Longtemps chimère des salles obscures, le projet d’adaptation en film de l’univers de Warcraft aura mis au final dix ans avant de débarquer sur les écrans. Si d’un côté les fans de la licence imaginaient déjà Blizzard faire parler son art de la cinématique dans un film d’animation visuellement éblouissant, c’est un long-métrage plus traditionnel avec de vrais acteurs et une bonne surcouche d’effets spéciaux qui a finalement vu le jour. Réalisé par Duncan Jones à qui l’on doit les très réussis Moon et Source Code, Warcraft : le Commencement à la lourde tâche de retranscrire l’histoire derrière le conflit Orcs/Humains à la base de la licence culte Warcraft. D’abord RTS puis MMORPG aux millions d’abonnés, la saga fait vibrer les fans depuis 1994. Warcraft peut-il se targuer d’être la première adaptation de jeux vidéo réussie de l’histoire d’Hollywood ? Entre l’envie de faire plaisir aux inconditionnels et la nécessité de parler au plus grand nombre, comment trouver le bon compromis ?
C’est dans une salle du Grand Rex bondée de fans de la première heure et de passionnés cosplayés en personnages emblématiques du jeu que nous avons assistés à l’avant-première du film Warcraft. Au milieu de cette ferveur entretenue depuis bien des années, se trouvaient aussi des spectateurs pour qui la licence signifie beaucoup moins. Le film a donc la double tâche de se montrer suffisamment explicatif pour arriver à capter ce nouveau public, tout en restant fermement ancré dans le background de la série pour ravir le cœur des fans de la première heure.
Dès les premières minutes du film, on sent que le projet n’a pas été confié au premier réalisateur venu en mal de cachet mirobolant. Duncan Jones maîtrise son sujet et semble avoir une jolie connaissance de l’univers Warcraft. Preuve en est avec les multiples références aux gimmicks de la saga vivement applaudies dans la salle. L’étalage des références est, bien entendu, constant avec de nombreux points de vue sur les lieux emblématiques du MMO (Forgefer, Hurlevent, la forêt d’Elwynn, la Porte des ténèbres, etc). On y retrouve aussi des Nains, une poignée de Hauts Elfes pas forcément réussis qui ne servent pas véritablement un scénario ayant choisi de se concentrer de manière quasi-exclusive sur la naissance du conflit Orcs Humains.
Tout commence lorsque les Orcs menés par le puissant démoniste Gul’Dan fuient leur Outreterre ravagée par la corruption à travers la Porte des ténèbres, un portail alimenté à la sombre magie démoniaque (le Fel). Ils débarquent en Azeroth non loin des terres humaines et se mettent alors à saccager villes et villages afin de capturer leurs habitants pour que Gul’Dan puisse moissonner leurs âmes dans l’idée d’ouvrir à nouveau la porte des ténèbre et ainsi finaliser l’invasion de la Horde. Bien entendu, les Humains ne comptent pas se laisser faire et ne tardent pas à lancer plusieurs offensives contre les Orcs. On notera que la trame du film diffère quelque peu du scénario canon de l’univers de Warcraft afin de s’adapter aux exigences de son nouveau support. Dans l’idée, cette relecture redéfinit certains rôles (Garona, Khadgar) sans pour autant ruiner la crédibilité du scénario.
L’acteur Travis Fimmel (Ragnar Lothbrok dans la série Vikings) incarne le personnage d’Anduin Lothar, champion du Royaume d’Azeroth et bras droit du Roi Llane Wrynn. Il est accompagné d’une troupe assez hétéroclite composée de Garona, une semi-orque capturée par les humains à l’allégeance très volatile pour son peuple et du jeune mage Khadgar encore étudiant auprès du Kirin Tor. Le film nous raconte ainsi la naissance d’un conflit qui perdure encore aujourd’hui dans l’univers du jeu. Et on peut dire qu’il pose de solides bases avec une première partie relativement réussie où le réalisateur parvient à nous faire comprendre les points de vue des deux races et leur divergence de culture. En suivant le célèbre Durotan et sa femme enceinte Draka (dont la progéniture n’est autre que Thrall pour les connaisseurs), Warcraft le film parvient à se construire une trame narrative apte à capter l’attention des deux catégories de spectateur, les connaisseurs ou non. Mais cet effort de départ s'essouffle malheureusement trop rapidement pour nous offrir par la suite un “simple” spectacle de batailles et d’enchaînement de scènes où l’histoire n’a pas le temps de prendre corps.
Pourtant, l’univers de Warcraft est ici reproduit de manière très fidèle avec un souci du détail de tous les instants. Oui, le film est bourré de fan service et de références que seuls les connaisseurs capteront. De la salle du trône d’Hurlevent, aux armures rutilantes des Humains, en passant par l’immense bibliothèque poussiéreuse de la tour de Karazhan, Warcraft offre un défilé de lieux et de personnages emblématiques de la licence. Le film paye toutefois cet étalage de panoramas et d’effets spéciaux en tous genre par une certaine inconstance visuelle entre les deux camps. Parmi les réussites de l’adaptation, les phases mettant en scène les Orcs occupent le haut du panier avec plus de vingt mois de post-production pour le Studio ILM (Industrial Light & Magic) qui a dû retranscrire numériquement les expressions des acteurs sur leur différent modèles. Gul’Dan est le symbole de cette réussite, il est joué par Daniel Wu convaincant et modélisé dans toute sa folie et sa corruption. On ressent la puissance et toute la rage de la Horde dans les scènes de bataille avec des Orcs tout en muscle capable d’écraser les Humains de leurs simples mains. Mention spéciale à la Porte des Ténèbres à l’aspect démoniaque imposant qui ne trahit en rien son rendu dans les jeux Warcraft.
Cependant, une bonne partie du budget semble être passé dans l’animation des Orcs au point de rendre trop artificielle toute la partie humaine. Si vous n’aurez aucun mal à reconnaître les armes et armures dorées des guerriers d’Hurlevent, il faut bien avouer que la parti-pris de vouloir conserver la direction artistique lisse et cartoon du jeu confère un rendu beaucoup trop propre pour être crédible ici. Tout est trop clinquant, trop neuf, on ne ressent pas suffisamment le poids des années et des batailles chez les humains. Le jeu d’acteur de la plupart d’entre eux n’aident pas vraiment à améliorer les choses avec un Travis Fimmel qui semble jouer ici un Anduin Lothbrok perdu en Azeroth, un Ben Foster peu convaincant en sorcier Medivh heureusement rattrapé par la prestation de Ben Schnetzer en Khadgar un peu gauche dont on sent bien tout le futur potentiel. Du côté de la magie, les effets visuels font mouche avec des incantations dévastatrices et d’autres beaucoup plus drôles (vous comprendrez après avoir vu le film).
Trailer n°1 de Warcraft Le Commencement
De façon plus générale, le film ne parvient pas à nous faire totalement entrer dans son univers vivant. Les villes et lieux emblématiques sont survolés et rien ne prend vraiment le temps de s’installer dans l’esprit du public. J’aurai aimé voir vivre la majestueuse cité de Dalaran, passer un peu de temps dans les quartiers d’Hurlevent, me plonger au cœur de petits villages d’Elwynn, cela n’a pas été le cas, dommage !
Bref, ce film Warcraft sans être une mauvaise adaptation de la licence (loin de là) se montre toutefois trop superficiel sur bien des aspects. Les fans inconditionnels y trouveront de quoi alimenter leur amour de la saga grâce aux multiples références à l’écran tandis que les néophytes n’y verront probablement qu’un simple film de bataille moins réussi qu’un Seigneur des Anneaux. L’aspect technique sauve le tout avec un déchaînement d’effets visuels réussis chez les Orcs qui contrebalance la déception visuelle côté Humains. Blizzard aurait donc peut-être dû concentrer ses efforts sur un pur film d’animation de son propre cru !