En effet, s'il est un titre que les RPGistes du monde entier attendaient avec une impatience dévorante, c'est bien ce nouveau volet de la saga nordique Valkyrie Profile. S'insérant à la suite de l'un des jeux les plus adulés et les plus recherchés de l'histoire du jeu vidéo, le soft de Tri-Ace suscite les polémiques, enchante, déçoit, agace et surprend dans des proportions titanesques. Son principal but est visiblement de gérer au mieux son statut d'héritier d'une véritable légende, sans passer pour une trahison aux yeux des admirateurs fébriles. Il lui est nécessaire d'exister pour lui-même, par lui-même sans subir le joug de ce fardeau peut-être trop lourd à porter. Un véritable piège pour le passionné qui ne manquera pas de faire maintes comparaisons jusqu'à pratiquement souhaiter que rien n'eût changé. Mais comparaison n'est pas raison et le jeu vous le fera bien sentir dès les premières minutes de découverte. Se déroulant de nombreuses années avant les évènements tragiques de Valkyrie Profile premier du nom, cette nouvelle aventure met en scène la jeune Alicia, dénuée de la moindre once de méchanceté et vivant paisiblement sans se douter de sa future charge divine. C'est ainsi que Silmeria, l'une des trois valkyries peuplant le royaume d'Asgard, va s'incarner dans la frêle héroïne à la chevelure blonde. Reprenant le rapport liant Lenneth et Platina, cette association forcée va pourtant donner lieu ici à une cohabitation assez chaotique, voire schizophrénique. Prenant à intervalles réguliers le contrôle de l'esprit d'Alicia, Silmeria modifie radicalement les agissements de son hôte, ce qui se traduit intelligemment à l'écran par une modification immédiate du visage de la jeune femme.

Passant d'une douce aventurière à une guerrière sans morale, cette dernière apporte par son côté lunatique de nombreuses scènes tantôt dérangeantes, notamment dans les doutes un peu embrumés d'Alicia, tantôt vraiment amusantes, comme les dialogues entre les deux personnalités en pleine rue. Un ajout offrant une dimension supplémentaire à un personnage principal un peu en demi-teinte, qui s'équilibre toutefois avec une équipe principale riche d'individus charismatiques. Composée de six guerriers liés avec le scénario, celle-ci remet sur le devant de la scène certains des acteurs grandioses du premier opus, comme le majestueux et pervers Lezard Valeth ou encore Arngrim le berserker mystérieux (Aluze en version japonaise). Un retour qui laisse présager quelques passages scénaristiques savoureux, surtout dans le cas du combattant à l'épée gigantesque, visiblement en rapport direct avec les manigances des dieux. S'ajoute Leone, une épéiste cinglante, Rufus, un archer possédant un anneau attirant les convoitises et Dylan, un barbare quelque peu sauvage. Bien entendu, il vous sera possible de compléter ce groupe éclectique par des êtres morts au combat dont vous pourrez invoquer l'âme tourmentée. Un schéma qui semble tout d'abord calqué sur celui du premier opus, mais qui réserve pourtant une stupéfaction de taille. Alors que Valkyrie Profile fondait ses bases sur le fait de dédier des pans entiers de la trame aux différents guerriers sur le point de rendre l'âme, Silmeria se contente d'une petite animation sans approfondissement. Un tournant radical qui retire totalement l'émotion violente que diffusait le jeu, réussissant le tour de force de rendre chaque mort poignante grâce à un travail sur la psychologie des personnages fascinant.

Les intervenants que vous récupérez ne sont donc plus désormais que des personnages de plus, sans vraiment de "réalité". Il est certes possible de se documenter sur leur existence par le biais d'un léger résumé dans la fiche de chacun d'entre eux, mais ce procédé synthétique ne donne pas envie de compatir avec eux, d'avoir envie de les connaître, ou tout naïvement de les protéger, comme auparavant. Simples ajouts à votre troupe, ces derniers vous confieront toutefois des objets très intéressants si tant est que vous les fassiez évoluer jusqu'à un point suffisant. A vous ensuite de choisir de les libérer pour que ces derniers vous fassent un ultime présent avant de disparaître définitivement. De plus, vous n'aurez même plus à assister à la moindre mise en scène lors de l'enrôlement de ces combattants. Il vous suffira, pour les intégrer à votre groupe, de repérer des armes laissées à l'abandon et d'y réveiller l'esprit de leur porteur. Une action d'un symbolisme astucieux, mais qui tient plus d'une envie de collection que d'émotion. Un reproche par comparaison qui est heureusement équilibré par un changement d'axe dans l'ambiance générale. Au lieu de tenter de prendre la même voie que celle de son prédécesseur, ce qui aurait été maladroit à cause du manque de background des personnages "secondaires", Silmeria choisit le conte de fée macabre. Vous ne retrouverez donc pas ce désespoir magnifique et épais mais un émerveillement magique teinté de passages tragiques.

Un choix très intéressant, appuyé par une réalisation graphique d'une beauté fulgurante, utilisant un léger flou afin de coller à cet aspect quasi onirique. Chaque plan est semblable à un tableau de la Renaissance ou de l'école Maniériste (Frederick Van Valckenborgh par exemple), avec tout ce que cela implique de détails, de grandiloquence et de cette atmosphère presque confinée. Malgré un aliasing très présent, le moindre décor traversé resplendit de finesse, laissant admiratif devant les ressources cachées de la PS2. Bardées d'animations, les ruelles des divers villages rappellent avec émotion les fabuleux arrière-plans de Baten Kaitos, où la moindre brise faisait légèrement osciller la végétation, dans un souci d'évasion rêveuse. De même le chara design, une fois de plus confié aux talentueux frères Yoshinari, s'avère d'une grâce forçant l'admiration. Il confère aux différents personnages une puissance visuelle étonnante, malgré la modélisation laissant un peu de côté le trait fin et précis de ces artistes. Une richesse visuelle nécessaire, notamment pour asseoir ces hommes et ces femmes dans un scénario qui peine à se mettre en place et manque singulièrement de rythme. En espérant qu'il évolue d'ici quelques heures, il reste pour l'instant un peu trop évasif pour accrocher véritablement le joueur entre les longues phases d'explorations de grottes et de donjons. Car Valkyrie Profile Silmeria met clairement en avant le jeu pour le jeu, avec un gameplay quasi parfait qui apparaît comme le réel centre du soft.

Reprenant les bases de Valkyrie Profile en ce qui concerne le combat pur, à savoir l'association d'un guerrier aux quatre touches principales de la manette PS2 (croix, triangle, carré et rond), Silmeria rompt toutefois avec la déferlante d'action de son ancêtre pour inclure un aspect stratégique des plus réussis. En fait, dès que vous touchez un adversaire sur le plan 2D habituel à la série, vous entrez alors dans une aire de combat en 3D. Votre but est soit d'exterminer tous les ennemis présents, soit d'abattre directement le leader ce qui vous garantit une victoire immédiate mais moins de points d'expérience. Pour cela, vous devez bien faire attention à la zone rouge située sous votre groupe et sous vos opposants. Elle correspond à la zone d'action de chacun et vous permet de savoir si vous vous trouvez dans la ligne d'attaque. Cela vous permet alors, moyennant quelques AP, d'effectuer une accélération afin d'éviter ladite zone et d'attaquer en premier. Car si vous restez trop longuement dans l'aire de l'ennemi, il vous agressera d'abord, sans prévenir. Il faut donc bien réfléchir ou se déplacer, afin d'éviter de croiser plusieurs lignes rouges, synonymes d'un assaut croisé. Enfin, il est nécessaire de maîtriser le combat qui s'en suit, car si vous ne tuez pas votre adversaire dans un seul tour, vous subirez un retour de bâton souvent très violent, voire mortel. Car il faut savoir que les AP dont vous avez besoin pour sprinter sont aussi utilisés lors des phases offensives. Un subtil équilibre demande alors à être trouvé dans le but de ne pas se retrouver face au danger sans la possibilité d'enchaîner plus de deux coups.

Parallèlement à tout cela, vous aurez la possibilité de "créer" vos propres capacités en associant différentes runes correspondant à des pièces d'équipement, ou encore de forger des armes inédites en ramenant les objets nécessaires au marchand d'armes. Deux activités passionnantes qui vous prendront énormément de temps et qui vont dans le sens d'une durée de vie déjà décuplée par la difficulté totalement surréaliste de certains passages, demandant des heures et des heures de level-up pour espérer simplement survivre. D'autant que les donjons peuvent être modifiés du tout au tout par des gemmes à disposer sur certains réceptacles. Dans les faits, vous trouverez parfois des sortes de globes influant sur certaines caractéristiques. Vous pouvez alors soit les prendre avec vous et être le seul à en bénéficier, soit les disposer sur les autels des divers niveaux. A ce moment, vous, comme les ennemis, subirez ces modifications. Vous aurez du coup le loisir de baisser la défense de tout ce petit monde, tandis que vous augmenterez votre attaque personnellement. Et ce n'est qu'un petit exemple de la richesse de ce système à double tranchant. Valkyrie Profile Silmeria n'est donc pas le jeu que l'on attendait, mais un autre avec son propre charme. Tentant l'évolution, ce dernier se complaît un peu trop dans le côté purement ludique et laisse de côté l'équilibre narratif. Un parti pris étrange, d'autant que la difficulté abusive ne motive pas vraiment le joueur lambda à pousser plus en avant l'expérience. Un titre différent, vraiment bon, mais encore trop perfectible.