu'au début du XXème siècle, un couple vivant dans la campagne américaine a disparu après qu'une mystérieuse ombre noire ait recouvert leur village. Si George, le mari, revint deux ans après l'incident, sa femme, Maria, ne réapparaîtra jamais. L'aventure se déroule plus de 80 ans après les faits relatés dans l'introduction. Vous incarnez Ninten, un jeune garçon qui se trouve soudainement confronter à des événements paranormaux. Ce dernier apprend par son papa que son grand-père faisait d'étranges expériences il y a de nombreuses années. C'est le début d'une longue aventure qui va amener notre héros et ses amis à parcourir le monde pour récupérer huit mélodies. Comment ? Pourquoi ? On vous laisse bien évidemment le soin de le découvrir. Sait-on jamais ? Peut-être un jour aurez-vous le bonheur de faire le jeu ?

Avec Mother, Shigesato Itoi et Nintendo mettent d'ores et déjà en place des élément qui feront le succès de la série, et en particulier, du deuxième épisode. Le jeu propose ainsi un monde entièrement connecté. Contrairement à la plupart des RPG de l'époque, il n'y a ici aucune séparation entre les villes, les donjons et les divers endroits que vous visitez au cours de l'aventure. Les combats se déroulent quant à eux via une vue subjective. On ne voit pas les personnages mais uniquement les ennemis. Un peu à la manière d'un Pokemon avec qui Mother partage plus d'un point commun, les affrontements se déroulant de manière aléatoire. Notons d'ailleurs qu'aussi plaisant soit-il, Mother demande parfois des heures de grind pour pouvoir progresser dans l'aventure. Shigesato itoi reconnaît d'ailleurs avoir commis des erreurs basiques de game design en négligeant notamment la difficulté du jeu. Enfin, la sauvegarde se fait en passant un coup de téléphone au père de Ninten. Original.

Malgré quelques problèmes évoqués ci-dessus, jouer à Mother s'avère être un vrai plaisir. La patte Shigesato Itoi est déjà bien présente. Chaque dialogue est ainsi très soigné. Les PNJ ne partagent que rarement les mêmes phrases, ce qui confère au jeu un véritable cachet. Dans son ensemble, le scénario est très bien écrit et on y trouve déjà les thèmes chers à l'essayiste japonais (absence du père, omniprésence de la famille, science-fiction, critique de la société moderne...). La qualité de la bande-son – un aspect que Shigesato ne néglige jamais même s'il ne compose pas lui-même – est remarquable. Elle accompagne parfaitement les événements vécus par le joueur. Bref, à travers ce coup d'essai, on comprend mieux pourquoi, cinq ans plus tard, EarthBound sera un véritable carton.

Mais si Mother a rencontré un franc succès au Japon, il ne franchira jamais officiellement les frontières du territoire nippon. Probablement à cause de son arrivée tardive dans le cycle de vie de la NES. Pourtant, le jeu avait été entièrement traduit en anglais et était a priori prêt à sortir. Des années plus tard, une version dans la langue de Shakespeare - nommée EarthBound Zero - a d'ailleurs été diffusée de manière illégale sur Internet.