"La mort se fait sentir, il n’a pas de remord, comment le définir ?" Le groupe de rap breton Manau décrivait non sans ironie ce cul-de-sac qu’est l’existence et cette fatalité s’abattant sur l’Homme au crépuscule de sa vie. Impossible de se soustraire à cette condition qui définit tout être vivant et pourtant un Art en particulier offre aux joueurs une échappatoire manette en mains. Le jeu vidéo permet à l’Homme de se moquer ne serait-ce qu’un temps d’une mort adoptant selon les jeux différents visages. La fin est proche. Rejoignons ensemble cette lumière de pixels au bout du tunnel.
Cet article entrant dans la rubrique "Débat et opinion", il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de Jeuxvideo.com.
Une source de revenus
L’âge d’Or des salles d’arcade humant la transpiration de doigts et la cigarette froide a pris fin il y a de nombreuses années, mais ces heures passées à dépenser sans compter un argent de poche durement réclamé sont restées gravées dans nos mémoires. Ces souvenirs impérissables ont forgé dans la sueur (et parfois dans la douleur) notre vision du jeu vidéo. Et cette traversée du Styx ne se faisait pas sans être délesté de quelques deniers. Charon est un être avide et il en allait de même pour ces bornes d’arcade conçues pour trouer les porte-monnaie.
La réputation de Sega ne tenait qu’à une devise placardée sur les magazines MegaForce d’antan. "Sega c’est plus fort que toi." s’acharnait à défier le joueur et l’incitait à tenter une énième fois le diable dans l’espoir de voir le générique de fin d’un jeu pensé pour l’accueillir à bras ouvert avant de briser ses rêves. Alors que le premier niveau était un parcours de santé, les suivants augmentaient drastiquement la difficulté forçant le joueur buté à briser son PEL pour inscrire ses initiales sur ladite borne et passer à la postérité une performance vue par le seul voisinage.
De Metal Slug à Time Crisis en passant par The House of the Dead et Street Fighter II, la mort était inéluctable et la résurrection à portée d’une main plongée dans une poche de jeans. La renaissance par l’argent… le joueur a dompté la mort par l’Euro et/ou le Franc.
Gaming Live de Metal Slug XX
Un apprentissage
Le jeu vidéo a par la suite envahi notre quotidien en s’invitant dans nos sacs à dos et dans nos salons avec l’arrivée tonitruante des premières consoles dédiées au jeu vidéo. Impossible de glisser une pièce dans ces machines pour continuer à souffrir face à un niveau, un boss retors. Le jeu se payait et se paye désormais comptant (exception faite des Free to play). La richesse laisse alors place à la ténacité et à l’abnégation de joueurs souhaitant terminer un jeu envers et contre tout
Jeu vidéo dans les années 90’s rimait avec apprentissage par l’échec. Sega s’était fait une spécialité de transposer sur Master System puis Megadrive ses titres phares nés sur bornes d’arcade et la difficulté suivait cette migration. Un jeu demandait mémoire, skill et force de caractère pour en venir à bout. Le simple concept de vies multiples témoigne de cette époque où plaisir et difficulté étaient intimement liés. Un pacte était signé entre le joueur et le jeu. Le Game Over annonçait un recommencement sans fin et le menu Start déroulait sous nos pieds le tapis rouge ces vies nouvelles pleines de promesses.
Les éternels rivaux Mario et Sonic ont fait de ce principe leur mantra. Des dizaines d’heures de morts cuisantes donnaient à leurs aventures respectives - aussi courtes soient-elles - ce sentiment de consistance recherchée par des joueurs désireux d’en avoir pour leur argent ; quitte à perler du front et des mains sur un niveau devenu mythique à leurs yeux. Une renaissance par la persévérance. Le savoir et la répétition des gestes ont permis à l’Homme de se soustraire à la mort le temps d’un périple fait de pixels.
Gaming Live de Sonic The Hedgehog
Une finalité
La Permadeath (Permanent Death - Mort Permanente) fait office de rareté dans le monde du jeu vidéo, même si au fil des ans les créatifs s’y sont essayés avec plus ou moins de réussite. Une chose est sûre. Perdre définitivement un personnage acquis dans la douleur ou une progression de plusieurs jours-semaines-mois épice l’aventure et y ajoute une dose non négligeable de tension. Le reboot de Doom a osé l’inconcevable avec son mode "Ultra Nightmare". Toute mort est définitive et impose aux joueurs de tout recommencer avec pour seule carotte un succès-trophées à débloquer une fois ce mode conquis.
Hellblade : Senua's Sacrifice a également ajouté à l’expérience cette peur viscérale de la mort via une marque progressant sur l’héroïne à mesure qu’elle succombe avec pour finalité une mort sonnante et trébuchante synonyme de sauvegarde effacée.
Et le sadisme des développeurs n’a de limite que leur imagination débordante. Le genre Roguelike est conçu sur un autel funéraire sur lequel s’entassent les centaines de héros incarnés par le joueur. De Darkest Dungeon à The Binding of Isaac : Rebirth, les jeux de cette trempe ne manquent pas et font de la mort une simple étape dans l’aventure. Quant aux franchises Fire Emblem, XCOM et Diablo, celles-ci empruntent un autre chemin. Les modes "Iron Man" et "Hardcore" mettent à l’épreuve l’implication, la patience et le dévouement des fans prêts à tout pour dominer un jeu.
La perte d’un personnage n’est pas anodine et signifie des dizaines-centaines d’heures de jeu jetées aux oubliettes. Ce héros finira par mourir et c’est dans ce combat de chaque instant que réside le plaisir de jeu. La peur se mue en courage tandis que la mort attend patiemment la moindre erreur pour frapper et forcer le joueur à recommencer une fois encore.
Gaming Live de Darkest Dungeon
La mort est une marionnette entre les mains des studios et des éditeurs. Depuis près d’un demi-siècle, les créatifs de tout bord domptent cette dernière et en modifient sensiblement notre perception pour nous divertir à travers des expériences qui défient les lois de la nature. Dans le jeu vidéo et comme le dit si bien le film La Momie (1999), "La mort n’est que le commencement."