La localisation - ou l’adaptation d’une œuvre pour une région géographique spécifique - est source de débat et fait couler beaucoup d’encre. L’absence de version française s’avère parfois un obstacle infranchissable. Quand certains joueurs se plient aux choix de production des éditeurs, d’autres s’insurgent et boudent un jeu par conviction. Cependant l’absence de localisation en français est-elle vraiment préjudiciable ?
Des priorités économiques divergentes
Localiser un titre dans la langue de Molière n’est ni une simple question de bon vouloir, ni un caprice d’éditeur. Le choix d’adapter un contenu à une population n’a rien d’anodin et naît d’une stratégie établie bien en amont ainsi que de l’envergure de la firme derrière ledit jeu. Si la franchise phare de Square Enix propose des sous-titres en français depuis la sortie de Final Fantasy VII, d’autres séries rechignent face à l’ampleur de la tâche et au budget à allouer. La saga Yakuza boude les adaptations françaises. Et les résultats du sixième épisode valident la stratégie de Sega. Sur les 900 mille copies écoulées, les ventes occidentales en représentent la moitié. Le succès de Persona 5 est une preuve supplémentaire de l’efficacité de ces sagas à l’international, malgré l’absence de localisation à l'exception de l'anglais.
Pourtant, Sega pense à la France et tease une arrivée hypothétique des sous-titres. Mais est-il dans l’intérêt de l’éditeur de dépenser des sommes pharaoniques dans une localisation sans garantie de retour sur investissement ? Le choix de localiser un jeu dépend du genre et des joueurs ciblés. Certains ciblent un public de niche en occident, une communauté de fans acquise à leur cause et ayant grandi avec celles-ci. Pokémon, pour prendre un exemple diamétralement opposé, parle au plus grand nombre. Nintendo vise les jeunes joueurs, les anciens étant déjà attachés à la licence. Il est impensable d’assister à une sortie Pokémon sans sous-titres en français.
Je serais le premier ravi en découvrant du français dans toutes les productions vidéoludiques. Cela permettrait à la majorité des œuvres de défendre fièrement leurs couleurs sur nos terres. Du rêve à la réalité, il y a un chèque… qui n’est malheureusement pas en bois.
Deux visions du monde
Occidentaux et japonais ne répondent pas de la même manière aux attentes des joueurs. Les productions nippones se focalisent, selon les jeux, sur leur marché domestique (le Japon) avant de se tourner vers l’Europe et l’Amérique du Nord bien que cela ait tendance à changer depuis plusieurs années. Les exemples se multiplient. Danganronpa V3 et Dynasty Warriors 9 affichent fièrement leurs sous-titres en français. Cependant la palme de la localisation revient à Final fantasy XV et ses doublages dans notre langue ; premier épisode de la saga à oser ce pari... un effort accueilli comme il se doit par les joueurs. Néanmoins, ces arbres ne cachent pas bien longtemps la forêt.
Les éditeurs occidentaux ont compris l’intérêt d’une adaptation par région. Au-delà des ventes, ce positionnement accentue le poids de la franchise dans les pays ciblés. Leurs jeux supportent désormais entre 10 et 15 langues. Anglais, français, italien, allemand, espagnol, japonais, etc. ; cela devrait être considéré comme un indispensable et non une offrande généreuse.
Le mieux est l’ennemi du bien
Localiser un jeu, qui plus est verbeux, n’est pas de tout repos. Cela exige savoir-faire et agilité pour retranscrire au mieux les intentions des créatifs. “Traduire”... ce terme devrait être banni du langage des joueurs et des professionnels. Localisation rime avec adaptation. Et il arrive bien souvent que ces fameuses adaptations altèrent les intentions de réalisation. Franchir l'obstacle de la différence culturelle peut être délicat. Persona 5 a connu les affres d’une localisation en anglais décevante dégradant par moment la subtilité des dialogues et des arcs narratifs par simplification extrême ou par manque de variétés dans les textes.
Et si les fans de Telltale Games furent ravis de découvrir des sous-titres en français à la sortie de The Walking Dead: Michonne, la qualité de ces derniers en a agacé plus d’un. Non-sens total et fautes d’orthographe ruinaient l’expérience de jeu. Il n’est jamais bon de forcer le destin. Une adaptation ne peut se faire à la légère sans risquer de trébucher.
oui mais moi, je…
Réclamer une localisation en français pour un jeu sortant en France est légitime et personne ne peut le contester. Bouder une adaptation se résume à écarter violemment une partie de son public. A l’heure de la mondialisation, la barrière de la langue est inconcevable. Difficile si ce n’est impossible de profiter pleinement d’un titre quand un joueur ne comprend pas (même partiellement) les textes, les interfaces et les dialogues. Je comprends la colère des fans face à un titre uniquement disponible en version originale sous-titrée anglais.
Une oeuvre perd grandement de son intérêt avec la perte de sens. Le confort passe par la compréhension. Sans repères, le pauvre bougre se déplace à tâtons. Les réclamations face à cette “injustice” sont fondées et difficilement attaquables. Cela ne doit pas pour autant nous empêcher de nous ouvrir aux langues étrangères par curiosité ou désir d'apprendre. Le savoir est le nouvel opium du peuple.
Jouer avec un dictionnaire franco-anglais-japonais sur les genoux faisait le charme des productions vidéoludiques à l’orée des années 2000, mais cela doit cesser. Deux décennies se sont écoulées et les coupes budgétaires et autres décisions stratégiques ne peuvent justifier une telle absence. Le jeu vidéo doit mûrir et cela passe aussi par la localisation.