Ils s’appellent Hand of Fate 2, Slay the Spire, Choice Chamber, Warhammer : Vermintide 2 ou encore The Darwin Project et ils partagent un certain succès sur Twitch. Au-delà de leurs qualités respectives, chacun de ces jeux intègre à sa manière une fonctionnalité de plus en plus populaire : l’intégration d'interactions pensées pour le streaming. Influencer le cours d’une partie, aider ou pénaliser le joueur, voter pour un évènement aléatoire, le public ne se contente plus de regarder un streamer jouer, il joue désormais avec lui.
De la réaction à l'interaction
Depuis son explosion au cours des dernières années, le streaming cultive l’interactivité avec le spectateur. Face à d’autres médias au comportement de visionnage plus passif comme la télévision ou encore YouTube où seuls les commentaires permettent de laisser un avis qui ne trouvera la plupart du temps jamais de réponse, les plateformes de live, Twitch ou Mixer en tête, permettent au public de réagir et surtout d’interagir avec le diffuseur. Le chat est en effet un espace de discussion indissociable d’une bonne expérience de live, il crée une proximité immédiate entre streamer et viewers.
Toutefois, le niveau d’interaction entre les deux parties est clairement passé au niveau supérieur depuis certaines initiatives à l’influence aujourd’hui palpable sur la scène du streaming. Le phénomène trouve sa source en février 2014 avec Twitch Plays Pokémon, un précurseur en la matière. Grâce à une série de bidouillages IRC et autres scripts Python, des petits malins avaient réussi le tour de force de laisser l'ensemble des spectateurs prendre la main sur le jeu et décider du déroulement de l’aventure grâce à une série d’inputs. Si le résultat avait le plus souvent des airs de foire à la saucisse faute de réelle organisation entre des dizaines de milliers de viewers, le chat est parvenu à boucler la Ligue Pokémon après 16 jours de votes intensifs. La graine était semée, le spectateur pouvait désormais adopter un rôle plus actif devant une diffusion en direct.
Le succès a été tel que Twitch a lancé quelques mois plus tard une nouvelle catégorie nommée “Twitch Plays” de manière à regrouper ce genre d’initiatives. Certains n'hésitent pas à les comparer à de véritables expériences sociales proches d'une forme de démocratie en action où les actions de chacun contribuent à conduire la destinée de tous. D’autres stream sur le même modèle ont par la suite connu un joli succès, citons par exemple Twitch Play Dark Souls dont le chat a réussi à défaire Gwyn le Seigneur des Cendres après 43 jours de spam sur le chat. Conscient du potentiel de cette fonctionnalité, Twitch a peu à peu ouvert ses outils de développement aux créateurs afin de faciliter leur approche de l’intégration. La dernière version de son API (Interface de Programmation Applicative) contient le nécessaire pour inclure des fonctionnalités d'interactions de streaming.
Quand le spectateur devient joueur
Bien qu’aucune étude officielle ne démontre l’impact direct sur les ventes d’une forte présence sur les plateformes de diffusion live, il suffit simplement de comparer la liste des jeux les plus regardés sur Twitch à celle des titres les plus vendus sur Steam pour constater un lien étroit entre les deux. Un titre comme Slay The Spire, sorti en novembre 2017, a par exemple explosé à la fin du mois de janvier 2018 après qu’une brochette de streamers populaires l’aient diffusé sur leur chaîne. L’intégration Twitch présente un intérêt partagé pour les studios et les streamers. Les premiers augmentent leurs chances d’être mis en avant sur les plateformes de diffusion tandis que les seconds disposent d’un nouveau moyen de renforcer leur proximité avec leur audience.
La gamme des interactions proposées à l’heure actuelle par les jeux “Twitch ready” se limite à un panel encore restreint qui ne demande qu'à s'étoffer. L’intégration la plus basique prend la forme d’un vote permettant d’influencer certains aspects du jeu. Vermintide 2 propose par exemple au public de choisir à intervalle régulier entre plusieurs évènements afin de venir en aide ou de mettre en danger le streamer. Même chose pour Hand of Fate 2 où le chat détient le pouvoir de récompenser ou de punir le joueur à des moments clé de sa progression. Le chat endosse en ce sens la double casquette de sauveur et d’antagoniste en fonction de la majorité déterminée par les votes.
Une poignée de développeurs tente aujourd'hui d'aller encore plus loin dans le concept d’interaction dans le but d'intégrer plus directement le spectateur au jeu qu’il est en train de regarder. Wastelanders place ainsi le viewer dans la peau d’une créature dirigée par le streamer, mais dont les attaques ne dépendent que des ordres directs du spectateur. Le chat va emmagasiner de l’expérience au fil de ses actions pour ensuite améliorer son équipement et sa puissance de feu. Le succès de la fonctionnalité est désormais tel que des titres entiers, comme Choice Chamber pour ne citer que lui, sont entièrement construits autour de l’idée du streaming et du contrôle direct du public.
Au-delà de son impact sur notre manière de consommer le jeu vidéo, le streaming étend désormais son influence à la conception même des jeux et brouille de plus en plus les frontières entre l’action de jouer et celle de regarder. Cette nouvelle forme de coopération sociale à grande échelle semble être bien partie pour être l'une des grandes tendances des années à venir pour l'industrie.