Bien que son nom évoque davantage une boîte de production d'effets spéciaux, SFX fut en 2003 le tout premier nom de code d'un jeu qui initiera l'une des sagas majeures du jeu vidéo : Mass Effect. Finalement sorti le 20 novembre 2007 et le 23 dans nos vertes contrées, l'épisode fondateur de la série souffle donc sa 10e bougie cette semaine : l'occasion idéale de lui souhaiter un bon anniversaire tout en s'attardant un instant sur la franchise phare de Bioware, qui aura brillé pour son univers et sa narration tout en rêvant de se poser comme une référence de l'exploration spatiale.
Les connaisseurs de la saga ont sans doute profité de la sortie du 3e épisode pour se procurer les fameuses Final Hours, une série de documents permettant de découvrir les origines de la création de celle que nous qualifions alors de trilogie. Outre une vidéo prototype du FPS annulé Mass Effect : Team Assault et quelques images et informations sur le combat de boss annulé contre l'homme trouble, il était ainsi possible d'y trouver des documents évoquant les bases du projet original.
De SFX à Mass Effect
L'un d'entre eux, daté à seulement quelques jours après la sortie de Knights of the Old Republic, évoque justement le placement envisagé par celui que l'on appelait alors SFX vis-à-vis du précédent titre du studio Bioware : s'il compte bien reprendre les bases du gameplay de KOTOR, celui-ci entend tout de même proposer une approche plus dynamique des combats et souhaite être plus accessible au grand public. Plusieurs éléments forgeant les bases de la série sont déjà bien présents dans les documents préparatoires, comme le nombre de combattants limité à un petit groupe, l'exploration libre de vastes zones ou la présence d'une histoire centrée autour de personnages soignés.
En parallèle de ces éléments qui seront effectivement conservés, d'autres resteront toutefois à l'état d'idées comme la volonté de profiter des capacités de la future Xbox 360 (alors nommée officieusement Xbox 2) pour proposer un système de génération procédurale de planètes, couplé à un live amélioré permettant de commercer et communiquer avec d'autres joueurs que vous rencontreriez dans vos parties. Des ambitions certes revues à la baisse, mais qui n'ont pas empêché Mass Effect d'être un titre de grande qualité à l'heure de son lancement. Quelques mois après le premier, un second document apportait quelques précisions sur les mécaniques de jeux, mais posait surtout les bases du scénario de l'épisode fondateur.
Une question de moralité
Celui-ci doit d'ailleurs beaucoup à Drew Karpyshyn, qui a souhaité offrir à cette nouvelle licence une histoire SF se démarquant des standards du genre. Ainsi, le joueur est placé au cœur du futur de l'humanité après que ces derniers aient découvert un relais cosmodésique, sorte de portail vers d'autres mondes qui vont amener notre race à rencontrer les Turiens. Ces derniers accuseront les humains d'activer les relais à l'insu du conseil de la Citadelle, qui fait office de gouvernance au sein de la galaxie. La "guerre du premier contact" initiée par cette rencontre sera stoppée rapidement par le conseil en question, conscient que l'humanité n'avait aucune intention belliqueuse.
L'originalité du propos de Mass Effect tient dans la place de l'humanité. Habituée à être soit dépeinte comme un colon peu regardant, soit représentée comme la victime d'un envahisseur technologiquement plus avancé, celle-ci se retrouve ici dans la position d'une race cherchant sa place dans un conseil méfiant vis-à-vis d'elle. Un choix qui permettra alors à Drew Karpyshyn de mettre en place un autre de ses désirs, à savoir instaurer un système de choix aboutissant à des dilemmes moraux qui auront de véritables conséquences sur le scénario du titre :
Est-ce une bonne chose de faire ceci pour de mauvaises raisons ou est-ce une mauvaise chose de faire cela pour de bonnes raisons ? Est-ce vraiment justifié ? C’est cette voie que nous avons tenté d’explorer avec ces réponses multiples. Le joueur doit décider seul de la manière dont il doit résoudre telle ou telle situation et en assumer les conséquences.
Quand l'action et la narration éclipsent l'exploration
Inutile de préciser que sur ce point, la série de Bioware a su répondre aux promesses, nous permettant de façonner la personnalité et l'orientation morale de Shepard tout au long d'une trilogie riche en événements épiques et en rebondissements. C'est d'ailleurs autour de ce système plus que sur l'exploration que se sont façonnés les deux épisodes qui ont suivi l'opus original. Moins ouvert, Mass Effect 2 fait tout de même office d'épisode le plus abouti de la saga grâce à son côté action plus assumé, couplé à une histoire soignée et un univers plus travaillé que jamais. Son introduction bluffante et sa dernière séquence, une mission suicide teasée (et crainte) tout au long de l'aventure restent encore dans la mémoire de nombreux joueurs à l'heure d'évoquer leurs meilleurs souvenirs de la trilogie.
Mass Effect 3 poursuivra dans cette direction, y ajoutant une dimension épique encore plus prononcée à laquelle viendront, bonus appréciable, se greffer plusieurs contenus additionnels de très bonne facture. Confirmant les choix de game design de son prédécesseur, il finira d'installer la série comme l'un des meilleurs, si ce n'est le meilleur space opera du jeu vidéo grâce à sa narration soignée et son background travaillé.
Celle-ci aura tout de même calé dans le dernier virage en faisant fi de nos choix passés pour proposer une fin controversée, qui ne manquera pas de relancer un débat passionné entre les défenseurs de cette fin SF pourtant loin d'être honteuse, et ceux qui regrettent avant tout son caractère trop abrupt. Signe que l'histoire ne pouvait se finir ainsi, Bioware mettra d'ailleurs son titre à jour pour proposer une fin étendue qui apportera un épilogue plus riche en réponses et une véritable conclusion à la saga. Enfin ça, c'était avant de la voir revenir sous une nouvelle forme… et dans une nouvelle galaxie.
Andromeda… Et au-delà ?
Annoncé officiellement pendant l'E3 2015 et sorti moins de deux ans plus tard, Mass Effect Andromeda aura connu une gestation plus que compliquée. Détail cocasse, c'est en voulant mener à bien un projet abandonné pendant le développement du premier opus que l'équipe va finalement se prendre les pieds dans le tapis : celle-ci souhaitait en effet proposer une génération procédurale de planètes pour densifier l'expérience. Après plusieurs années dans cette direction, le projet changera finalement d'orientation, la faute à un moteur non adapté à l'expérience procédurale (mais qui aura au moins un effet bénéfique sur le Mako, véhicule ici utilisé) et un résultat finalement peu convaincant, le tout sur fond de problèmes politiques qui aboutiront notamment à un changement de directeur créatif en cours de route.
Moins de deux mois après le lancement de Mass Effect Andromeda, Bioware Montréal perd une partie de son effectif, venu renforcer ceux de Motive alors à l’œuvre sur Star Wars Battlefront II. Un choix qui a forcément soulevé quelques questions sur l'avenir du studio et surtout de la licence, d'autant plus qu'un break est alors évoqué par nos confrères de Kotaku, citant des sources proches de l'entreprise. S'il reste prudent, Patrick Söderlund (vice-président exécutif d'Electronic Arts) n'exclut pourtant pas de voir la licence revenir à terme :
Mass Effect, en tant que franchise, a une énorme base de fans, et j'ai vu des gens dire "oh, EA ne fait pas d'autres Mass Effect". Je ne vois pas de raison justifiant que nous ne revenions pas à Mass Effect. Pourquoi pas ? C'est un univers spectaculaire, c'est une série adorée et c'est un jeu qui a fait beaucoup pour EA et Bioware. Mais ce à quoi nous devons faire attention, quelque soit le moment où nous revenons à Mass Effect, est de nous assurer d'y revenir d'une manière pertinente et excitante. C'est mon travail et celui de Casey Hudson, de Bioware et des équipes de Mass Effect de savoir à quoi cela ressemblera, nous ne le savons pas encore, mais nous le saurons.
Reste à connaître la forme d'un nouveau Mass Effect et surtout sa potentielle date de retour, au regard d'un marché du AAA en pleine évolution et des restructurations récentes des différents studios d'Electronic Arts. Car si l'heure est plus à la commémoration qu'aux projections hâtives, s'interdire de rêver au sujet d'une série qui aime nous mettre la tête dans les étoiles serait quand même un comble.
Bon anniversaire, Mass Effect !