Sur le créneau ultra-concurrentiel des jeux de cartes numériques, se faire une place représente un véritable parcours du combattant. Face aux mastodontes que sont HearthStone et Clash Royale, les développeurs évitent généralement l'affrontement direct et optent pour des approches différentes. En adaptant l'univers de World of Warcraft au jeu de cartes à collectionner, Blizzard Entertainment a ouvert une nouvelle page de son histoire et démocratisé un genre pouvant paraître austère. Colorés, accessibles et sans temps morts, les titres d'aujourd'hui sont à mille lieux d'un Magic 2015 - Duels of the Planeswalkers et ce n'est certainement pas Faeria qui va inverser cette tendance. Depuis 2013 et sa campagne de financement participative, le jeu du studio Abrakam s'est forgé une belle communauté et mérite vraiment que l'on s'y attarde. Le jeu développé à Liège a t-il les forces pour s'imposer ? Verdict dans les lignes qui suivent.
D'emblée, ce qui fait la force de Faeria, c'est sa proposition. En plus des cartes à collectionner, le jeu intègre un plateau sur lequel il faut construire des terrains pour pouvoir invoquer des unités. Le joueur doit ainsi veiller à progresser de façon stratégique tout en utilisant ses cartes à bon escient. Ce n'est que par ce biais qu'il peut vaincre l'orbe ennemie - dont la résistance est définie par un certain nombre de points - et gagner la partie. Sur le papier, le concept est d'une grande simplicité et ne s'encombre d'aucune fioriture. Les tutoriaux se passent en douceur, on dégommage l'IA sans trop de difficulté et tout est fait pour attirer les débutants comme les joueurs les plus expérimentés. La première impression est positive et il ne faut pas attendre longtemps pour que celle-ci se confirme...
UN ESPRIT RESPECTÉ
Comme pour n'importe quel titre du genre, Faeria propose un grand nombre de cartes aux effets divers et variés. Au nombre de 270, ces dernières sont suffisamment riches pour que le joueur n'ait pas la désagréable impression de revivre encore et toujours la même partie. Sans surprise, tous les poncifs du genre sont présents et ce n'est pas du côté des effets (attaque au premier tour, saut de cases, multiples déplacements, attaque à distance sur l'orbe ennemie...) qu'il faut chercher l'originalité. Fidèle à ses principes, le jeu d'Abrakam récite les gammes du genre et happe l'utilisateur sans chercher à le déstabiliser (même les couleurs, les gemmes ou la police de caractère rappellent Hearthstone). On débute ainsi la partie avec un deck de 30 cartes piochées dans une réserve et chaque victoire est l'occasion d'agrandir son stock en débloquant du contenu. Grâce à l'apport du plateau, les situations poussent le joueur à jauger constamment son attaque et sa défense et l'utilisation des créatures, de différentes natures (offensifs, défensifs, de soutien, etc.), s'inscrit pleinement dans cette mouvance. Mais bien vite, de nouvelles données entrent en jeu et offrent une approche stratégique encore plus redoutable...
À CHAQUE CRÉATURE SON TERRAIN
Pour se déplacer, le joueur dépense des points de "faeria" (qui s'apparente à du mana) matérialisés dans le bas gauche de son écran. Il est possible d'utiliser tous ses points lors du tour en cours ou de les économiser pour le tour suivant. Vous devez ainsi constamment garder un œil sur votre réserve. Pour dynamiser les parties, les développeurs ont placé des puits de faeria aux extrémités ouest et est du plateau. En les atteignant, le joueur récolte la faeria et continue à dispatcher ses pions. Ceux-ci peuvent prendre la forme de cartes neutres mais aussi de cartes spéciales. Ainsi, la plupart des créatures possèdent leur propre terrain de prédilection. Par exemple, des entités aquatiques ne peuvent être invoquées qu'en présence de lacs tandis que d'autres monstres préfèrent des environnements montagneux, désertiques ou forestiers. Il est donc nécessaire de choisir la surface adéquate en fonction de la situation qui se présente à vous. L'autre point très important, c'est que seuls les terrains que vous avez construit peuvent accueillir vos créatures. Dans le cas contraire, l'unique option consiste à déplacer ses unités sur les cases créées par l'adversaire (ou dans l'eau pour les monstres aquatiques). Il faut aussi souligner que certaines cartes ne peuvent être activées que lorsqu'un certain nombre d'environnements sont créés. De ce fait, un Golem Thyrian ne peut être appelé qu'en présence de 5 forêts. Tout l'intérêt de Faeria réside justement dans cet équilibre constant entre conquête de territoire et positionnement des unités. Pas à pas, le joueur déplace ses troupes et s'approche de la zone adverse en veillant à ne pas se faire surprendre. Sous ces airs de "jeu de société", cette production démontre que le monde des TCG (trading card game) peut se renouveler tout en possédant un univers qui n'est pas tiré d'une licence.
PLEIN LE BALUCHON
Free-to-play oblige, Faeria propose un système de monnaie virtuelle qui permet de progresser et de créer ses decks. Grâce aux pièces collectées, on peut ainsi débloquer de nouvelles cartes/missions et gravir les différents échelons du mode solo. Sur le principe, c'est du déjà-vu. Il est tout de même regrettable que les cartes soient contenues dans des coffres, ce qui peut se traduire par l'achat de cartes... que vous possédez déjà. Certains joueurs seront aussi surpris du coût de chaque paquet de cartes ou mission à débloquer. Mine de rien, il faut pas mal de temps pour réunir les sommes demandées et on ne parle même pas des différents boosters et sets à acquérir. Reste qu'en y regardant de plus près, Faeria se montre plus accessible que la plupart de ses concurrents. C'est donc à chacun de gérer sa "relation" avec ce type de productions.
Pour atténuer la déception des joueurs moins fortunés, le solo est agrémenté de puzzles avec différentes règles à suivre (détruire l'orbe ennemie en un déplacement, etc.) et de missions journalières. Il existe également une section Pandore (un mode arène déblocable au niveau 7) et les joueurs les plus aguerris peuvent affronter d'autres adversaires en ligne. Attention toutefois, le matchmaking semble un peu étrange pour le moment et il n'est pas rare de tomber sur des opposants bien plus équipés qui ne vous laissent aucune chance. Il reste des éléments à peaufiner, c'est une certitude.
ARTISTIQUEMENT RÉUSSI
À travers un univers inédit, les artistes du studio Abrakam sont parvenus à instaurer une ambiance planante. Les cartes, magnifiques, démontrent toute l'étendue du talent des belges. Les créatures ont un look très réussi et le jeu, compatible avec des configurations modestes, est vraiment très joli à regarder. Les sorts magiques ont fait l'objet d'un grand soin, tout comme le plateau qui baigne dans les effets visuels. Les graphismes sont très agréables et l'ensemble ne souffre d'aucun ralentissement. Il en est de même pour la musique, discrète au possible, qui s'intègre sans mal dans cette atmosphère d'heroic-fantasy. On comprend mieux pourquoi certains joueurs ont fait un rapprochement avec les œuvres de Hayao Miyazaki. Quoi qu'il en soit, avec son petit côté sauvage et reposant à la fois, Faeria est un excellent palliatif à Hearthstone. Il ne lui reste plus qu'à densifier sa formule pour atteindre les sommets. Quand on pense que le studio n'était composé que de deux personnes à ses débuts, ça laisse rêveur...
Points forts
- Un jeu magnifique
- Le mélange carte/plateau
- Progression bien dosée
- Gameplay sans fausse note
- Pas de grande place pour l'aléatoire
Points faibles
- Matchmaking à revoir
- Les cartes sont dans des coffres à l'achat
- Effets et sorts un peu trop classiques
Destiné à un large public, Faeria se montre aussi accessible que passionnant à découvrir. D'une beauté hypnotique, il livre son potentiel au fil des heures et parvient à marier, avec élégance, le principe des jeux de cartes au monde du jeu de plateau. Avec son look de jeu de société "Miyazakesque", le titre du studio Abrakam réussit là où de nombreux concurrents échouent. Se frotter aux ténors que sont Hearthstone et Clash Royale n'est pas chose aisée mais la pépite belge y arrive sans se défaire de son identité. Il ne lui reste qu'à affiner sa stratégie en terme de free-to-play pour toucher le plus grand nombre.