Contributeur
Un doigt. C'est tout ce qu'il a fallu pour embraser toute une communauté de joueurs qui parcourent en long et en large une maison de taille moyenne dans la démo de Resident Evil 7, le tout nouveau projet de Capcom qui a étourdi les joueurs à travers le monde avec sa direction prononcée dans le domaine de l'horreur. Si les plus railleurs observent qu'il faut insérer ce doigt dans un orifice qu'il m'est impossible de nommer, les plus forcenés redoublent d'effort pour déconstruire toute la démo dans son intégralité pour trouver cette fameuse fin cachée.
Cette perspective, Capcom n'y a jamais fait allusion et rien n'indique qu'une fin cachée (en plus des quatre déjà découvertes) existe véritablement. Pourtant, cela n'empêche pas les joueurs de se lancer par milliers dans une véritable chasse au trésor. Si un objet existe, c'est qu'il doit bien servir à quelque chose. Les fans se sont amassés pour faire part de leur mécontentement envers cette direction qui selon eux renie les fondements de la série, mais ils se servent justement de l'un de ces fondements comme base de cette théorie de la fin cachée : ce doigt existe, il doit donc forcément faire partie d'un puzzle qui donnera quelque chose en récompense, comme chaque Resident Evil avant lui.
Le dégoût laisse place à la curiosité, la curiosité laisse place à une fascination collective d'en savoir plus sur un projet aussi mystérieux. Ce teasing fonctionne terriblement bien, là où le teaser aurait dû perdre en vitesse après quelques jours. Les streams, favorisés par le service proposé sur la PlayStation 4 attirent des milliers de spectateurs prêts à revoir les mêmes séquences encore et encore, à travers des joueurs acharnés qui passent plus d'une dizaine d'heures par jour à explorer une démo qui se termine normalement en une quinzaine de minutes. Ce phénomène est semblable à P.T. avant lui, le teaser également jouable en vue FPS et qui était censé être un aperçu du défunt Silent Hills sous la direction d'Hideo Kojima. Mais là où la fin de P.T a été accidentellement découverte en 24 heures, celle de Resident Evil 7 est toujours hors de portée.
Tiré d'un mannequin, ce doigt se trouve dans une étagère avec un équipement chirurgical. La première pensée qui vient au joueur est de l'utiliser sur un mannequin présent dans la maison. Toutefois, on se rappelle bien vite que ces mannequins n'ont pas de bras. L'extrémité du doigt rappelle une sorte de clé, peut-être faut-il l'utiliser dans ce tiroir verrouillé ? Cela ne fonctionne pas. Alors, les joueurs se concentrent sur la texture du doigt. Le doigt est fait de celluloïd, un matériau très inflammable. Peut-être faut-il le faire fondre ? Le four est rempli de sacs poubelle et ne fonctionne probablement pas, et le micro-onde est déjà occupé par un corbeau carbonisé. A quoi sert donc ce doigt ? Avec le système d'inventaire tiré de Resident Evil 4, on assigne l'objet à l'une des touches directionnelles du pad et on tapote la touche à chaque pas, en fouillant chaque recoin. Toujours rien.
Cela fait 10 jours depuis la sortie de la démo et les joueurs commencent à perdre espoir. Y-a-t-il vraiment une utilité à ce doigt ? Pourtant, ce dernier rappelle diablement les bizarreries de la série et sa fixation autour des objets qui paraissent sans intérêt et qu'il faut décortiquer par la suite. Le jeu possède un système d'examen comme le premier Resident Evil, en offrant la possibilité d'admirer le doigt de tous les angles possibles pour peut-être pouvoir y trouver un indice mais rien n'y fait. Aucune interaction n'est possible. Ce doigt représente la série et et son contraire à la fois. Il offre un moment de casse-tête intense si caractéristique des classiques de la série sans fournir le plaisir de sa solution.
Resident Evil 7 est un projet qui est en développement depuis 2014. Sa direction en tant que jeu d'horreur à la vue subjective a été décidée bien avant la sortie de P.T, selon le producteur du jeu Masachika Kawata. Sa raison d'en faire un jeu d'horreur viendrait de la demande des fans de la série selon lui. Les demandes répétées de faire de la série (qui a depuis longtemps pris une direction vers l'action sous fond de coopération), une marche arrière vers les sensations qu'ont ressenti les fans dans le premier Resident Evil, était telle qu'ils se sont décidés à les suivre au pied de la lettre. Peut-être même un peu trop si l'on suit la réaction assez négative qu'a généré l'annonce du jeu de la part de la communauté hardcore de la série. Toutefois, l'autre raison serait aussi (et surtout) que suivre la direction prise par Resident Evil 6 était sans doute une option qui n'était plus supportable pour Capcom.
En effet, ce blockbuster est le deuxième Resident Evil le mieux vendu dans le monde, mais son budget phénoménal comparé au 5 (qui s'est d'ailleurs mieux vendu) a sans doute empêché Capcom d'obtenir le rendement qu'il désirait. La direction prise pour Resident Evil 7 était donc nécessaire en tant que nouvelle étape de la série mais il reste incontestablement un grand risque pour Capcom, qui met en déroute une grande lignée de jeux à succès pour un jeu plus intimiste, moins parlant et qui vise une presque-niche dans lequel seul le domaine du jeu indépendant s'était engouffré en masse. Pour Capcom, les ambitions sont à la hausse mais il n'est pas certain que le public soit tenté de suivre la tendance. Resident Evil 7 s'attelle donc plus à se créer un nouveau public plutôt que d'attirer celui déjà existant ; tout comme Resident Evil a pu réussir à s'en construire un.
Cette chasse au trésor qui mène à ce véritable succès dans le domaine de la communication et du marketing fait très largement écho au premier Resident Evil. Le bébé de Shinji Mikami s'est fait connaître en étant ironiquement un jeu convivial, qui laisse place à la coopération et surtout à un énorme bouche-à-oreille. De la rivalité entre les joueurs de Chris et de Jill aux joueurs qui s'entraidaient pour connaître la solution à une énigme, Resident Evil premier du nom a fait le bonheur de la presse vidéoludique papier en vendant des solutions et des guides pour ce jeu qui ne faisait aucune concession. Resident Evil était un jeu d'horreur qui se jouait seul, mais qu'on terminait à plusieurs. C'était un jeu à admirer à plusieurs pour sa tension à l'approche de sa prochaine surprise horrifique, de ses puzzles alambiquées, de son histoire nanardesque mais terriblement divertissante, et surtout pour sa convivialité qui en découlait.
Resident Evil 7 : Trailer E3 2016
Resident Evil 7 essaye alors de vouloir retrouver ce charisme fédérateur qui faisait de la série un incontournable. Capcom a certainement compris que ce que les joueurs attendaient, sans forcément en avoir conscience, n'était pas seulement un retour aux sources, mais un retour aux bons vieux moments où ces fans de longue date s'amusaient à vouloir tout décortiquer. Ces moments où le but n'était pas seulement de terminer le jeu mais d'en retirer le plus de plaisir possible à plusieurs. Que ce soit votre ami dans la même pièce un peu trop terrifié à l'idée d'y jouer, ou le camarade de classe qui vous annonce qu'il a découvert l'arme ultime capable de tuer qui que ce soit en un coup (et dont vous suspectez qu'il vous sort un gros pipeau). Ou encore votre argent de poche que vous mendiez auprès de vos parents afin que vous puissiez acheter sans réfléchir le dernier guide. Sans parler de la reprise du combat de boxe entre Sony et SEGA laissée en jachère depuis un certain Aladdin (entre Nintendo et SEGA, certes) pour savoir quelle version est la meilleure entre Saturn et PlayStation...
Pour les 20 ans de la série, et avec l'aide d'un seul doigt, Resident Evil 7 réussit à répliquer ces moments à travers le monde en rappellant la joie et la frustration qui a caractérisé les plus grands classiques de la série. Que le doigt renferme un secret ou non n'a pas d'importance. Capcom a compris que ce qui compte, c'est le voyage, et c'est sans doute l'aspect le plus important pour que la série puisse récupérer son prestige d'antan.