Le ministère chinois du Commerce vient d'ajouter les terres rares à la liste des marchandises dont l'exportation doit faire l'objet d'une déclaration détaillée. Cette mesure, d'une durée de deux ans, renforce également les contrôles sur les importations de pétrole, de minerai de fer et d'engrais.
Les terres rares : des éléments chimiques à l'importance stratégique majeure à la fois pour la Chine, les États-Unis et l'Europe
Les terres rares sont essentielles dans la construction de produits high tech et posent de nombreuses questions écologiques. À peu près tout le monde sait ça, mais les connaissances du grand public ne vont presque jamais plus loin. Voici donc 2 autres infos importantes à avoir en tête afin de parfaitement comprendre les enjeux de ce papier :
- 1) Ce terme désigne un groupe de 17 éléments chimiques du tableau périodique, comprenant les 15 lanthanides, ainsi que le scandium et l'yttrium.
- 2) Malgré leur nom, la plupart de ces éléments ne sont pas particulièrement rares dans la croûte terrestre, mais ils sont généralement dispersés et rarement trouvés en concentrations économiquement exploitables.
Puisque les terres rares sont liées au monde de la tech, elles constituent un enjeu économique et stratégique majeur pour de très nombreux pays. L'Amérique du Nord, l'Europe et même l'Australie tentent depuis des années de renforcer leurs positions dans cette industrie très complexes, mais toutes ces puissances se font écraser par un seul pays : la Chine.
En 2022, l'Empire du Milieu représentait 70 % de la production minière mondiale et près de 85 % de la capacité de traitement. Entendez bien l'importance de ces pourcentages. La production minière est au cœur de la vie contemporaine, des bâtiments aux batteries en passant par le domaine de la défense, elle est à la base de presque toutes nos constructions. Bien consciente de cet avantage stratégique conséquent, la Chine prend une décision assez radicale. En effet, Pékin vient de mettre en place un nouveau protocole visant à s'assurer qu'aucune terre rare ne puisse entrer ou sortir du pays sans que le gouvernement de Xi Jinping n'en soit informé.
Pour comprendre la décision du géant asiatique, il est essentiel de comprendre le contexte dans lequel elle a été prise. En ce moment, les tensions s'accentuent de jour en jour entre Pékin et Washington. En effet, avec l'aide de leurs alliés, les États-Unis ont fortement restreint l'accès de la Chine à leurs technologies, notamment au niveau de l'industrie des puces. Il est légitime de parler d'un véritable blocus technologique, qui empêche la Chine de construire massivement de nombreux services et produits high tech (des IA aux smartphones très haut de gamme). Nous vous avons récemment expliqué comment l'administration Biden travaillait sur un nouveau paquet d'interdictions visant à empêcher l'arrivée de certaines technologies en Chine. Il est intéressant de noter que l'annonce dont nous parlons aujourd'hui intervient quelques jours avant la rencontre de M. Biden et de M. Xi Jinping à San Francisco.
Nouvelle mesure de la Chine sur l'importation des terres rares : une décision peu surprenante
Revenons à nos terres rares. Vous devriez l'avoir à présent compris : dans un contexte mondial pour le moins délicat, marqué par les tensions avec les États-Unis et ses alliés occidentaux, le géant asiatique a tout intérêt à profiter de son avantage dans ce secteur industriel clef. Ce qu'il s'est passé concrètement, c'est une révision de la liste des produits dont l'exportation et l'importation doivent être soumises au contrôle des autorités. Pour la première fois, comme le confirme le Global Times, lié au Parti communiste chinois, les terres rares font partie de cette liste.
Dans une circulaire publiée mardi dernier, le ministère du Commerce chinois précise que les entreprises doivent immédiatement signaler les expéditions, les quantités et les dates d'exportation de tous les produits en vrac figurant sur la liste. Toutes ces données seront transmises aux chambres de commerce, qui les collecteront, les analyseront et les transmettront au gouvernement. Le Global Times affirme que l'objectif de l'Empire du Milieu est de tenir des registres statistiques, mais nuance la valeur "stratégique" des terres rares et les possibilités offertes par le nouveau protocole officiel.
"La mesure fournira des données complètes sur les exportations de terres rares, y compris le volume et le prix, dans le but d'assurer un développement sain et stable de ces ressources précieuses à l'ère numérique", a déclaré Wang Guoqing, directeur de recherche du Beijing Lange Steel Information Research Centre, au journal asiatique. Un autre objectif, note le Global Times, est de "formuler des politiques appropriées" pour les exportations et de renforcer l'industrie.
Ces nouvelles restrictions devraient durer deux ans, jusqu'en octobre 2025. En plus des terres rares, elles affecteront l'importation d'autres produits essentiels pour de nombreuses productions telles que le pétrole, le minerai de fer et les engrais potassiques. Cette décision de Pékin est peut-être nouvelle, mais elle n'est pas inédite et encore moins surprenante. En 2010, la Chine avait déjà fermé le robinet des terres rares au Japon lors d'une crise diplomatique entre les deux pays, et ces derniers mois, elle a pris quelques mesures dans le même sens.
Il faut aussi noter que cette décision fait partie d'un processus plus large. En juillet 2023, la Chine avait déjà publié un protocole visant précisément à contrôler les exportations de germanium et de gallium, deux métaux essentiels aux industries des semi-conducteurs et de l'automobile électrique. Toujours dans le même élan, le graphite a eu droit à une mesure similaire au mois d'octobre.
L'Occident ne compte pas rester les bras croisés
Alors que Pékin renforce ses restrictions, l'Occident continue de chercher des moyens de desserrer l'étau de l'industrie chinoise. Il y a quelques jours, Reuters a fait état des mesures prises dans ce sens par des sociétés minières canadiennes, allemandes et australiennes. Fin octobre, la Finlande s'est également vantée d'avoir découvert de la kukharenkoïte et de la cordylite, des minéraux essentiels pour les batteries, dans le gisement de Solki.