Evoquée bien plus haut dans ce même dossier, ainsi que dans celui sur les métiers du jeu vidéo, la grande institution précurseuse de Vancouver est fondamentale. Et même si son programme nous éloigne quelque peu de la conception pure et dure pour revenir sur des enseignements plus techniques, la très intéressante évolution de sa structure retrace à elle toute seule le cheminement de la création des écoles qui nous intéressent. En 1988, Claude Comair, un scientifique universitaire aussi dilettant que sagace, fonde une petite entreprise de dix personnes appelée DigiPen à Vancouver. La boîte est alors un des premiers prestataires dans la simulation informatique et l'animation par ordinateur. Elle réalise pour le compte de compagnies plus importantes des programmes et des manifestations multimédias. Mais la demande devance largement les estimations, comme l'indique Jason Chu, l'actuel Chief Financial Officer : nous avons reçu la visite d'une entreprise qui désirait produire sur ordinateur un véritable show numérique. Nous aurions aimé nous charger de ce projet, mais pour le réaliser en 8 mois, il aurait fallu être 40, et non 10.
Début 1990, la décision est prise de commencer à dispenser quelques enseignements, avec l'aide de l'université de Vancouver, sur l'animation 3D. Le succès est immédiat, Comair et ses comparses commencent à déceler une piste sérieuse et approche Nintendo Of America (NOA), en place à Redmond, dans l'état de Washington, dans l'idée de créer une seconde formation cette fois-ci vouée à la programmation pour le jeu vidéo. NOA, qui souffre d'un manque de personnel qualifié dans ce domaine et qui voit l'intérêt d'un vivier qui lui serait plus ou moins consacré, est favorable. Il faudra cependant attendre 1994 avant que la première promotion détentrice du diplôme The Art and Science of 2D and 3D Video Game Programming naisse de cette collaboration, toujours sur le campus canadien. L'année qui suit, en 1995, cette formation en deux ans sera accompagnée par un cursus similaire affecté à l'animation 3D, sorte d'officialisation des premiers cours cités plus haut. Arrivent alors les 32 bits, les Pentium, des jeux maniant techniques et concepts complexes, et le grand projet de DigiPen : le fameux cursus en Real Time Interactive Simulation (RTIS)
Pour l'obtention de ce diplôme complètement moderne et dont la nécessité pour tout un chacun qui désire trouver sa place dans le jeu vidéo dans l'avenir doit être évidente, les dirigeants de DigiPen conçoivent un vaste programme de quatre années. Ils le soumettent au gouvernement pour obtenir les fonds et commencent à démarcher les principaux studios de l'époque pour obtenir leur soutien. La machine se met véritablement en marche en 1996 quand le gouvernement accepte la création de ce qui reste véritablement comme la toute première formation universitaire, voire scolaire, consacré au jeu vidéo, sans équivoque possible. En 1998, après deux années de mise en place, celle qui est devenue la DigiPen Institute Of Technology peut ouvrir ses portes à Redmond, dans le même immeuble que celui de Nintendo Of America. Ce pôle devient premier et remplace définitivement les anciennes structures de Vancouver en 1999. Avant de gagner l'un des deux diplômes autour du RTIS : l'Associate of Science in Real-Time Interactive Simulation (sur deux ans) et le Bachelor of Science in Real-Time Interactive Simulation (sur 4 ans), les étudiants éprouvent en avant-première des programmes construits autour des cycles de production d'un jeu avec plusieurs projets à réaliser. Ils sont accompagnés dans ces démarches par des enseignants qui joue le jeu du marché, comme Jen Sward, un des responsables des cours en game design : "j'agis comme un producer. Je rencontre chaque équipe, et me tient au courant de l'évolution de leur projet, en les guidant un petit peu. Mais je veux leur faire sentir le poids d'une production dans une industrie." Une intention alors visionnaire, soutenue par un panel d'enseignements qui reste encore à ce jour exceptionnellement riche : simulations physiques et mathématiques, écriture interactive, obligation d'intégrer une composante réseau dans au moins un projet, IA, ergonomie et interface... Le niveau est très exigent. A tel point que sur les 20 élèves d'une promotion, il arrive souvent que moins de la moitié d'entre eux arrachent leur diplôme !
Plusieurs autres formations verront le jour entre 1999 et 2004, comme le Associate of Applied Arts in 3D Computer Animation ou le Bachelor of Science in Computer Engineering, mais c'est bien la section RTIS qui est depuis maintenant 8 ans la plus cotée auprès des plus grands studios d'outre-Atlantique. Estimez par vous-même : Activision, Atari, Crystal Dynamics, Electronic Arts, Microsoft, Monolith, Sierra, Valve, Sony et bien sûr Nintendo assurent chaque année des places de choix à ces Bachelors ! Avec plus de 12 heures de travail quotidien, en cours puis à la maison, sur leurs projets, les étudiants ne doivent cette réputation à personne si ce n'est à une préparation que l'on retrouve désormais dans toutes les écoles en place, et synthétisée par cette conclusion de Melvin Gonsalvez, superviseur des projets de DigiPen :Le temps qu'un étudiant de DigiPen mettra à s'intégrer dans une compagnie est considérablement plus court que de nouveaux employés venus d'autres université. Quand ils vont au travail, c'est comme si ils allaient à l'école.
Site officiel de Digipen