Traînant la patte depuis des décennies sur papier et dans les salles obscures, le mort-vivant n’a pas attendu d’invitation officielle pour envahir le marché du jeu vidéo et nous faire ainsi profiter de cette douce pestilence s’échappant de ses entrailles cuites par le soleil. Véritable poule aux oeufs d’or pour les éditeurs, le zombie crapahute depuis plus de 30 ans sur consoles de salon et PC avec la ferme intention de dévorer joueurs et avatars. Filon épuisé pour les uns, genre en devenir pour d’autres, cette horde de jeux de zombies n’a fait qu’entamer sa marche conquérante au désespoir des septiques cloîtrés dans leur placard en attendant la fin d’une apocalypse qui s’avèrera éternelle.
Une créature ancestrale et évolutive
L’histoire de ces morts-vivants débute dans les Antilles. Tiré du français haïtien “zombi” / du créole haïtien “zonbi”, le terme désigne une créature ni morte ni vivante sans pour autant être au seuil de la mort, ce dernier ayant été franchi par le pauvre bougre des jours/semaines auparavant. Là où la magie faisait partie intégrante du folklore haïtien, le zombie contemporain implique la science-fiction. Radiations, virus, maladies mentales… les raisons de passer l’arme à gauche et de vagabonder dans les rues à la recherche de chair sont légion et s’imprègnent des avancées technologiques afin de renouveler un cheptel de cannibales toujours prompts à s’en payer une tranche.
Les origines du mythe vagabondent autant que les zombies. Terme anglais rencontré pour la première fois en 1819 avec le poète Robert Southey, le dictionnaire anglais d’Oxford (Oxford English Dictionnary) estime que ce concept est né en Afrique de l’ouest tandis que la culture vaudou reste omniprésente transmettant à l’occident sa vision du zombie en 1929 par le biais de W.B. Seabrook et son recueil The Magic Island. Par la suite, nos randonneurs prirent position dans de nombreuses oeuvres littéraires, télévisuelles et cinématographiques. Des auteurs reconnus puisèrent leur inspiration dans les viscères et les râles. Richard Matheson (The Twilight Zone), H.P. Lovecraft (The Call of Cthulhu), Mary Shelley (Frankenstein) surent apporter leur pierre à un édifice littéraire “zombie” encore pauvre. En 1932, White Zombie fut le premier film à exploiter le mort-vivant et ouvra la porte sur un nouvel eldorado morbide exploité par certains réalisateurs.
La vision moderne du zombie émergea des oeuvres de George Romero. La Nuit des Morts-Vivants redessina les contours du mythe et réactualisa le concept. Le zombie moderne est avide de chair fraîche ne pouvant cesser de marcher et de se nourrir. Puis vinrent les jours sombres de la course à pied et des zombies piquant un sprint dans Le Retour des Morts-Vivants (1985) de Dan O’Bannon. Une idée “novatrice” démocratisée par le film 28 jours plus tard (2002). Le véritable changement survint avec la notion d’infecté en lieu et place du mort-vivant traditionnel. A même de courir voire de penser, le zombie contemporain abandonne la mort gagnant ainsi en capacités. Et cette perpétuelle évolution nous réserve encore bien des surprises.
Une invasion vidéoludique
Le mort-vivant ne se fit aucunement prier pour fouler du pied un marché du jeu vidéo encore balbutiant. Dès 1982, Entombed donna le La et intégra à son labyrinthe cet ennemi redoutable. Il n'en fallut pas moins pour voir déferler sur nos contrées vidéoludiques une vague de jeux marqués d'un Z qui veut dire Zombie. Ghosts'n Goblins (1985), Alone in the Dark (1992), Doom (1993), Resident Evil (1996), Half-Life (1998) pour ne citer que les plus connus, véhiculèrent l'infection à leur manière et contaminèrent tous les genres (FPS, Survival-Horror, Action, Plate-Forme) et tous les supports de jeu, poussées qu'ils étaient par des studios et éditeurs à la faim insatiable. La boîte de Pandore n'était alors qu'entrouverte.
Spoilers : Resident Evil
La nouvelle vague
A l'orée des années 2000, le phénomène prit de l'ampleur, galvanisé par le succès de la saga horrifique de Capcom, aussi bien dans le jeu vidéo qu'au cinéma, et la sortie dans les salles obscures de 28 jours plus tard. Au cours de cette décennie, de nombreux jeux virent le jour. Naissance de la série OneChanbara en 2000 et ses tueuses de morts-vivants affublées d’un bikini saillant, d’un chapeau de cowboy et d’un katana. Retour des shooters à la première personne avec Return to Castle Wolfenstein (2001), Postal 2 : Apocalypse Weekend (2005) et TimeSplitters : Future Perfect (2005). Sans oublier Left 4 Dead (2008) édité par Valve fusionnant survie et multijoueur, ainsi que franchise Call of Duty et son célèbre mode “Zombie”
Mais la révolution vint d'un comic book adapté en série TV. The Walking Dead fit du zombie un concept à la mode au-delà des cercles d’initiés au cinéma de genre le 31 octobre 2010. Conscients du raz-de-marée à venir et désireux de surfer sur un cadavre ambulant devenu « fashion », les acteurs du jeu vidéo mirent les bouchées doubles et produisirent de nombreux jeux à la gloire du zombie, abreuvant le joueur en violence et en hémoglobine mois après mois. Ubisoft déambula dans les rues dévastées du Londres de ZombiU (2012). Une cheerleader déploya ses atouts dans un Lollipop Chainsaw acidulé à l’essence de tronçonneuse. Quant aux Polonais du studio Techland, ils infestèrent les 7ème et 8ème générations de console avec coup sur coup la série Dead Island (2011 - 2016) et Dying Light (2016).
Bande-annonce de ZombiU
Un catalyseur d’émotions
L’apocalypse a toujours eu ce pouvoir de faire ressortir la part d’ombre chez l’être humain. Les pires situations révèlent ce moi profond enfoui en chacun de nous. Les symboles d’autorité que nous connaissons s’effondrent et laissent place à une société « tribale » guidée par un darwinisme primaire. La loi du plus fort (ou du plus armé) prime laissant sur le carreau les faibles et les couards. Le cinéma a depuis bien longtemps profité de cette fin du monde implacable pour placarder notre propension à la violence et aux coups tordus. "L’Homme est un loup pour l’Homme" et le mort-vivant ne fait que mettre en lumière cette locution pour la première fois émise par l’écrivain romain Plaute.
Fort d’une interactivité inexistante dans les salles obscures et sur le petit écran, l’apocalypse zombie prend son essor une fois les notions de choix et de conséquences mises entre les mains des joueurs. Dans le jeu vidéo, l’interaction est au cœur de l’expérience et place le survivant devant ses décisions. Et Telltale Games a fait de cette force son fond de commerce en adaptant le comics scénarisé par Robert Kirkman et dessiné par Tony Moore/Charlie Adlard. L’expérience narrative The Walking Dead fait du zombie un contexte, une menace secondaire et se concentre avant tout sur les péripéties « humaines » d’un groupe d’individus aux personnalités bien trempées.
Jouer les héros au risque de périr. Abandonner un proche par peur. Malmener un groupe pour leur voler leurs biens. La vie de «protagoniste apocalyptique » n’est pas de tout repos et Joel, héros paternaliste de The Last of Us, serait ravi de converser sur ce sujet. Derrière ses apparats de TPS survivaliste, le titre de Naughty Dog se démarqua par sa plume. Personnages complexes, récit percutant une fin du monde tenace et relations humaines furent au cœur d’une expérience centrée sur l’émotionnel. Défourailler de la chair morte est jouissif à n’en pas douter, mais "Le cœur a ses raisons que la raison ignore" (Blaise Pascal).
Bande-annonce de The Last of Us
Un levier critique
Le zombie ne se contente pas de vagabonder dans les rues et les centres commerciaux en attendant qu’un casse-croûte sauvage daigne apparaître au détour d’une boutique. Le concept même de créatures déambulant sans réel objectif est un miroir de notre manière de vivre. George Romero incendiait la société américaine dans Zombie et La nuit des morts-vivants fustigeant son racisme omniprésent et sa consommation à outrance ou encore son addiction pour la surmédiatisation à travers Chroniques des morts-vivants. Violence, gore et horreur nourrissaient un propos acerbe. Et Dead Rising, un jeu d’action bourré d’humour sorti en 2006 sur Xbox 360, reprit le flambeau en dépêchant le reporter et photographe Frank West dans une ville de Willamette (Colorado) en proie à une invasion de zombies. Notre journaliste avide de scoops arpentait magasins et allées d’un « Mall » typique des États-Unis devenu le centre névralgique d’une surconsommation au sens littéral, les clients se ruant la bave aux lèvres sur notre pauvre héros transformé pour l’occasion en marchandise. La boucle était bouclée.
Le Fond de l'Affaire : Dead Rising
Un ennemi malléable et décérébré
Le zombie/infecté est un concept éculé, poncé par des années de ressac vidéoludique. Les éditeurs et studios majeurs ont exploité le filon encore et encore et pourtant le décharné est une créature malléable s’adaptant avec une aisance déconcertante à tous les genres et tous les tons. Beat'em All humoristique, FPS ultra violent, monde ouvert en ruine (Red Dead Redemption : Undead Nightmare - 2010), survival-horror à défilement horizontal (Deadlight - 2012), jeu de réflexion rétro (Zombie Night Terror - 2016)… le « marcheur » se cuisine à toutes les sauces et offre contextes et antagonistes de choix aux créatifs.
La principale force du zombie réside dans son absence d’intelligence. Décérébré au possible à l’exception de certains infectés tels que les J’avo et leur faculté à utiliser des armes à feu (Resident Evil 6 - 2012), ces créatures ne demandent qu’un développement sommaire de l’intelligence artificielle leur donnant vie. En un mot comme un cent, le mort-vivant est par nature stupide, régi par la faim et une bestialité primaire. Et les développeurs ne s’y sont pas trompés. Avec l’avènement des jeux en monde ouvert, les hordes se sont imposées pour un effet de masse « Wahou ». Chair à canon recouvrant les décors de son sang coagulé, les studios s’en donnent à cœur joie. Effets de particules sanguinolents, localisation des impacts, démembrements festifs… le zombie démontre la puissance d’un moteur et facilite la production d'un titre.
Bande-annonce de Deadlight Director's Cut
Un changement de paradigme
Longtemps contraint au rôle de faire-valoir, le zombie a finalement pris son envol après des années à subir le courroux des hommes. Divers titres autorisent désormais le joueur à incarner un mort-vivant pour le plus grand plaisir des goulus. Tandis que le mode Versus de Left 4 Dead confronte nos 4 humains à la horde et aux unités élites (Smoker, Hunter, Boomer, Tank) contrôlées par d’autres joueurs, « Be the Zombie » de Dying Light donne le contrôle d’un infecté pour un multijoueur en 4 versus 1 plaisant et renouvelant une formule vue et revue. Et Zombie Night Terror développé par NoClip pousse le bouchon encore plus loin. A la tête d’une armée de boiteux, vous vous lancez à la conquête du monde des hommes dans un titre s’inspirant de feu Lemmings (1991) et de ce cinéma bis ensoleillant le site nanarland. Et cette simple inversion des rôles souffle un vent de fraîcheur sur un thème matraqué depuis des lustres.
Bande-annonce de Zombie Night Terror
Un avenir putréfié
De Resident Evil The Final Chapter à World War Z 2 en passant par les séries TV The Walking Dead et Fear The Walking Dead, l’avenir de nos têtes dépecées est tout tracé. Et l'infection vidéoludique perdurera également.
Des hordes de zombies frappent aux portes de nos consoles et PC avec la ferme intention de dominer toute vie. Les éditeurs de tout bord se lancent à corps perdu dans la production de jeux de zombies et espèrent braquer la banque. Capcom multiplie les projets et exploite sa licence survivaliste Resident Evil. Au-delà d’un Resident Evil 7 annoncé à l’E3 2016, le portage de Resident Evil 4 HD sur PlayStation 4 et Xbox One et le remake de Resident Evil 2 lèvent le voile sur les intentions horrifiques de l’éditeur japonais. Et les suites sont à prévoir de tous les côtés. Dead Island 2, The Walking Dead : Saison 3, Dead Rising 4 traîneront leur putréfaction en 2016. Mais le renouveau est à dénicher auprès de Human Element, et Overkill's The Walking Dead pour un ravalement du mort-vivant nécessaire.
Bande-annonce de Resident Evil 7
Nul besoin de lire la destinée du jeu vidéo dans les entrailles faisandées d’un cadavre en décomposition, le zombie se pavanera encore de nombreuses années sur tous les médias qu’il contamine. Thème séculaire de la littérature devenu l’apanage des films de série B et de l’interactivité, le zombie poursuivra sa balade champêtre encore des années quitte à survivre à la fin du jeu vidéo et à s’exporter sur un média propice à son épanouissement.