Bien plus ancienne que les séries sœurs Dynasty Warriors et Samurai Warriors, la série Nobunaga's Ambition (Nobunaga no Yabô en VO) fait partie des vieilles gloires de Koei aux côtés de son pendant d'influence chinoise Romance of the Three Kingdoms. Si le roman dont est tiré ce dernier est devenu au fil du temps relativement diffusé comme objet culturel, les occidentaux ne se sont par contre pas passionnés pour le Sengoku-Jidai, période pourtant tout aussi riche et qui s'étale sur près d'un siècle d'Histoire nippone. Exception faite bien sûr des mangas et jeux vidéo japonais qui s'en imprègnent couramment, et dont Nobunaga's Ambition est l'un des représentants les plus illustres. Le premier opus fut d'ailleurs l'un des tout premiers Jeux de Guerre de Grande Stratégie à voir le jour en 1983. Treize épisodes plus tard, Sphere of Influence se pose logiquement en héritier de cette grande lignée.

Romance de l'Empire du Soleil Levant

A côtoyer tant de figures historiques, combattants et Daimyos ou autres illustres provinces, on se plait à s’imprégner de l’atmosphère de l’époque, même si celle-ci oublie au passage de s’attarder sur les roturiers trop occupés à développer les rizières ou à servir de chair à canon. Cela dit la narration est suffisamment "authentique" et bien structurée pour en apprendre beaucoup au joueur attentif. En n’oubliant bien sûr pas que beaucoup d’actions et caractères des personnages ne sont que des visions romancées de la réalité connue.

La Carte et le Territoire

Misant autant sur la stratégie que sur la transmission de connaissances, cet opus propose au joueur une grosse dizaine de scénarios correspondant à autant de situations politiques (réelles ou fantasmées) de l'archipel à différentes époques. Mais là où il fait fort, c'est dans sa diversité. Les lignes historiques des scénarios sont déjà variées mais quand on sait qu'il est possible d'incarner le moindre Daimyô parmi la cinquantaine présente sur la carte, y compris le plus insignifiant et excentré, et que cela peut drastiquement changer le déroulé de la partie, alors le contenu en devient proprement gargantuesque.

En effet, la ligne de mire du joueur n'est pas uniquement d'atteindre le contrôle total du Japon féodal. Malgré la liberté qui lui est laissée dans son but ultime et dans la personnalisation de ses parties, il peut choisir de suivre la frise historique de son clan d'affiliation. C'est alors toute une trame de quêtes scénarisées qui se met en place, avec des objectifs progressifs mimant une certaine réalité historique pour faire évoluer son clan. Celui qui donne son nom au jeu devra, par exemple, gagner ses premiers galons en annexant la province d'Owari avant de se confronter à Yoshimoto Imagawa durant la bataille (scénarisée) d'Okehazama et d'essuyer bien d'autres attaques de ses voisins.

Malheureusement ce système a le défaut de ses qualités : si la difficulté des quêtes est adaptée, et le délai de réalisation largement tenable, dès lors que le joueur s'éloigne du carcan imposé c'est toute la ligne pré-tracée qui peut s'effacer. Une quête loupée et c'est toute la partie historique scriptée qui s'effondre, le joueur n'ayant plus d'autre alternative - s'il souhaite continuer - que de progresser sans but défini, si ce n'est celui décidé par lui-même. Et puisque chaque scénario correspond à une période limitée de la période Sengoku, l'enchainement de quêtes a tendance à s'arrêter de façon abrupte dès lors que devrait commencer celui de la période suivante, laissant le jouer planté là. Il est franchement dommage pour la continuité des parties qu'un mode de jeu plus pérenne ne soit pas disponible, n'obligeant ainsi plus à redémarrer de zéro pour connaitre la totalité de l'épopée des personnages. Ce même s'il faut reconnaitre que cela aurait posé problèmes dans la gestion de la vie et du positionnement des clans et généraux concernés sur une aussi grande échelle de temps et d'espace.

On se consolera avec les quelques quêtes de développement qui apparaissent de temps à autre pour vous inciter à diversifier la gestion des ressources, et avec la durée astronomique des campagnes qui peuvent s'étaler sur plusieurs dizaines d'heures, si tant est que votre daimyô reste en vie tout ce temps. Le jeu n'a ainsi pas vraiment de fin prédéfinie, seule compte l'envie du joueur de se mesurer aux défis proposés. Sphere of Influence a ceci d'intéressant que l'expérience est grandement personnalisable : Chaque début de partie est l'occasion de choisir la vitesse d'évolution des variables (agriculture, commerce, agressivité de l'IA) qui conditionnent la difficulté de la campagne, la durée de vie des généraux (on peut notamment la limiter à la date de leur mort réelle) et même introduire dans les clans des personnages créés manuellement. Pratique pour qui souhaite vivre la bataille de Sekigahara par procuration. Entre autres aides plus litigieuses, le jeu offre le libre choix de « tricher » en éditant la plupart des variables d’une partie. L’utilisation de cet éditeur coupe en contrepartie le gain des Hauts Faits, sorte de trophées intégrés directement au jeu, et est donc à réserver à un service plus ludique ou à l’apprentissage des mécaniques.

Adapté aux consoles ?

Avec tant de choses à gérer et l’obligation de garder un œil attentif sur un territoire aussi étendu, le traditionnel combo clavier – souris semblerait être un mode de contrôle bien plus efficace et agréable à l’utilisation qu’une simple manette. Pourtant l’ergonomie de la Dualshock 4 ne s’en sort pas si mal pour la navigation des cartes en combinant un zoom efficace au pavé tactile permettant de scroller sans déplacer le curseur. Un petit bémol doit être souligné quant à la sélection des unités souvent imprécise, au déplacement forcément moins vif et précis que sur PC et à la navigation dans les menus nettement perfectible, qui gêne la recherche d’informations.

Ajoutons que si la réalisation des cartes modélisées (qui prennent en compte la topographie du Japon) se contente de faire son job sans grand entrain (et c'est peu de le dire), les phases scénarisées mettent en jeu des portraits vraiment soignés, voire de belles cinématiques. Mieux, les musiques orchestrales font de cette bande son une vraie réussite, un bon point que l’on ne soupçonnait pas forcément.

L'Art de la Guerre

Pour poser les bases de son gameplay, Koei a choisi de séparer la stratégie pure de la tactique guerrière, tout en maintenant un système au tour par tour. Ainsi, chaque phase de jeu sur déroule sur un mois complet : le joueur a tout son temps durant le conseil de guerre pour prendre les décisions à long terme qui conditionneront le développement de ses provinces, la gestion de ses armées ainsi que la diplomatie. Puis une fois ces choix avalisés, vient une phase en temps réel (assortie d'une pause active) qui voit se déplacer les cohortes et grandir les édifices à mesure que s'égrainent les jours. Ce système hybride a le net avantage d'être flexible, et plié aux envies tactiques du joueur. Celui-ci peut déterminer la vitesse d'écoulement des tours de la phase active, réorienter ses unités à loisir sur la carte et si les affrontements se déroulent généralement de façon automatique, en fonction des statistiques et du nombre de soldats en présence, il est tout à fait possible de prendre la main lorsque la situation se fait un peu plus tendue. L'écran passe alors en vue rapprochée pour permettre d'influer sur les mouvements de troupes et choisir manuellement les ordres tactiques adéquats qui vous permettront de reprendre l’ascendant même sur une armée numériquement plus puissante.

Si les premières options à disposition du joueur peuvent paraitre classiques, le gameplay possède en fait une profondeur insoupçonnée. Moyennant argent et main d'œuvre limitée, le menu déroulant permet d’accéder aux options de développement des villes, mettant pour chaque tour une emphase sur l’agriculture, le commerce ou l’artisanat, et la conscription augmentant la part de population qui rejoindra les armées. A mesure de l’augmentation de ces trois ressources, la population croît et de nouvelles commandes deviennent utilisables : créer ou réorganiser les quartiers des villes, agrandir les routes pour le commerce et l’armée, entreprendre des travaux de fortification des châteaux voire édifier de nouvelles forteresses aux endroits stratégiques, le tout ayant en retour une nouvelle influence sur la croissance. Restent toutes les options diplomatiques, qui permettront de former des alliances de plus ou moins grande importance avec les clans rivaux, d’assimiler les tribus autonomes à votre clan ou d’en faire des alliés, d’employer les rônins de passage comme généraux à part entière ou même d'arranger les mariages pour consolider les liens.

RPG ? Queuseussé ?

Le jeu est parfois présenté comme un hybride RPG/Stratégie. Il faut pourtant le dire vite : Certes les généraux possèdent des statistiques, mais comme de nombreux jeux qui ne font qu'emprunter quelques mécaniques du Jeu de Rôle, celles-ci n'exercent qu’une influence relativement mineure. L’intelligence et la politique gouverneront les facultés de persuasion et de maitre d'œuvre des personnages, tandis que la bravoure et le leadership influent sur la défense et l’attaque du chef de rang lors des combats. Et autant l’effet des deux premières se fait bien sentir en déterminant par exemple le temps que prendront les travaux qu’ils entreprennent ou l’effet des tractations, autant les caractéristiques de combat ne semblent avoir qu’un effet superficiel, presque imperceptible sur le déroulé des combats, bien qu’elles peuvent faire la différence dans les plus indécis. On trouve par ailleurs des Traits de caractère et Tactiques à apprendre aux généraux pour renforcer leur utilité, et le jeu demande de gérer non seulement leur positionnement sur l’ensemble de vos villes, mais également ménager leur petite personne pour éviter qu’ils ne vous trahissent et passent à l’ennemi.

S'il existe des options de choix politiques qui permettent d'influencer l'évolution et le comportement de la population du clan, et que le jeu ne se revendique pas comme 4X (l'Exploration étant inexistante) mais simple jeu de stratégie militaire, on déplorera tout de même la quasi absence de possibilités de développement technologique. Certaines sont présentes sous forme d'options payantes (virtuellement parlant bien sûr) ou surviennent inopinément à certaines dates clé (comme l'introduction des mousquets sur le sol japonais en 1543 à Tanegashima), mais rien qui soit vraiment à même de changer la face d'une partie. De même, la collecte de ressources naturelles n'est pas au centre du jeu, et la découverte d'une mine à exploiter reste un évènement presque automatique. La diplomatie prend en revanche une place prépondérante dans la mécanique de jeu, en particulier dans les parties de haut niveau. Quand on se veut unificateur du Japon, on se fait rapidement des ennemis, et mieux vaut prendre les devants en complotant dans l'ombre avec les vassaux adverses ou en créant sa propre coalition de clans.

Petite carpe deviendra grande

Il faut toutefois préciser qu’avec les nombreuses assistances et choix automatiques (ou conseillés), le jeu peut paraitre relativement simple et tactiquement faible si vous décidez de vous accoutumer aux premières campagnes en mode facile. Cependant ce n’est là qu’une façon de ne pas décourager le nouveau venu, et le besoin de réfléchir et penser ses prochains coups avec l’esprit d’un maitre d’échecs croit drastiquement avec l’augmentation du niveau de difficulté et le clan sélectionné en début de partie. De même viendra vite l’envie de s’affranchir des conseils prodigués par les aides de camp, qui ne sont pas forcément les plus adaptés à la direction que vous souhaitez emprunter. Mais pour le profane, la somme de paramètres à gérer peut paraitre écrasante. La rumeur de difficulté du titre - qui tient surtout à cette densité - n'est pas usurpée : le tutorial même, déjà très long (une heure au bas mot), pouvant s'avérer létal pour qui n'a pas appliqué à la lettre les instructions. Malheureusement, celui-ci se contente d'effleurer les mécaniques les plus basiques, et à son issue le nouveau joueur n'en sortira pas beaucoup plus avancé, sa première campagne en solo devant donc se charger de faire son éducation.

Loin de suivre une trame prédéfinie, le soft préfère - comme beaucoup de jeux de Grande Stratégie - laisser toute latitude au joueur d'assimiler à son rythme la quantité faramineuse de mécaniques de jeu. Même s'il se sert des aides intégrées et des rubriques d'aide - plutôt bien faites, mais laissant de côté de nombreuses questions - ses premières parties n'auront rien d'optimales. Cependant ce n'est pas en claquant des doigts qu'on devient fin stratège, mais en se cassant les dents. Chaque échec comme chaque victoire sera l'occasion de comprendre les choses à faires et à ne pas faire, les parades à une situation spécifique, ou la prévision de celles à venir. La maitrise du jeu, elle, ne viendra qu'après plusieurs dizaines, voire centaines d'heures de jeu à peaufiner ses stratégies.

Il est nécessaire de procéder par ordre. Lancer aveuglément toutes ses armées à la conquête du Japon n'aura pour seul effet que de vous rayer de l'Histoire. Le jeu demande de la patience, du doigté et bien sûr, de la stratégie. C'est en prenant le temps d’apprendre que l'on s'améliore. La progression s'étale d'ailleurs par couches de jeu successives : Gérer un château, puis une province, puis un empire tout entier. Développer ses villes, accroitre son armée, tisser des liens avec les tribus environnantes et fomenter pactes et complots avec les clans rivaux, en ne négligeant pas la gouvernance du petit peuple. Il faut bien sûr veiller à couvrir ses arrières même pour gagner l'avantage dans une grande bataille. Il n'est en effet pas rare qu'un clan concurrent décide, par le truchement des alliances ou le déclenchement d'une quête, que le moment serait rêvé pour sonner la charge sur vos villes à plusieurs lieues du gros de vos troupes. La défense est donc également cruciale, et permise - en sus de la gestion des armées - par l'évolution des châteaux, la barricade des routes stratégiques et la construction de nouvelles forteresses en dur.

Arrive enfin l'équilibre tant attendu, qui sera le point de départ du besoin d'expansion. Au fil de la conquête, la multiplication des villes à diriger tout en gérant les conflits ouverts à l'autre bout de la carte rendra fastidieuse cette tâche. Le jeu propose alors de confier la direction d'une province et des villes associées à un vassal, le tout encore une fois entièrement customisable. Même s'il est compliqué de laisser les rennes à une IA dont le comportement reste parfois difficile à maitriser - malgré des tendances connues qui dépendent du régent choisi et la possibilité de lui donner des conseils - et attaquera parfois ses voisins sans crier gare, cela laisse au moins le champ libre au joueur pour se concentrer sur les taches qui demandent plus de doigté. Et c'est lorsqu'on se sent enfin prêt à lorgner sur le territoire tout entier que la vérité vous frappe : En fait de puissant conquérant, notre Daimyô n'est qu'un dirigeant de province parmi tant d'autres. On se sent tout à coup tout petit face à l'immensité de la carte et aux innombrables rivaux. Notre daimyô devra alors, pour éviter de se faire Seppuku suite à une déshonorante déculottée, soigner ses relations avec les seigneurs alliés et faire tomber ses ennemis l'un après l'autre jusqu'à son but ultime : l'unification tant attendue.