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20 000. Point n'est question ici du nombre de lieues sous les mers, mais de la somme d'argent investie dans un seul jeu vidéo dont l'accès est rendu gratuit par un individu que l'on peut qualifier de "baleine".
L'avis d'un lecteur n'a pas pour but de refléter celui de la rédaction du site, ni de celui des lecteurs dudit site.
Si l'on grince parfois des dents en achetant un jeu vidéo à 70 euros, un collector à 110 ou une console à 400, certains ne voient pas d'un mauvais œil ces prix, pas plus que les sacro-saintes microtransactions. Les baleines pèsent de plus en plus sur le marché, c'est indéniable ; pour le meilleur ou pour le pire ?
Tout d’abord, tombons d’accord sur la définition du thème : les baleines, quézaco ? Cette expression est employée pour définir ces joueurs qui injectent massivement de l’argent réel dans des jeux vidéo disposant de microtransactions ; à noter que les "baleines" peuvent être des joueurs occasionnels comme hardcore. C'est principalement sur eux que compte l'industrie du mobile, c'est également vers eux qu'il faut se tourner pour faire vivre un free-to-play et le faire perdurer sur plusieurs années.
Ainsi, le compte twitter de jeuxvideo.com demandait le 26 novembre quelles étaient les plus grosses dépenses des joueurs :
Et sinon, quel est le jeu qui vous a fait dépenser le plus d'argent ? 🤑
— JV - Jeux vidéo (@JVCom) November 24, 2017
Achat d'un collector, mais également produits dérivés, DLC, extensions diverses, TOUT compte ! Assumez le total dépensé ! 😄 pic.twitter.com/91V6j7xkkS
LES BALEINES, C’EST LES AUTRES
L’occasion pour chacun de regarder dans le rétroviseur de sa vie de joueur, et analyser ses consommations. L’estimation des baleines s’échelonne entre 0.5 et 5%. De nombreuses réponses valent le coup d'œil, mais nous n'en présenterons que quelques-unes.
LE PLANCTON DE TES MORTS
Les chalutiers que sont les industriels du jeu vidéo amassent des profits considérables et en constante augmentation depuis plusieurs années. Les "whales", comme le révélaient il y a quelques temps la plateforme Swrve, font vivre le marché du jeu vidéo mobile : 64% du chiffre d’affaire étant réalisé par… 0,23% des joueurs. 0,23% ! Le pourcentage peut surprendre, tant la part semble infime. Et pourtant, Ubisoft annonçait il y a quelques semaines jouir de chiffres record sur les ventes digitales et contenus additionnels. Il convient toutefois de différencier les microtransactions des DLC, versions collector, "Deluxe" et autres, qui ne proposent pas les mêmes contenus et n'ont pas vocation à séduire les mêmes profils de joueurs.
LE CAS STAR WARS : PAY-TO-WINFRONT 2
Il est là, devant nous. C’est le point de non-retour, selon bon nombre de professionnels et nous le devons à EA et sa dernière engeance, j’ai nommé Star Wars : Battlefront II. Sans revenir en détail sur le cas, précisons que le jeu est devenu ce que l’on peut appeler, non sans déplaisir, un "Pay to Pay-to-Win". Le joueur achète ainsi une boîte à 70 euros, pour ensuite accéder à un contenu le frustrant et confisquant une partie du jeu sous peine de devoir (re)casquer. Les baleines suivront-elles ? Jusqu'où peut aller un éditeur pour palier ses coûts de développements, rendus toujours plus conséquents et longs ?
ON DIT MERCI QUI ?
Néanmoins, et selon toute vraisemblance, les baleines permettent de faire vivre des projets divers, parfois dont les moyens sont modestes. Cela permet donc aux joueurs ne déboursant pas un centime de profiter d'un contenu rarement famélique, puisqu'amorti par les fameuses "whales". Ceci d'autant plus qu’il existe autant de profils différents que de cétacés dans les océans. Une baleine peut par exemple injecter 30 euros par mois en cosmétiques et autres achats intégrés, et à côté de cela ne pas acheter plus d’un jeu à l’année.
À l’inverse, un autre joueur peut acheter un jeu tous les deux mois et revenir au même résultat financier : la différence est que l’un reste fidèle à un jeu, s’y investit et devient véritablement un expert en la matière, quand l’autre survole et papillonne sur plusieurs itérations l’ayant un temps enchanté. Si le célèbre MOBA League of Legends possède un modèle réellement free-to-play, qui plus est disposant d'autant de contenus, c’est évidemment grâce aux achats massifs de microtransactions intégrées. Autrement dit, les baleines seraient des mécènes et auraient un rôle essentiel dans le marché…
"INDIGNEZ-VOUS", LE PROCHAIN LEITMOTIV ?
Pour autant, la carte bleue est depuis toujours un bulletin de vote. Acheter, c’est donner son aval au produit ; c’est l’accepter, c’est pérenniser la pratique. Pour donner un exemple édifiant, le coton ouzbek donne de la sueur de travailleurs forcés à qui le porte en toute connaissance de cause, c'est-à-dire si l'on sait d'où il vient et qui l'a fabriqué. Ainsi, les éditeurs ne se seraient pas autant investis dans le microtransactions, en les intégrant jusqu’à plus soif dans leur jeu si cela ne marchait pas autant.
Payer pour aller plus vite ou pour être plus fort que les autres par manque de temps ou d'argent.
Entre le boycott et le "buycott", la ligne est parfois très fine. Ces pratiques d’industriels qui nous font désigner les pay-to-win parmi les free-to-play ne sont pas arrivées seules ; il a fallu des joueurs pour les rentabiliser. Sans porter aucun jugement de valeur, certaines licences tirent peut-être trop la corde et profitent des joueurs fragiles parmi la tranche d'âge la plus basse.
UN AUTRE MONDE
Dans plusieurs situations, on peut assimiler certains jeux intégrant des microtransactions à des jeux de hasard ; ce débat constitua d'ailleurs une actualité brûlante ces derniers temps. Si cela est avéré, alors les classifications PEGI vont très certainement passer ces jeux à 18 ans, jeux d'argent oblige. On entend chaque jour à la radio et à la télévision, parmi les publicités vantant telles marques de paris sportif, qu'il faut faire attention pour ne pas en devenir dépendant. Aurons-nous le droit à ces messages d'avertissements dans les trailers, sur les jaquettes de jeux, dans le hub même de ces derniers ?
Un finlandais trentenaire, "Ze Jodecast", contait il y a quelques temps en conférence avoir dépensé 20 000 euros dans le célèbre jeu mobile Clash of Clans afin d'en devenir le joueur numéro 1. Celui qui a dit que la plate-forme YouTube était "regardée par les enfants et les pauvres" chérit donc son rôle de baleine et semble en éprouver même une fierté. Son point de vue consiste à faire l’analogie entre un bon jeu vidéo et un bon vin, de sorte qu’un jeu qu’il considère excellent mérite un tarif… excellent. Des propos que l'on jurerait exagérés voire ironiques, mais son histoire est vraie. Un moyen pour une classe (très) aisée de rendre élitiste et clivant le loisir qui nous réunit ici.
Sans vouloir verser dans l'euphémisme, reste que ces joueurs ne trichent pas, et font parfois vivre d'ambitieux projets motivés par une envie de bien faire. Roublards, opportunistes ou formidables mécènes ? Peut-être que ces baleines sont un peu de tout cela à la fois.
Nous avons sûrement presque tous été la baleine d'un jeu, à notre échelle : du MMO mondialement connu à Angry Birds, du plus obscur F2P mobile au mastodonte qu'est League of Legends. Reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle !