Depuis sa sortie, la Nintendo Switch est un véritable carton planétaire, réussissant à séduire à nouveau un public gamer. Si ce succès est notamment dû au format hybride de la console, la ludothèque de la console y est aussi pour beaucoup, les licences Nintendo étant au summum de leur forme. Si des jeux comme Super Mario Odyssey (futur proche) ou Metroid Prime 4 (futur lointain) semblent déjà assurer la pérennité de la machine, il existe encore une inconnue : le AAA de Retro Studios, le développeur affilié Nintendo le plus encensé de ces quinze dernières années. Un silence étrange, et peut-être inquiétant.
La série des Metroid Prime, le retour de Donkey Kong Country, leur participation à Mario Kart 7, chaque intervention de Retro Studios dans le monde du jeu vidéo a été accueillie par des wagons de louanges. Depuis 2002, la boîte américaine fait le bonheur de Nintendo, signant six jeux, une compilation retravaillée et un codéveloppement, tous ces projets ayant reçu des critiques allant de « excellent » à « révolutionnaire ». Bref, un sans-faute, chose rare dans le jeu vidéo qui nous rappelle justement l’ancienne alliance de Nintendo avec Rare Software.
Pas de nouvelles... pas de nouvelles.
Toutefois, vous l’avez sans doute remarqué, Retro Studios se fait diablement discret depuis quelques années. Alors qu’auparavant il était rare de ne pas entendre parler de leur prochain jeu plus d’un an après la sortie de leur précédent, personne aujourd’hui ne connaît leur nouveau projet. Cela ne serait pas choquant si leur dernier projet n’était pas Donkey Kong Country : Tropical Freeze, sorti en février 2014, il y a maintenant plus de trois ans et demi. Vu qu’auparavant, la plus longue attente entre deux sorties de jeux fut de deux ans et neuf mois (Metroid Prime 2 → Metroid Prime 3), et que rien n’a été annoncé, laissant entendre qu’un éventuel jeu est loin d’être prêt, il y a de quoi être étonné, au minimum.
Les informations auxquelles nous avons eu accès depuis début 2014 ne sont pas nombreuses ; dès la sortie de Tropical Freeze, le producteur Kensuke Tanabe, qui a produit tous les jeux de Retro Studios, indiquait qu’un nouveau jeu était déjà en préparation. Plus tard, Reggie Fils-Aimé (COO de Nintendo of America) affirmait qu’il s’agissait d’une nouvelle licence à destination de la Wii U. Oui, aujourd’hui cela peut faire rire, mais en 2014, c’était plutôt logique. Malheureusement, de l’eau a coulé sous les ponts aujourd’hui et Retro Studios ne donne pratiquement aucun signe de vie. Quelques annonces de recrutements par ci, quelques tweets hors sujets par là, juste ce qu’il faut pour dire « hey, on n’est pas mort », mais rien pour aiguiller le joueur sur l’idée derrière leur nouveau projet. Sans information concrète, on ne peut faire que des suppositions sur les raisons de ce silence avec un constat qui peut s’avérer pessimiste ou optimiste selon votre humeur.
Les imprévus
La première évidence pour expliquer ce long temps de développement, c’est l’échec de la Wii U. Dès 2014, il ne faisait déjà aucun doute que la nouvelle console de Nintendo n’était pas un Eldorado. Si Retro Studios développait un gros jeu sur la machine, nul doute qu’ils ont eu le temps de se rendre compte que le parc n’allait pas évoluer à la vitesse de l’éclair, réduisant ainsi les chances de succès de leur jeu. Nintendo étant actionnaire majoritaire, il semble évident que les deux firmes aient ensemble décidé que repartir de zéro sur la nouvelle génération (qui deviendra par la suite la Nintendo Switch) était de loin la meilleure idée. Un changement de plate-forme qui a forcément retardé le développement du jeu, et qui aurait même pu pousser à une annulation nette du projet s'il était complètement dépendant de l’utilisation du GamePad.
Une première problématique qui se pose, mais qui n’est pas la seule. Si on sait parfaitement ce dont était capable la boîte au milieu des années 2000 avec les Metroid Prime, il est déjà plus difficile de comprendre le véritable impact des départs de Mark Pacini (directeur des Prime), Jack Matthews et Todd Keller, partis fonder Armature Studios en 2008. Idem pour les nouveaux départs fin 2010 des senior designers Mike Wikan (id Software) et Kynan Pearson (343 Industries). Bien que les succès des Donkey Kong Country Returns et Tropical Freeze semblent rassurants sur la santé du studio (qui a recruté quelques nouvelles têtes chez Naughty Dogs et Vigil Games), Retro Studios est-il toujours aussi puissant qu’il y a 10 ans ? Une question qui n’aura sa réponse que dans leur prochain jeu, bien évidemment.
Retro Studios et la méthode Nintendo
Mais l’autre interrogation, très importante pour une boîte qui travaille exclusivement avec un seul constructeur, c’est l’entente entre Retro Studios et Nintendo. Sans vouloir faire l’oiseau de mauvais augure, les contacts entre le constructeur japonais et ses éventuels partenaires ont souvent été houleux, la firme étant connue pour être particulièrement dure en affaires et peu ouverte à l’utilisation de leur licence par autrui. Leurs méthodes de travail, très ancrées dans la culture de la hiérarchie, n’ont d’ailleurs pas toujours été appréciées par les studios occidentaux, habitués à des contacts plus directs et à une liberté d'expression plus prononcée. Une sorte de choc des cultures qui peut avoir plus d’impact qu’on ne le croit.
Si Nintendo s’est souvent allié avec des studios occidentaux, ces moments de coopération ne se sont pas toujours bien terminés. Argonaut Games (Star Fox) par exemple, n’a pas nécessairement un bon souvenir de certains projets avec Nintendo, la boîte anglaise ayant accusé la firme nippone d’avoir refusé un de leur projet de jeu de plates-formes 3D avec Yoshi, Nintendo ayant d'après leurs dires utilisé une partie du concept pour créer Super Mario 64 (le projet d’Argonaut Games ayant ensuite pris une autre forme pour devenir le jeu Croc : Legend of the Gobbos). On se souvient aussi du patron de Rare, qui n’a jamais compris pourquoi Nintendo avait refusé d’acheter au moins la majorité de sa boîte pour s’assurer de la garder en partenaire exclusif, raison pour laquelle Microsoft s’est emparé du fameux développeur pour 290 millions d’euros en 2002.
Même si les raisons derrière ces séparations sont diverses, nombreux sont les développeurs ayant oeuvré pour Nintendo à avoir affirmé que travailler pour la firme japonaise est tout sauf une mince affaire, tant le grand Big N veut contrôler tous les aspects du développement. Et si aucun propos officiel ne va dans ce sens pour Retro Studios, qui contrairement aux autres boîtes citées ci-dessus appartient majoritairement à Nintendo, quelques échos relayés notamment par Liam Robertson (Unseen64, DidYouKnowGaming?) feraient état de problèmes entre Retro Studios et le producteur Kensuke Tanabe, justement l’homme censé chapeauter tous les projets du studio américaine pour le compte de Nintendo. Rumeurs ? Peut-être. Toutefois, on se souvient aussi d’une interview de Kensuke Tanabe en août 2015 pendant laquelle il affirmait ne pas savoir sur quoi travaillait Retro Studios, lui qui a pourtant produit tous leurs jeux depuis leurs débuts en 2002. Etrange n’est-ce pas ? D’autant plus quand on sait que c’est ce même Kensuke Tanabe qui produit Metroid Prime 4, nouvel épisode de la série de Retro Studios auquel Retro Studios… ne participe pas !
Rester patient
En tout cas une chose semble sûre : Retro Studios travaille toujours pour Nintendo, ce qui semble plutôt logique vu leur statut. Sur Twitter, la firme américaine a relayé les annonces de leur maison-mère, y compris un petit teasing pour le Nintendo Spotlight de l’E3 2017. L’autre évidence, c’est qu’ils sont sur un projet plutôt bien avancé puisqu’ils n’ont pas l’air de recruter qui que ce soit pour le moment d’après leur site officiel, les phases de recrutement s’effectuant surtout en début (voire milieu) de projet. Mais cet article nous aura au moins permis de mettre en avant tout un tas d’éléments qui semblent pouvoir expliquer cette longue absence, de la Wii U à la Switch, avec une séparation de la série Metroid Prime qui pourrait être vue comme une sorte de renouveau. Retro Studios aurait-il obtenu l’autorisation de travailler sur une vraie nouvelle licence, bien aidé par le succès de Splatoon, avec une liberté accrue ? Ce n’est pas impossible. Mais quoi qu’il arrive, ce changement ne s’est pas fait sans heurt et il faudra forcément être patient pour mettre les mains sur leur prochain jeu.