On pourrait parler encore longtemps des jeux qu'a développé Bungie après le succès de Marathon, à commencer par Myth et Oni. Deux titres, deux séries qui échappent un peu au schéma que l'on peut appliquer à la trinité Marathon – Halo – Destiny. On pourrait également parler de la tentative PC de Marathon 2, qui débarque sur PC un peu tard, sur un support qui dispose déjà de nombreux FPS qui accaparent complètement l'attention des joueurs. Mais toutes ces créations ne sont rien par rapport à celle qui va suivre. En posant les bases de ce qui aurait pu être un mélange entre Myth et Marathon, Jason Jones va complètement révolutionner l'histoire du FPS sur console. Mais il ne le sait pas encore.

Au moment de commencer à travailler sur ce nouveau jeu, Jones est subitement pris d'une crise d'angoisse.

Après Marathon, j'ai pensé « Mon dieu, nous allons faire un autre jeu. Les gens vont le vouloir. Il y a toute cette entreprise, des gens qui viennent y travailler, ils ont des épouses et des enfants, et ils dépendent de ça. Nous payons pour leur assurance. » Jason Jones

Il faut dire que si les derniers jeux du studio furent tous de vrais succès critique, développer sur Mac le précarise. Les revenus sont faibles. Quelques jours avant la sortie de Marathon, Jones et quelques employés étaient encore en train d'assembler à la main les boîtiers du jeu. Mais les choses vont changer, et l'argent ne sera bientôt plus un vrai problème.

C'est une histoire connue désormais, aux origines Halo n'était pas un FPS. C'était un RTS, un « Myth dans un univers SF », comme le diront plusieurs employés de Bungie. C'est d'ailleurs cette version de Halo que voit la presse, lors d'une présentation privée, à l'E3 1999. Le jeu fait sensation, notamment grâce au thème musical qui ouvre le show. La musique de Halo est entre les mains d'un homme, Martin O'Donnell. Et s'il a aujourd'hui excellente réputation, il faut savoir que le thème mythique de la série a été composé à la va-vite, sur un éclair de génie, peu de temps avant la fameuse présentation. Rock'n'roll, donc. Musicien de talent, diplômé de l'Université de Californie du Sud, O'Donnell était supposé enseigner son art à l'American Conservatory of Music de Chicago, où il a déménagé au début des années 90. Il préfére monter sa propre boite de production, TotalAudio, et s'intéresse pour la première fois aux jeux vidéo lorsque le fils d'un ami lui fait découvrir Myst. Réalisant que l'industrie manque énormément de maturité en termes de composition musicale, il entre en contact avec les développeurs du jeu et travaille finalement sur la musique de Myst 2 Riven. C'est ainsi qu'il fait ses premiers pas dans le milieu du jeu vidéo. Il est finalement recruté par Bungie quelques jours avant le rachat par Microsoft : les deux partis étaient en contact depuis que TotalAudio avait composé la musique de Myth : The Fallen Lords.

À l'E3 2000, Halo revient et le jeu a profondément changé : le jeu s'est transformé en un impressionnant TPS, dans lequel le joueur, incarnant un soldat portant une armure verte, débarque sur un monde-anneau et peut entrer et sortir des infrastructures s'y trouvant sans aucun temps de chargement. Aucune coupure, aucun loading screen, rien. La présentation, qui va soulever de nombreux applaudissements, met déjà en scène ceux que l'on appellera plus tard "Covenants", les Banshee et le fameux 4x4 Warthog. Mais les choses vont nettement évoluer, et ce assez rapidement : Steve Jobs a beau annoncer pendant la conférence que le jeu sortira conjointement sur Mac et PC, Microsoft officialise le 19 juin 2000 le rachat du jeune studio, faisant ainsi de Halo une exclusivité pour la console de salon que le géant est en train de concevoir. Déménageant à Redmond, Jones et ses troupes vont revoir Halo en profondeur et transformer le titre en FPS, un genre sur lequel ils sont plus à l'aise.

La suite de l'histoire, on la connaît : à sa sortie en novembre 2001, Halo: Combat Evolved deviendra un véritable hit et prendra la relève des quelques FPS console qui avaient le respect des joueurs, au point même de devenir la référence du genre. Goldeneye 007, Perfect Dark et Timesplitters, tous excellents, sont ringardisés. Halo s'élève et rejoint les Quake, Unreal et autres Half-Life au firmament des shooters. Avec son FPS, Bungie offre aux joueurs console un titre doté certes d'un excellent gameplay mais surtout porté par une histoire épique et des personnages marquants, à commencer par Cortana, l'IA alliée au Master Chief, le héros de Halo. Comme dans Marathon, puis dans Destiny, les IA jouent un rôle important dans Halo, probablement parce que Jones est toujours aussi passionné par le sujet.

Il est d'ailleurs important de noter qu'à sa sortie, Halo: Combat Evolved a impressionné la presse et les joueurs justement grâce à son IA, avec des ennemis particulièrement réactifs et faisant souvent preuve de comportements tout à fait crédibles. À commencer par la peur, lorsque l'on parvient à éliminer le leader d'un groupe de Covenants.

Cortana et John-117, duo emblématique de la série Halo

L'un des plus grands succès des années 2000

En sortant Halo 2, en 2004, Bungie va également permettre aux joueurs console de goûter aux joies du jeu en ligne. Si Halo 2 ne l'a pas inventé, il est en revanche le premier FPS à bénéficier d'un vrai système de jeu online console, le Xbox Live. Les playlists sont nombreuses, le matchmaking efficace, et le jeu est extrêmement personnalisable, à la manière de ce qu'offraient les FPS de Rare. Mais surtout, il donne une vraie crédibilité au FPS console. Le gameplay de Halo tout entier fut penser pour le jeu à la manette, et n'en déplaisent aux détracteurs, régner sur les parties online de Halo 2 demande une sacrée dose de skill. Le titre reprend les bases du gameplay du premier Halo : puisque nous sommes sur console, il faut penser au problème de précision que posent les joystick du pad. Abattre un ennemi ne doit pas venir d'un coup de chance, d'un tir un peu aléatoire. Voilà pourquoi Bungie dote ses Spartans de boucliers énergétiques, qu'il faudra réduire à zéro pour entamer la vie du combattant. Les sauts lunaires sont eux motivés par le peu de mobilité que permet le gameplay manette, et sont autant un avantage qu'une faiblesse pour celui qui l'emploierait sans réfléchir. Sauter fait gagner en mobilité mais fait également du joueur une belle cible pour les ennemis, car l'on passe beaucoup de temps dans les airs.

Gagner un duel dans Halo, ça se mérite, et cela le monde du jeu compétitif va vite le comprendre. La MLG, fondée en 2002, est la première ligue e-sport à apparaître sur les chaînes nationales, grâce au Halo 2 Pro Series. Voir Halo 2 sur ESPN, qui l'aurait cru chez Bungie ? Pourtant le studio savait que son titre était attendu au tournant. Le titre bat plusieurs records de vente lors de sa première sortie, ce qui lui vaut une apparition sur les grands JT du soir, outre-Atlantique. 125 millions de dollars, voilà ce qu'empoche Microsoft et Bungie avec ce premier titre, dès le premier jour.

Autant dire que les périodes de disette sont maintenant loin derrière Jones et sa petite famille, désormais orpheline d'Alex Seropian qui a préféré quitter le navire en 2002, pour se dédier à sa vie de père de famille. Bungie est désormais attendu au tournant, et ne décevra pas avec Halo 3.

Halo, un univers et la confirmation d'une tendance

C'est quelque chose que sous-estiment beaucoup de joueurs, tout du moins ceux qui n'ont pas ou peu joué à la série : pour Halo, Bungie s'est attelé à concevoir un univers cohérent, sombre et violent, bien moins manichéen que ne le sera Destiny. L'humanité, désormais maîtresse d'une partie de la galaxie, est embourbée dans une lutte fratricide. La Terre est en guerre avec ses propres colonies et conçoit les Spartan-II, des super-soldats dont l'efficacité est telle qu'ils devraient mettre fin au conflit sans tirer le moindre coup de feu. Mais elle rencontre finalement la première forme de vie intelligente extra-terrestre, les Covenantes. Bénéficiant d'une importante avancée technologique, l'Alliance Covenante va vite devenir une terrible menace pour les humains, éradiquant l'une après l'autre les colonies humaines dans une rage génocidaire que rien ou presque ne semble pouvoir arrêter, pas même les Spartans. Jusqu'à la découverte des Halo, donc, des Floods et de l'importance des Forerunners, ancienne race d'aliens disparus depuis bien des millénaires. Voilà pour les grandes lignes, et il serait bien difficile de résumer en quelques lignes l'épaisseur de l'histoire de Halo et ses multiples embranchements.

Romans, comics, animés, courts-métrages... l'univers d'Halo va bientôt s'étendre, notamment sous l'égide de Frank O'Connor, content manager de Bungie. L'homme, plutôt porté sur la rigolade, va bientôt devenir une icône pour les joueurs, et c'est en grande partie à lui que l'on doit cette prolifération de contenus élargissant l'histoire initiale de Halo. Un contenu sur lequel la série va énormément se reposer, peut-être un peu trop dans Halo 3, d'ailleurs. Malgré les qualités indéniables du titre, Bungie démontre une nouvelle fois son incapacité à présenter un récit structuré. Dans Halo 3, un peu comme dans le premier Marathon, et comme dans Destiny, le joueur non-initié ne peut comprendre la portée de ce qui se déroule autour de lui puisque les développeurs partent du principe qu'il sait déjà tout. Dans Marathon, il fallait lire les nombreux terminaux, dans Halo 3 il fallait avoir lu plusieurs comics et romans, et dans Destiny... Hum, on y reviendra plus tard.

Si l'on retrouve des manquements dans la façon d'écrire un scénario clair et abordable pour tout un chacun (encore que le premier Halo fait preuve d'une certaine simplicité), que l'on pouvait critiquer dans Marathon et que l'on retrouvera dans Destiny, on constate que Halo repose à nouveau sur un univers SciFi, mettant en scène des humains en proie à une odieuse race extraterrestre (un conglomérat, ici), un héros en armure et une résonance quasi-religieuse. Il y a une forte dimension mystique dans Halo. Le thème principal, fait de chants grégoriens ; les Forerunners, traités comme des dieux par les Covenants et dont on explore les ruines comme Indiana Jones le ferait avec le tombeau du Christ ; la toute-puissance de ces créatures inconnues, capable d'exterminer en un claquement de doigt toute forme de vie dans l'univers, de créer des mondes ahurissants. On touche au divin dans Halo, et c'est toute la saga qui se drape d'un mysticisme parfois un peu déconcertant, parce qu'on ne l'attend pas vraiment de la part d'une série 100 % SF.

Dire que le succès de Halo repose également en grande partie sur son multijoueur serait comme enfoncer une porte ouverte en grand, à coup de lance-roquette. Halo dispose toujours d'une vaste communauté de fans, qui a peut-être connu son apogée après la sortie de Halo 3. Les membres du staff en ont largement profité, se reposant sur eux pour améliorer leur titre, mais également pour passer du bon temps. Participant sur les forums, invitant des joueurs à visiter les studios, ou allant à leur rencontre directement sur le matchmaking de Halo 3, la famille Bungie/Halo était vaste, soudée et composée de fidèles. Et si l'on en parle au passé, c'est parce que les choses ont un peu changé, dès une fameuse annonce...