Nous sommes le 18 octobre 2001. À Redmond, dans l'état de Washington, les équipes de Robbie Bach, Ed Fries, Jay Allard et Seamus Blackley s'affairent aux derniers préparatifs de lancement de la Xbox, la première console de Microsoft. Un peu plus loin sur le campus, le studio Bungie vient de mettre un point final au développement de Halo : Combat Evolved, un titre en préparation depuis déjà plus de trois ans. Le jeu a été le sujet de nombreux fantasmes lors de sa première présentation, deux ans auparavant et la presse a longtemps couvert ce qui s'annonçait être une petite merveille de technologie. Mais le rachat de Bungie par Microsoft, et un temps de développement conséquent ont suffi pour que Halo disparaisse petit à petit des radars. Chez Microsoft, comme dans la presse spécialisée, l'on n'est même pas certain que Halo sera la star de la Xbox.

Halo, avant qu'il ne devienne un FPS sur Xbox

Aujourd'hui, et plus de 70 millions de copies écoulées, Halo est définitivement lié à la marque Xbox. Bungie est parti mais le Master Chief, lui, est resté. Ses aventures ont évolué, il a rencontré de nouveaux personnages et combattu dans de nombreux mondes, depuis ses premiers par sur Halo. Pourtant, sa popularité est en baisse et si Halo est toujours l'un des piliers de la marque Xbox, cette icône des années 2000 semble moins intouchable.

Une nouvelle icône

Mais pourquoi Halo est-il devenu ce qu'il est aujourd'hui ? Pour comprendre l'importance de la série dans l'histoire de Xbox, et même dans l'histoire du jeu vidéo, il faut remonter à la toute fin des années 90. Avant sa sortie en novembre 2001, celui qui est désormais appelé Halo : Combat Evolved a connu bien des visages depuis sa première présentation presse à l'E3 1999. D'abord envisagé en tant que RTS, le jeu s'est rapidement muté en TPS, avant de devenir un FPS, sous l'impulsion de Jason Jones (co-fondateur de Bungie et réalisateur de Halo) et Marcus Lehto (directeur artistique). La chose devient publique lorsque Jasons Jones présente son bébé à l'occasion du MacWorld 1999, où il crée la surprise. Le public aura surtout retenu l'impressionnante démonstration technique que représentait le jeu. Ses vastes environnements, son intelligence artificielle, ses effets de lumière, son moteur physique... Le soft, alors un TPS développé pour PC, s'annonçait déjà comme une petite révolution technique. Et ce n'est pas son adaptation sur Xbox, qui aura pourtant demandé quelques concessions, qui changera les choses. Lors des premiers tests, les journalistes s'étonnent de la richesse des environnements, des transitions sans temps de chargement lors des passages d'environnements intérieurs à environnements extérieurs. Ils expliquent dans des encadrés en quoi consiste la technique du bump-mapping, alors avant-gardiste, ou font des captures d'écran des pelouses de Halo, pour montrer l'impressionnant travail des graphistes de Bungie. Le jeu prouve que la Xbox est, de loin, la machine la plus puissante du moment.

L'herbe du premier Halo a beaucoup fait parler d'elle à l'époque

Pourtant, si Halo va vite s'imposer au début des années 2000 comme l'un des jeux du moment, ce n'est pas juste grâce à ses graphismes. Il propose bien plus que cela. Les joueurs adorent son histoire haletante, son univers envoûtant ou encore les splendides compositions qui rythment les combats. Mais surtout, Halo : Combat Evolved offre un plaisir de jeu absolument sans pareil, pour un FPS console. À l'époque, ceux que l'on appelle encore majoritairement des « Doom-like » étaient presque exclusivement réservés au PC. S'il existe quelques contre-exemples sur Nintendo 64 (GoldenEye 007, Perfect Dark), aucun n'a réussi à proposer le même confort de jeu, la même précision, le même dynamisme que Halo. Ce dernier représente une petite révolution, car il n'existe alors rien de semblable sur console. C'est ce qui va séduire les joueurs et transformer le titre de Bungie en réussite commerciale. Le jeu dépasse rapidement les plusieurs millions d'exemplaires écoulés, fait rare à l'époque ; lors des premiers mois de vente de la Xbox, 80 % des acheteurs l'accompagnent d'une copie de Halo. Ainsi, au début des années 2000, le Master Chief devient rapidement une icône populaire, au même titre que Mario, Lara Croft ou Crash Bandicoot.

La sortie de Halo 2, en le 9 novembre 2004, va entériner ce succès. Après un développement compliqué, le titre finit par délivrer toutes ses promesses, notamment en ligne. Car en décembre 2002, Microsoft lance le Xbox Live, son service de jeu online. Conçu avec le concours des ingénieurs de Bungie, le Xbox Live veut être un véritable « fauteuil virtuel », pour permettre aux joueurs de retrouver les sensations d'une partie entre copains qui joueraient sur le même canapé. Pari réussi avec Halo 2 : deux tiers des abonnés Xbox Live sont des joueurs de Halo 2. Après une attente interminable et une campagne orchestrée de main de maître par Bungie et Microsoft, le jeu explose les records en se vendant à 2,38 millions d'exemplaires en une seule journée, rien qu'en Amérique du Nord. C'est Halo qui donne une raison d'être au Xbox Live et qui ainsi lance la démocratisation du jeu en ligne, qui se généralise la génération suivante, d'une part avec le succès de la Xbox 360, mais aussi de celui de Halo 3. Pourtant à l'époque, de nombreux analystes, journalistes et représentants de l'industrie se montraient assez dubitatifs quant au potentiel du jeu en ligne sur console. Halo et le Xbox Live ont démontré qu'avec une interface adaptée et des jeux taillés sur mesure, les joueurs consoles pouvaient aussi apprécier le jeu en ligne.

Âge d'or, avant la chute

Autant dire que le succès de Halo est très largement responsable de celui de la marque Xbox : chez Microsoft, on le reconnaît sans problème. Si Microsoft a perdu plusieurs milliards de dollars en lançant sa première console de salon, la franchise Halo a permis d'écouler de très nombreuses consoles et a donné un certain prestige à la marque Xbox. C'est donc sur la génération suivante que le géant du logiciel récolte les fruits de son labeur. La Xbox 360 cartonne, notamment grâce au Xbox Live dont la population gonfle de mois en mois. Là encore, Halo laisse sa trace puisqu'une bonne partie des nouvelles fonctionnalités de ce Xbox Live 2.0 sont directement tirée de Halo 2. Les sorties de Halo 3 et plus tard de Halo Reach attirent de très nombreux nouveaux joueurs, à une époque où le jeu vidéo se démocratise de plus en plus. Halo n'est pas joué uniquement par une base de fans hardcore, il l'est également par des millions de personnes à travers le monde, du joueur compétitif au joueur plus occasionnel, friand de campagnes en écran scindé. C'est le console-seller par excellence : un an après la sortie de Halo 3, la Xbox 360 s'est écoulé à 17 millions d'unités, tandis que le jeu star de la console dépasse la barre des 8 millions d'exemplaires. C'est-à-dire que presque une propriétaire de 360 sur deux est également un joueur de Halo 3. Microsoft et Xbox marchent sur l'eau, mais les choses vont se compliquer.

Halo 3 représente l'apogée de la longue vie de la licence Halo

Lorsque Halo 3 sort en 2007, il est suivi, deux mois plus tard, par Call of Duty 4 : Modern Warfare. La série gagnait en popularité depuis plusieurs années mais c'est vraiment avec ce quatrième épisode qu'elle prend son envol. Le titre d'Infinity Ward et ses suites séduisent toujours plus de nouveaux joueurs, ce qui ne sera pas sans conséquence sur le reste de l'industrie. Côté game-design, notamment. Alors que Call of Duty s'est lui-même très largement inspiré de Halo dans certaines de ses mécaniques, Bungie va, comme d'autres, aller regarder du côté de la concurrence pour renouveler sa série. C'est flagrant lorsque sort, en 2010, Halo Reach. Ce dernier Halo de Bungie propose une campagne absolument passionnante mais son multijoueur est marqué par des influences assez évidentes. Paquetages préconçus, capacités spéciales et bloom sur certaines armes vont modifier la structure des parties et, plus simplement, la façon dont l'on joue à Halo. Les fans de la première heure râlent, tandis que les petits nouveaux sont de plus en plus nombreux à préférer Call of Duty, ou même Battlefield. L'avalanche de FPS dans la seconde moitié des années 2000 contribue également à une certaine forme de rejet par une partie des joueurs. Le FPS devient alors le genre des « Kevin », des « kikoolol » ; certains le relèguent même au rang de sous-genre, tout juste bon à aérer l'esprit de temps à autre.

La sortie de Halo 4, en 2012, n'arrange pas les choses. Si de nombreux fans sont curieux de poursuivre l'aventure et donc d'avoir les réponses aux questions posées par la vraie fin de Halo 3, ils vont vite déchanter. Malgré une campagne plutôt réussie et de nombreuses bonnes idées, Halo 4 va plus loin dans la « modernisation », lorgnant toujours plus du côté de Call of Duty. Paquetages personnalisables, Atouts, killstreak, le titre ne trouve pas vraiment la bonne formule, ce qui lui vaut un véritable désamour, au point qu'il est probablement, à ce jour, l'épisode le moins populaire de la série. Les derniers mois de vie de la Xbox 360 sont donc assez pénibles. Les troupes de Don Mattrick ont les yeux tournés vers le futur et alors que Sony délivre encore quelques dernières exclusivités de qualité, comme l'excellent The Last of Us, la console de Microsoft décroit. Si Halo 4 devait soutenir la machine le temps que débarque la Xbox One, c'est manqué : le jeu se vend plutôt très bien, mais la population en ligne décroit et l'ajout de nouveaux contenus ne change rien à l'affaire. Pire encore, côté ventes, la PlayStation 3 rattrape la Xbox 360 et la dépasse d'une tête lors de la photo finish.

En 2015, la sortie de Halo 5 : Guardians arrange passablement les choses puisque le jeu assume plus clairement ses influences et propose un gameplay mieux équilibré, plus fin. C'est, en somme, la parfaite synthèse de touches de modernité (dash, aim-down-sight...) et de ce qui fait fondamentalement Halo (teamplay, design des maps, équilibrage des armes, triangle arme - grenade - corps à corps...). Malgré cela, 343 Industries n'évite pas les critiques puisque le studio a préféré faire une croix sur le mode écran splitté, pourtant l'un des piliers historiques de ce qu'est Halo. Beaucoup de joueurs ont découvert Halo grâce à cette fonctionnalité et elle est solidement ancrée dans l'imaginaire de nombreux joueurs, pour qui Halo est d'abord une histoire de moments de partage. C'est un nouveau coup dur porté à l'image de la saga, mais aussi une raison de plus pour certains de se détacher de la saga, et donc de la marque Xbox.

L'absence de modes de jeu en écran scindé a été fatale à Halo 5, qui a été boycotté par de nombreux joueurs. Halo 6 ne fera pas la même erreur, a assuré Bonnie Ross, la patronne de 343 Industries

C'est grave docteur ?

On l'aura compris, si la saga a perdu de son lustre depuis déjà plusieurs années, il n'a pas fallu attendre les erreurs de game-design de Halo Reach pour cela. Certains défauts du jeu ont peut-être signé le début de la fin, mais il faut également tenir compte de la montée en popularité d'autres jeux et d'autres genres. Une grande partie des joueurs s'est tout simplement lassée et aujourd'hui, il ne reste plus que le noyau dur de cette communauté, les fans les plus fidèles. On serait alors tenté de croire qu'une bonne partie de ces fans regrettent « le bon vieux temps » et c'est probablement un peu vrai, mais cela ne se manifeste pas dans les faits. En tout cas si l'on s'en réfère à la popularité de Halo : The Master Chief Collection face à celle de Halo 5 : Guardians. Il suffit de lancer le jeu quelques minutes pour comprendre que la plupart des playlists sont désertées et que les quelques joueurs restants se concentrent tous sur la première, qui permet de jouer rapidement à des parties de Team Slayer sur Halo, Halo 2, Halo 2 Anniversaire, Halo 3 et Halo 4. Les deux jeux se sont plus bien vendus (autour de 5 millions pour la Master Chief Collection, autour de 7 pour Halo 5), mais la Master Chief Collection a connu un lancement extrêmement difficile, entre matchmaking cassé et bugs divers et variés. Pas la meilleure façon de retenir les joueurs...

De son côté, Halo 5 fonctionne toujours très bien, et c'est avant tout grâce à la communauté de fans, qui reste très active. Ils sont certes moins nombreux que fut un temps, mais ils sont toujours aussi impliqués, attendant impatiemment chaque nouvelle sur la licence, de la moindre micro-info concernant le futur de la licence, ou la sortie prochaine d'une bande dessinée ou d'un roman. 343 Industries, à travers la personne de Frank O'Connor, a continué le travail de cross-média entrepris par Bungie, avant même la sortie du premier jeu. L'univers se décline à toutes les sauces et enrichit le déjà très étoffé lore de la série. Aux USA, les nouveaux romans se font régulièrement une place dans la liste des best-sellers du New York Time, qui classe les meilleures ventes hebdomadaires de livres, à travers le pays. Rajoutons que la communauté a logiquement vieilli et dispose donc d'un pouvoir d'achat plus conséquent, ce qui n'est pas sans incidence sur la bonne santé de la licence, qui génère toujours autant de revenus pour Microsoft.

Les joueurs sont donc toujours là et en plus ils n'hésitent pas à mettre la main à la poche, que ce soit pour acheter des jeux, des produits dérivés ou investir dans le système de micro-transactions de Halo 5. Ce dernier, pourtant tout à fait optionnel et assez peu mis en avant par le jeu (selon les standards actuels) rapporte énormément à Microsoft qui a ainsi pu booster les cash prize des Halo World Championship, qui connaissent toujours un certain succès. Alors forcément à Redmond, on doit être plutôt confiants.

Le futur

Faut-il s'inquiéter pour Halo 6 et le futur de la licence ? Eh bien, pas vraiment. Si les joueurs peuvent légitimement se poser des questions quant à l'orientation du scénario, ou certains choix de gameplay, la série reste encore suffisamment populaire et le suivi exemplaire de Halo 5, depuis son lancement, démontre la grande réactivité et de l'ambition de 343 Industries. Après avoir loupé le coche avec Halo 4, le studio avait fort à faire pour se rattraper et y est parvenu, tout du moins en partie. Il reste encore une bonne marge de progression mais ce que l'on a pu voir depuis octobre 2015 a de quoi rassurer. Halo 5 a continuellement été mis à jour, avec chaque mois l'arrivée de nouveaux contenus, de nouvelles maps, de nouvelles armures, de nouveaux modes de jeux, qui étaient tous gratuits. Le succès des micro-transactions du jeu prouve également qu'à l'inverse de certains studios et éditeurs, 343 Industries et Microsoft ont compris l'importance de ne pas les pousser à travers certaines mécaniques de gameplay. Le jeu parvient donc à générer des profits sur le long terme, sans frustrer les joueurs.

Halo 6 devrait s'inspirer de cette même logique mais il ne faudra également qu'il corrige certains défauts de son prédécesseur, à commencer par le manque de jeux en écran splitté, avec pourquoi pas le retour d'un véritable mode Baptême du feu, jouable en local. Si Xbox a appris à vivre sans Halo ces derniers temps, la licence doit retrouver son rôle de vitrine technique, perdue depuis Halo 3. La Xbox One X, lancée en novembre dernier, peut certes compter sur Forza Motorsport 7 ou quelques jeux tiers (Assassin's Creed Origins, The Witcher 3 : Wild Hunt...) mais leur aura n'est en rien comparable à celle de Halo, du moins pas sur Xbox. 343 Industries en a les moyens, on l'a vu : Halo 4 est probablement l'un des plus beaux jeux de la Xbox 360 et Halo 5 : Guardians faisait déjà des merveilles sur Xbox One. Mais le « monstre » de Xbox cherche encore sa killer-app et Halo 6 pourrait incarner cette figure.

Toutefois, 343 Industries semble indiquer que le jeu ne sortira pas cette année, quand bien même le "planning" habituel de la série le laisse présumer. Pourtant, si Microsoft venait à repousser la sortie d'un hypothétique Halo 6 à 2019, on peine à voir comment la série pourrait représenter la Xbox One X sur le marché, a fortiori si celle-ci venait à être remplacée dès l'année suivante par une nouvelle Xbox. Le prochain Halo majeur pourrait-il paraître sur la petite soeur de la One ? C'est tout à fait envisageable. Quoi qu'il en soit, on restera à l'affut et l'on ne serait pas étonné si, à l'E3 prochain, 343 Industries avait quelque chose à nous dévoiler.