Shadow Of The Colossus démontrait il y a peu qu'un vaste environnement désertique pouvait être source de plaisirs visuels entre autres induits par le simple bruit du vent, le chant d'un aigle volant dans le lointain ou les plaintes d'un géant de pierre attendant l'heure de son hallali. Okami, lui, prend le contre-pied du chef-d'oeuvre de Sony tout en arrivant pourtant au même résultat synonyme d'enchantement perpétuel pour nos sens.
Là où Shadow Of The Colossus privilégiait les grandes chevauchées à bride abattue, la contemplation silencieuse ou les affrontements dignes de celui de David contre Goliath, Okami aligne les feuilles de Canson à l'écran afin de créer une oeuvre vibrante d'émotion, digne héritière des estampes japonaises. Ainsi, après avoir repensé le beat'em all grâce à Viewtiful Joe, Clover Studio s'empare à nouveau d'un genre, l'action/aventure, pour le destructurer afin de mieux le modeler selon la convenance des développeurs. Le résultat est sans appel et ne peut même pas porter à controverse tant il sacralise la symbiose entre le raffinement esthétique et l'intérêt ludique. Pourtant, à première vue, on peut penser qu'Okami ne s'adresse qu'aux japonais tant la thématique cosmogonique du soft est ancrée dans le pays du soleil levant. Chaque pixel respire l'art pictural japonais, le synopsis revisite les mythes et légendes de l'Archipel à travers la destinée du dieu Amaterasu et le titre fait parfois la part belle aux pantomimes grâce à des personnages loufoques censés représenter la sagesse. A ce titre, on ne peut qu'être surpris par l'homogénéité d'ensemble faisant pourtant intervenir des vieillards fans de hip-hop, des ours amorphes ou des maîtres en arts martiaux se surestimant légèrement, à l'intérieur d'une histoire qui se veut ambitieuse, émouvante et surprenante à plus d'un titre. Dans l'absolu, on retrouve également beaucoup de points communs entre Okami et un des plus beaux films de Miyazaki Hayao : Princesse Mononoké. De la grâce d'Amaterasu, digne cousin de Moro, à la beauté des décors, de l'étrangeté de certains ennemis au message écologique, d'une épopée balayée par des sonorités enivrantes à l'utilisation d'une palette éclectique de couleurs, les deux oeuvres entretiennent bien des rapports qui sautent immédiatement aux yeux.
Outre cette flatteuse parenté, la sève colorée qui nourrit chaque plan d'Okami, sert tout aussi intelligemment le gameplay dont l'inspiration se veut ouvertement artistique. De fait, bien que nous dirigions un loup pouvant combattre grâce à ses simples attributs physiques, Clover a ouvert les frontières séparant le joueur du programmeur en nous donnant l'impression d'interagir directement sur le graphisme du jeu à l'aide d'un simple pinceau. Idée géniale s'il en est, le spectateur devient donc un véritable artiste en cela qu'il a le pouvoir d'influer sur ce qui apparaît à l'écran. Fort d'une quinzaine de techniques, il sera alors possible, moyennant un arrêt de l'action retranscrit par une habile transition qui verra l'écran se recouvrir d'un parchemin, de trancher vos ennemis en les zébrant d'un simple jet d'encre, de dessiner un soleil pour illuminer le ciel, de rejoindre des îles lointaines en crayonnant des nénuphars à la surface de l'eau, etc. Le plus intéressant, hormis l'agréable sensation d'être devant quelque chose de tout simplement fantastique, est que le tout repose sur une jouabilité simple comme bonjour, qui plus est très précise. En fait, pour réaliser les actions décrites plus haut, vous n'aurez qu'à peindre certaines figures (un trait, un cercle barré, un gribouillage...) et laisser faire la magie. Si quelques séquences demandent parfois un peu trop de précision (lors de la création de constellations par exemple), le tout est tellement intuitif passé une ou deux heures de jeu qu'on s'amuse à chercher toutes les interactions possibles rien que pour le plaisir.
D'ailleurs, c'est bel et bien un des aspects les plus réjouissants d'Okami qui accumule les surprises narratives et créatives. De fait, entre les apparitions décalées des divinités animales vous transmettant de nouvelles techniques de calligraphie, vos yeux ébaubis par tant de magie assisteront à la floraison d'arbres meurtris, la construction de ponts étoilés ou bien encore la renaissance d'une nature morte retrouvant vigueur et beauté via des séquences cinématiques comptant parmi les plus belles et les plus poétiques jamais vues dans un jeu vidéo. En terme d'influences, on pourra aussi citer The Legend Of Zelda : The Wind Waker pour ce qui est de la représentation du vent sous forme de bourrasques picturales ou bien encore pour la ressemblance entre certains protagonistes des deux titres. Pourtant, il serait réducteur de se limiter à ces quelques comparaisons vu qu'Okami dispose d'une variété de traits qui ne sont plus ici l'expression de l'individualité des graphistes mais plutôt la représentation numérique de lithographies nous contant une histoire, fief de combats démentiels et d'aventure avec un grand A. Car oui, si Okami est un vrai jeu d'action, il n'en oublie pas de faire réfléchir le joueur qui devra alors composer avec le cycle jour/nuit afin de pénétrer dans certains bâtiments ou parler à des habitants. Ensuite, comme je le disais plus avant, votre regard devra être aussi affûté que celui de l'aigle afin de déceler ce qui, dans le décor, pourrait être réparé/embelli/découpé par votre plume, ceci étant souvent indispensable pour progresser.
En parallèle de toute cette ingéniosité accordant une gigantesque plus-value tant au fond qu'à la forme, on retrouve quelques idées communes à d'autres jeux à commencer par les différents combos que pourra effectuer Amaterasu en plus des coups de pinceaux accessibles par une pression sur le bouton R1. C'est donc après avoir acquis l'enseignement d'un sensei que vous apprendrez des techniques pour mieux esquiver ou au contraire attaquer quatre fois de suite. Par contre, avant de profiter de ces leçons, vous devrez au préalable avoir assez combattu pour obtenir suffisamment d'argent, ce dernier servant aussi à acheter divers items chez des marchands ambulants. D'ailleurs, il existe une relation entre les deniers et items amassés sachant qu'au fil de l'aventure, vous rencontrerez des animaux (poules, sangliers, écureuils...) que vous pourrez ou non nourrir si vous en avez envie, et surtout si vous avez en votre possession des aliments spécifiques. Une fois rassasiées, les aimables bestioles vous offriront alors leur amitié et leur reconnaissance ainsi que quelques points d'EXP bien mérités.
Riche et complet, Okami l'est également en terme de maniabilité. Cette dernière est souple, précise et possède peu de défauts qui seront pour la plupart liés à votre maîtrise du pinceau ou votre sens de l'observation mis à rude épreuve pour découvrir ce qu'il convient de voir ou de faire pour ne pas être bloqué trop longtemps. A ce titre, n'oubliez pas de regarder de temps en temps la carte qui pourra vous mettre sur la voie grâce à des indications bien utiles vous renseignant sur vos prochains objectifs. Néanmoins, on pourra peut-être reprocher quelques soucis de caméra, de toute façon très minimes compte tenu des deux angles proposés (proche ou très éloigné d'Amaterasu). Certains d'entre-vous pourront aussi être étonnés par l'approche des combats qui renvoie légèrement à celle de plusieurs RPG dans le sens où ceux-ci se déclencheront une fois l'ennemi touché, et se poursuivront alors dans une arène fermée. L'un dans l'autre, ce n'est vraiment pas embêtant surtout que le dynamisme qui les caractérise est décuplé par des effets visuels enchanteurs.
Au final Okami brise les règles du genre action/aventure en faisant de ses joutes de véritables ballets graphiques se savourant comme autant de planches sorties d'une bande dessinée. Abordant un monde féerique rempli de figures divines, le titre de Clover Studio évoque un pan entier de légendes japonaises afin de titiller notre imaginaire. Stimulant jusque dans ses moindres fondements, le traitement visuel est à ce point peaufiné qu'il invite le joueur à participer comme jamais à une aventure placée sous le signe de la rêverie. De fait, on attendra impatiemment l'arrivée de cet OVNI pour le mois de février 2007 en Europe tant il redéfinit les conventions du jeu d'action au même titre que Shadow Of The Colossus, mais de manière différente. D'ici à ce que le vieux continent puisse être le témoin de cette (r)évolution, je ne puis que vous enjoindre à vous familiariser avec l'art de la calligraphie car jamais jeu n'aura aussi bien légitimé la maxime qui veut que la plume soit plus forte que l'épée.