Vanté par The Elder Scrolls Online : Tamriel Unlimited, le concept du méga serveur devrait en toute logique devenir une norme dans l’univers du MMORPG. Retour sur les qualités et les défauts d’un procédé à la mode.
Il n’y a pas si longtemps, le joueur de MMORPG se posait toujours la même question à la création de son personnage : quel serveur choisir ? Les serveurs, ce sont les différentes déclinaisons d’un même monde visant à répartir la communauté – et donc la diviser – pour éviter la surpopulation puisqu’à l’heure actuelle la technologie ne permet pas d’accueillir des millions de personnes sur une seule et même carte (il y a bien des exceptions comme EVE Online mais le problème se pose surtout sur les MMO « themepark », de loin les plus représentés aujourd’hui). D’ailleurs, même les zones de jeu – aussi grandes soient-elles – paraîtraient bien étroites si des millions de joueurs s’y promenaient au même moment. Il convenait donc de choisir le serveur sur lequel jouer, serveur qui ne pouvait plus accueillir de nouveaux venus une fois plein. Le problème, c’est que ce choix apparemment anodin pouvait altérer l’expérience de jeu sur le long terme, en fonction de sa fréquentation.
Le défaut le plus évident du système, c’est évidemment l’impossibilité de jouer avec ceux qui n’évoluent pas sur son serveur. Vous vouliez jouer avec vos collègues et vos amis mais les deux groupes ne partageaient pas le même monde, il fallait donc faire un choix, rejoindre les uns et se priver de la compagnie des autres. Une tare particulièrement pénible dans un genre qui se veut massivement multijoueur. Mais les problèmes vont plus loin et c’est notamment l’incroyable succès de World of Warcraft (un pic à douze millions d’abonnés, tout de même) qui les a mis en exergue. Sorti fin 2004 aux US, la référence du MMORPG grand public a rencontré de nombreux problèmes : plates-formes surchargées avec des files d’attente pour y accéder, factions plus représentées que d’autres créant des déséquilibres en Joueur contre Joueur (PvP), zones bas level totalement vides les années passant, difficultés à trouver suffisamment d’inscrits dans un même royaume pour lancer un champ de bataille… Des problèmes qui touchent tout le monde, du joueur occasionnel au gamer le plus assidu (la guilde Millenium a même choisi de quitter le serveur Archimonde, en 2010, à cause de sa surpopulation et de son lag).
Blizzard a très vite cherché à gommer les frontières entre serveurs pour mieux équilibrer les flux. Faire payer les joueurs pour qu’ils changent de royaume n’étant pas une solution idéale (a fortiori quand on leur facture déjà un abonnement mensuel), il est désormais possible de se « téléporter » dans un autre royaume, le temps d’une partie, pour rejoindre un ami, quêter dans une région bas level, partir en donjon ou sur les champs de bataille. Une autre solution consiste à fusionner certains serveurs entre eux pour rassembler la communauté, lorsque le nombre d’abonnés peine à remplir les salles. Des décisions bienvenues mais qui se greffent sur un système archaïque, pénalisant aussi bien les titres victimes de leur succès que les jeux impopulaires.
En fait, c’est avec l’arrivée de The Elder Scrolls Online, en avril 2014, qu’un concept tend à se démocratiser, celui du méga serveur. Contrairement à ce que l’appellation laisse croire, il ne s’agit pas d’une plate-forme unique sur laquelle tous les participants évoluent – la technologie n’a pas suffisamment avancé pour le permettre. Non, les joueurs sont bien sur des mondes différents sauf qu’ils basculent constamment d’un serveur à un autre, de manière transparente et sans le savoir. Le jeu se charge discrètement des migrations en fonction de nombreux critères : pour remplir une zone trop vide ou alléger une région trop peuplée, pour réunir des amis entre eux ou des joueurs d’une même langue, etc. En plus d’être invisible (le joueur n’a même pas besoin de choisir un monde à la création du personnage), ce système permet d’assurer une réelle impression de vie autour de soi puisqu’il se charge de bien répartir les avatars en fonction du trafic. Particulièrement fier du procédé, Bethesda reste discret sur la manière dont il fonctionne précisément. Mais cela n’empêche pas la concurrence d’adopter des techniques similaires. En avril 2014, deux ans après sa sortie, Guild Wars 2 déploie lui aussi un système de méga serveur. Même Wildstar s’y est mis en octobre 2014, quatre mois après sa sortie. Final Fantasy XIV : A Realm Reborn opte, lui, pour des groupes de serveurs, les joueurs d’un même groupe pouvant se croiser si besoin. A croire que le concept est devenu un véritable enjeu pour le MMORPG. Dès lors, difficile d’imaginer que les prochains représentants du genre se passeront de cette nouveauté. Même si…
Malgré toutes ses qualités, le méga serveur n’a pas réponse à tout pour autant. On note déjà que la communauté mondiale de TESO est divisée en deux méga serveurs : l’un américain, l’autre européen (basé à Francfort). De fait, les joueurs des deux continents ne sont pas censés se croiser ce qui fait encore relativiser la dimension « mondiale » du genre. De plus, les serveurs dissociés permettaient de proposer différentes expériences de jeu et de réunir des joueurs en fonction de leurs affinités. Ce monde-là était destiné aux Français amateurs de PvP sauvage, celui-ci aux Espagnols « roleplay » (terme désignant ceux qui s’efforcent de jouer un rôle, en respectant les codes de conduite et le langage de leurs avatars). Tout cela n'est pas vraiment possible avec les méga serveurs de TESO même si leurs algorithmes sont censés appliquer les bons filtres.
En théorie, si peu de Français sont connectés au même moment, on se retrouve entouré d’Européens et donc obligé de communiquer en anglais avec eux. Et il est impossible de filtrer son entourage en fonction de sa manière de jouer (si ce n’est en se réunissant dans une guilde qui nous ressemble, évidemment). Pour pallier ce problème, Wildstar laisse le choix entre plusieurs méga serveurs, l’un PvP, l’autre non. Mais aussi, l’avantage de l’ancien système était que les joueurs bâtissaient un serveur à leur image, lui donnant une réputation et une histoire. Dans les premières heures de Star Wars Galaxies (2003), être Jedi était si difficile qu’un avatar sensible à la force devenait une légende dans son monde (partir à sa rencontre pouvait même s'imposer comme un objectif). Dans World of Warcraft, croiser un membre de WaR Legend sur Archimonde forçait le respect. Dans sa routine, un joueur pouvait retrouver des connaissances autour de lui, voire des adversaires croisés quelques jours plus tôt. Le mégaserveur tend à faire disparaître la singularité d’un univers pour conserver un flux de joueurs constant à n’importe quel moment. Il s’agit donc désormais d’user d’inventivité et de profiter des avancées technologiques pour conserver l’essence d’un MMORPG : pas forcément son nombre de joueurs mais plutôt la qualité de sa dimension communautaire.
The Elder Scrolls Online : Tamriel Unlimited vu du dernier E3