Tout s'accèlère chez le développeur Grasshopper. Au sortir d'une première épreuve de force, voulue, avec Killer 7, le studio a de lui-même décidé de son affranchissement en multipliant les voies futures avec Heroes sur Wii et Kurayami sur Playstation 3. Ces grosses productions ont malheureusement la mauvaise grâce de ne pas s'éveiller avant 2007, et c'est un seul minot sur Nintendo DS qui exprime déjà, sur terres nippones, les voeux dudit studio pour cette année. Et il s'appelle Contact. Un patronyme passe-partout, pas précis pour un sou et, comme cette preview le prétend, plutôt pluriel.
Contact, la jointure. Il y a d'abord ce professeur sans nom, un scientifique de carnaval, le gentil surdoué à la Champignac dont la nature d'aventurier spatial est à rapprocher d'Olimar de Pikmin. Feignant la ressemblance jusqu'à son terme, le gaillard va non seulement réussir à se crasher sur une planète inconnue au bataillon, mais surtout perdre aux quatre coins du globe les éléments qui font l'essence, au sens symbolique comme énergétique, de son vaisseau. A ce point zéro de l'aventure, l'hurluberlu est bel et bien coincé et assurément mort de trouille. La perspective de fouler ces terres ne l'enchante pas davantage que de réparer une vie sociale qui se réduit aux attentions portées à son animal de compagnie, une espèce de chien qui a voulu se muer en chat et qui s'est arrêté en chemin. Et en prime, il reste ces mystérieux Ils qui le traquent sans relâche, nous a-t-il précédemment informé. Le personnage s'épaissit doucement... A quelques pas de là, un jeune habitant local, Cherry, est aussi au point mort. Celui de sa propre existence, totalement solitaire et dénuée du moindre frémissement. Dans la réalité du moins, car du côté de chez Morphée, ce ne sont que voluptueux rêves chimériques, où une jeune fille, vive et preste comme un oiseau, a à la main une fleur qui brille et à la bouche un refrain nouveau, pour reprendre une peinture surréaliste de Nerval. Nos deux protagonistes vont bien sûr se rencontrer au détour du crash et convenir d'un accord. Le professeur veut ses pierres, conditions de son envol, et Cherry désire connaître les coulisses de ses rêves, puisqu'il a, fort logiquement, rapproché ses divagations oniriques à la rencontre avec cet extraterrestre. Car l'un pour l'autre reste une abstraction biologique, aussi dissociable au premier coup d'oeil que ne le sont un dodo d'un dindon, par exemple. C'est le déjà fameux mélange de traitement graphique qui entre en jeu : géométrie, couleurs 8 bits et pixellisation pour le professeur, son chien et son vaisseau; pastels, à-plats 3D et foisonnement de détails pour Cherry et sa planète.
Contact, le toucher. Le titre de Grasshopper est un action-RPG. Inutile de passer à la radiographie sa structure, elle ne livre pas davantage qu'un duo "exploration, dialogues, marchandage en zones de balades" et "déglinguages d'ennemis, collecte d'objets et level up dans les donjons". Mais, à l'instar de ses futurs rivaux que sont Lost Magic et Children Of Mana, il a été cultivé sur le terreau de la DS et ses pousses en ont profité. Les combats, avant tout, se distinguent grâce à cet avantage. A la manière du système click and fight de Spellforce, vous devez pointer votre cible et choisir parmi une sélection d'icônes proposées selon votre angle d'attaque : armée, spéciale ou magique. Avec une attaque normale, l'ennemi est alors locké pendant que Cherry passe en mode offensif. Comprenez qu'il frappera automatiquement son adversaire jusqu'à ce que la mort les sépare. Les attaques spéciales et les magies ne sont par contre pas automatiques et doivent être lancées séparément. Si le joueur réserve le déplacement de son perso au pad directionnel et le lock à la gâchette gauche, sachant qu'il peut aussi bien tout faire du stylet, il sera surpris de découvrir entre ses mains un contrôle qui lorgne très largement sur la combinaison clavier/souris d'un hack'n slash PC. Malin, Grasshopper a très volontairement tiré parti de cette association en lui combinant un système d'expérience à la Elder Scrolls. Nul point à répartir, nulle compétence à choyer, c'est de l'usage que naîtront vos talents. Vos premiers pas sont aussi vos premiers points d'XP en vitesse, battez-vous au poing le plus souvent pour devenir un boxeur remarquable, essayez de filer entre les doigts de vos ennemis pour accroître votre compétence d'esquive, et ainsi de suite pour un total de 26 domaines différents.
Plus loin dans le jeu commencera la collecte des costumes qui iront remplir votre garde robe. Chaque costume est lié à un type de magie, et chaque coup porté avec l'un de ces accoutrements sur le dos ira remplir les jauges magiques en question. En vertu de ces multiples montées en puissance, le joueur va s'octroyer de nouveaux coups spéciaux et de nouvelles magies. Ce qui est épatant, c'est que la courbe de difficulté des combats a été pensée pour une progression continue et fluide. Le joueur n'a presque pas à s'embarrasser de level-up, il faut juste entrer dans le bon rythme. Ce sont ces deux grandes lignes, peu voire pas de level-up et un spectre de compétences étendu et très accessible, qui évitent au soft de manquer à la fois de rythme et de variété. Après deux bonnes heures de jeu, trois coups grand maximum viennent terrasser le plus grand nombre des ennemis. La progression est donc plus nerveuse et ce n'est que la profusion qui impose au joueur d'user au mieux de ses magies, attaques et armes spéciales. Et les donjons sont pour le moins fournis, surtout que les ennemis sont automatiquement régénérés, et qu'il faut bien se garder de tout excès de confiance avant les Boss, toujours très résistants. Hop, reprenons notre dissertation sur le toucher offert par la DS avec la manipulation entièrement tactile et très ergonomique de tous les menus et objets dans l'inventaire. Naviguer dans une interface aussi lourde que celle d'un RPG avec un système de pointage est évidemment incomparable à tous ce que nous a offert le passé. Point d'orgue de cette exploitation : l'attachant système d'autocollants. Rares et offerts uniquement par le professeur, ils ordonnent des instructions vitales, comme le transfert des diamants sacrés, l'attribution temporaire de 20 points de force, ou le retour d'urgence près du vaisseau du scientifique. Ces derniers sont littéralement à "décoller" de la page du menu pour être recollés sur l'écran de jeu. C'est simple, marrant, et ça fait toujours son petit effet.
Contact des cordes sensibles. Vu de haut, si on ne retient que les moments les plus saillants, le jeu proposé par Suda 51 et Akira Sueda, le créateur derrière Shining Soul, n'est pas loin d'être une vaste et savoureuse tranche de poilade, pour peu que l'on goûte à ce plaisir fort particulier du Z parodique. Grasshopper a gentiment taillé des costards à quelques îcones bien pensantes, à commencer par la dernière en date chez Nintendo et compagnon le plus fidèle de l'homme. Non seulement la bêbête à poil du professeur a une morphologie mise sur patte par un créateur probablement alcoolique, mais il faut la voir en prime se lécher fréquemment l'entrejambe, couiner comme un rat pour indiquer son contentement après une caresse du prof ou s'étaler sur le dos en faisant remuer une de ses pattes arrière dans une posture très... libertine. Comble de la parodie : pendant votre sommeil, que vous pouvez interrompre à tout moment en pressant un réveil matin, il est possible de "jouer" avec la créature. Un bien grand verbe pour si peu d'interactions, qui se résument en gros à d'indécentes caresses sur l'animal ou des incitations aux pires bêtises pendant l'absence du professeur (manipuler les boutons de commandes du vaisseau, ce genre de choses...). Et je ne vous décrirais pas dans le détail un autocollant un peu spécial, qui hisse définitivement la bestiole dans le rôle, si gratuit mais tellement drôle, de l'anti-Tamagotchi par essence.
Les déboulonnages de références se succèdent dans la joie et le bon humour. Metal Slug, Ghouls And Ghosts, Tomb Raider, Zelda 2, on peut en citer des tonnes comme ça, et les ennemis sont le reflet de cette folie douce : aliens copie carbonne de Roswell dont le mode d'expression offensif consiste à vous faire tomber des soucoupes volantes sur le crâne, aspirateurs animés d'une furieuse envie de vous sucer la peau et le reste, cochons volants, télés méchantes... C'est la grande foire au n'importe quoi le plus réjouissant, et le jeu se teinte de touches de non-sens où l'on retrouve aussi bien Discworld que Planescape Torment. De grands contes blagueurs à qui il arrivait pourtant aussi d'être sérieux. Et dans Contact, effectivement, entre deux gloussements, se glissent soudainement de tendres et sensibles pauses : un bûcheron au chevet de sa femme malade regrette de ne pas avoir été assez attentif à elle, trois jeunes filles se disputent votre coeur par îles interposées, un mineur pense à sa femme, qu'elle profite bien de l'air libre qui lui est offert tandis qu'il gagne leur croûte en grattant la terre. Toujours cette notion de distance entre deux âmes chaleureusement liées. Une thématique constamment entretenue bien sûr par l'étrange relation entre le prof et Cherry. Mais, chut ! N'en disons pas davantage... C'est sans doute là que réside le charme terrible du titre.
Certes, on ne dira tout de même pas de Contact qu'il est un éminent récital sur l'échange, l'amitié entre les peuples et le droit au rêve, ce n'est très clairement pas son projet. De même que l'on ne dira pas qu'il s'agit d'un grand action-RPG parfaitement maîtrisé, idéal en attendant l'inévitable Zelda Phantom Hourglass. Ce serait lui porter préjudice. Car Contact ne cherche pas à devenir un classique et ne vise pas la perfection du genre. Allez, il y a cette taille de l'univers un peu trop légère, ce rythme qui s'effondre à certaines rares reprises, ou ces quelques idées pas encore suffisamment exploitées, les costumes notamment. Mais non, c'est sous le coup d'un sacré coup de coeur qu'il me faut sincèrement abandonner ce travail d'objectivité. Ce sera pour le test. Rendez vous compte : partir à la rescousse d'une île tropicale sur une délicieuse musique electro-pop, et affronter des légions de frigos vides, et donc logiquement affamés, ça ne s'invente pas...