Lors d'un événement organisé par Bandai Namco dans son quartier général de Tokyo, nous avons eu la chance d'entendre Torû Iwatani, le légendaire créateur de PAC-MAN. Et si l'intervention de ce grand monsieur du jeu vidéo fut particulièrement intéressante, ce n'était peut-être pas pour la raison principale de sa venue.
Parlons peu, parlons bien : Toru Iwatani est un grand monsieur. Peu de développeurs ont autant d'importance que lui dans l'histoire du jeu vidéo. Alors forcément, lorsque l'homme surgit en plein milieu d'une keynote organisée par Bandai Namco à l'attention de la presse réunie dans la capitale japonaise, on a l'oreille tendue. On écoute et on prend des notes, avec respect. Il faut dire qu'Iwatani a l'habitude de s'exprimer devant un auditoire attentif, et il le fait avec un certain brio. Depuis 2007, il est maître de conférence à la Tokyo Polytechnic University, où il enseigne le game-design. Et que ce soit devant des étudiants, ou des journalistes, l'homme a ses méthodes, qui tranchent avec la désinvolture (plus ou moins naturelle) de ceux passés avant lui sur la scène de l'auditoire. Pointeur laser, Powerpoint avec mots-clés, Iwatani s'exprime avec beaucoup de clarté, et contrairement à ce que l'on pourrait penser, non sans humour. « Quelqu'un ici a vu le films Pixels ? Hein, si peu ? Vous faites vraiment partie des médias ? » lance-t-il, générant rires et embarras.
En se prêtant à l'exercice de la conférence média, Iwatani (qui est venu annoncer que le PAC-MAN original et quelques classiques de Bandai Namco arriveraient prochainement sur PlayStation 4 et Xbox One, youpi) se livre à un simili-cours de game-design, dans lequel il rappelle comment il a conçu son titre phare. Tout le monde connait l'histoire de la pizza amputée d'une part, mais ce qui se trouve autour et en découle, moins. Car en ce jour, c'est une certaine vision du jeu vidéo qu'Iwatani est venu défendre. Une vision que certains jugeront datée, mais que d'autres applaudiront des deux mains.
Accessibilité, simplicité : la clé du succès ?
Ainsi, Iwatani explique que s'il a su attirer, avec PAC-MAN, le public feminin voire des familles complètes, c'est parce qu'il avait choisi le thème de la nourriture. Tout le monde aime manger. C'est universel. Voilà pourquoi le but du jeu de PAC-MAN est de gober le plus de bonbons possible. L'utilisation limitée de couleurs vives participe à la clarté du jeu, mais aussi à son attractivité. En tout cas à l'époque. Car Iwatani n'en démord pas : les gens ne veulent pas des jeux compliqués ; ils ne veulent pas s'infliger la douleur de jeux difficiles. Le joueur doit comprendre d'un regard ce qui se passe à l'écran, sans aide visuelle supplémentaire. De même, la prise en main doit être le plus simple possible pour un amusement immédiat. Voilà pourquoi à l'origine, les bornes PAC-MAN (d'abord appelées "Puck-Man", avant d'être modifiées pour s'éviter quelques habiles plaisanteries) ne disposaient que d'un seul joystick.
Cette simplicité, à ses yeux, n'est pas un défaut, c'est un gage de qualité. C'est le jeu vidéo sous sa forme la plus pure. Selon lui, c'est pour cela que des titres comme Donkey Kong, Galaga ou Space Invaders sont toujours aussi connus aujourd'hui.
Le choc des générations
De nombreux développeurs de jeux vidéo seraient d'accord avec cette vision des choses. Chez Nintendo, principalement, où l'on mise énormément sur la simplicité de gameplay pour conquérir un large public. Ou, tout du moins, une tranche d'âge importante. Mais aujourd'hui, les titres cités par Iwatani sont certes connus des gamers pour leur portée historique, mais qui y joue encore, de manière régulière ? On notera d'ailleurs qu'il n'a pas cité Mario Bros (et sa descendance), dont les mécanismes se sont complexifiés au fils des ans... mais qui reste une référence en la matière, au gré des sorties.
Mais ce qui étonne le plus finalement, c'est que le monsieur tienne ce discour lors d'un événement organisé par Bandai Namco, qui édite également les créations d'un certain FromSoftware. FromSoftware, c'est entre autre la série Dark Souls, mais aussi Bloodborne (édité par Sony), Demon's Souls (édité par Sony au Japon, par Bandai Namco chez nous, et par Atlus en Amérique du Nord), ou encore les Armored Core, dans un genre assez différent. Avec à chaque fois la même volonté : proposer aux joueurs des titres dont ils pourront dire « j'ai réussi à le finir ». À ce titre, les Souls et leur petit frère Bloodborne sont devenus les représentants du "vrai jeu vidéo", exigeant, punitif, tant acclamé par certains.
Il y a un an, à l'occasion de la sortie prochaine de Dark Souls II: Scholar of the First Sin, nous avions pu rencontrer Hidetaka Miyazaki, qui nous confiait, à l'endroit même où Itawani nous exposait sa vision du jeu vidéo, qu'il était fier de faire des jeux compliqués. Oui, Demon's Souls, Bloodborne, Dark Souls et Dark Souls II sont des jeux difficiles. Oui, les joueurs ne comprennent pas aisément l'histoire qui se déroule autour d'eux. Mais avant tout, ce qui importe ajoutait-il, c'est qu'ils voulaient que les joueurs soient fiers de réussir à terminer leurs jeux. Comme si finalement, ce qui importait le plus, c'était le triomphe face au challenge qui l'emportait sur le plaisir en lui-même. Iwatani disait pendant son interlocution que les joueurs n'étaient pas masochistes. Le succès critique du travail de FromSoftware tendrait à prouver le contraire, et avant eux déjà, les joueurs se cherchaient des défis dépassant le simple scoring. Un peu passéiste, Torû Iwatani ?