À chaque sortie d’un gros AAA, c’est la même rengaine : une foule de gamers plus ou moins éclairés s’arme de pics et de torches et s’empresse de pourfendre le vilain éditeur à la manœuvre. Mécaniques de gameplay, direction artistique, modèle économique, tous les éléments du jeu à peine dévoilé subissent la juste colère des pourfendeurs de la vérité, qui sous couvert de prise de recul et d’objectivité, finissent invariablement par dire de grosses bêtises. Et si on se détendait un peu ?
Oh je vous vois venir, avec vos gros sabots. Vous pensez probablement « Oui mais quand même, rappelle toi [insérer nom d’un jeu qui a fait polémique], c’était quand même très moche, c’est normal qu’on soit méfiants ! » ; ce à quoi je répondrais « Certes ». L’industrie du jeu vidéo est un immense business qui génère chaque année des milliards de dollars, et à ce titre on peut y voir régulièrement des choses vraiment vilaines. Comme dans n’importe quelle autre industrie, à vrai dire. Entre les pratiques prédatrices menées par certains, qui mériteraient vraiment que les gouvernements et les associations de consommateurs prennent le sujet à bras le corps, ou le management façon goulag sibérien vécu dans de trop nombreux studios… Il y a largement de quoi s’indigner chaque jour de l’année sur un sujet différent.
Toutefois, il faut savoir raison garder et faire les bonnes critiques. Pour qu’une critique soit efficace, il faut qu’elle soit pertinente : ce doit être une arme acérée, à la précision chirurgicale. C’est quand elle est la plus juste qu’elle est la plus efficace. Ce qui demande des connaissances avancées du sujet qui est traité. Pour ce billet, par soucis de clarté, je prendrai un seul exemple, le dernier en date : Anthem. Mais son cas et les raisonnements dépliés plus bas peuvent être appliqués à pléthores de AAA sous stéroïdes. Revenons-en à nos moutons. Le jeu de Bioware est critiqué depuis sa première présentation pour diverses raisons, certaines étant tout à fait pertinentes, d’autres moins. Il est, du reste, un cas intéressant puisque non seulement les critiques sont arrivées avant que la moindre personne n’ait pu y jouer, mais en plus il a été comparé à Destiny et subit de facto les mêmes reproches que celui-ci. Une vision du shooter de Bungie qui est elle-même très souvent fantasmée, ce qui rend la comparaison encore plus difficile à asseoir. Alors, Anthem, un jeu sans âme ? Cela reste à prouver, d’autant que je crois que l’on peut faire confiance à Bioware là-dessus. Un jeu en kit, mitraillé de DLC ? Non, on sait d’ores et déjà qu’Electronic Arts va suivre le même plan qu’avec Star Wars : Battlefront II, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de DLC payants, mais de petites mises à jour gratuites qui ajouteront du contenu à Anthem. Les micro-transactions ne concerneront, elles, que des objets cosmétiques sans incidence sur le gameplay. Notez bien que le jeu sera peut-être décevant et ne plaira pas à de nombreux joueurs. C’est une possibilité qu’il ne faut pas écarter. Mais on jugera sur pièces, lorsque l’on aura le jeu complet entre les mains.
Ces éléments sont connus de tous, encore faut-il faire l’effort de les rechercher, et on sait comment internet fonctionne : on a le tacle glissé plus facile que la requête Google. En revanche, à la décharge de nombreux joueurs, il y a aussi ce qui moins connu, et donc souvent supposé, imaginé, fantasmé. Cela relève souvent du travail d’investigation et d’information des journalistes, qui doivent ici faire la lumière. Dans le cas de Bioware, certains s’imaginent un studio complètement asservi à la volonté de son éditeur ; mais il n’en est rien. D’après plusieurs sources, le studio bénéficie d’une position très particulière chez Electronic Arts : Bioware n’est certes pas indépendant mais conserve, de par sa situation géographique et son histoire, une identité et une façon de travailler qui lui est propre. Un avantage non négligeable mais qui ne le met pas pour autant à l’abri des ennuis. Qu’on se le dise, les studios font souvent d’eux-mêmes de nombreuses erreurs, sans que l’éditeur n’ait bougé d’un pouce.
Cette méconnaissance des sujets se retrouve dans de nombreuses critiques qui, de fait, ne sont pas prises au sérieux par les éditeurs. Call of Duty qui utiliserait le même moteur depuis 15 ans ? C’est faux, et d’ailleurs la plupart ne sait pas vraiment ce qu’est un moteur de jeu. FIFA, une simple mise à jour des effectifs vendue chaque année à prix fort ? N’importe quel joueur de FIFA vous dira le contraire, les modifications de gameplay sont souvent très nombreuses ; mais encore faut-il avoir suffisamment joué pour pouvoir s’en rendre compte. Des critiques, on peut en faire des tonnes, encore faut-il faire les bonnes. Trop souvent, elles se prétendent objectives et franches, mais masquent en fait une rancune, souvent compréhensible mais rarement raisonnable. Et aussi très partiale. D’autres noms mériteraient tout autant les foudres des joueurs, mais qui s’est réellement ému des affaires Quantic Dream ou Rockstar qui ont fait couler beaucoup d’encre, l’année dernière ? Pas grand monde en vérité.
Pourtant, ce n’est qu’en étant exigeant avec les éditeurs et les développeurs, mais aussi avec nous-mêmes, que nous parviendrons à améliorer cette industrie qui nous passionne tant et nous réunit. En étant pertinents dans nos critiques et nos requêtes, mais aussi dans nos comportements, alors peut-être réussirons-nous à faire changer les choses.