Le tout numérique continue de s’installer et la crise sanitaire que nous vivons actuellement pourrait accélérer son expansion. Certains éditeurs, distributeurs et mêmes joueurs persistent à concevoir des jeux en physique. La nostalgie, c’est un peu le super-pouvoir de ce média qui commence tout juste à vieillir. Pour celles et ceux qui ont grandi avec les disquettes, les cartouches puis les CD-ROM, ne pas ressentir une forme d’attachement à ces objets se révèle difficile. Des indépendants et des fans tentent de nous faire retrouver ce lien et des sensations d'époque grâce à la création et édition de titres en boîte compatible avec des consoles pourtant hors production et voire même, plus commercialisées.
La Nintendo 3DS peut se targuer d’avoir bien vécu tout en monopolisant le marché des consoles portables. Cependant, le succès grandissant de la Switch l’a peu à peu poussée vers une retraite bien méritée. La société japonaise a mis un terme à la production de l’ultime version New 3DS en juin 2019. La fin d’une époque ? Sans doute, mais la nomade n’a pas dit son dernier mot. Cela vous a peut-être échappé mais Nintendo a validé la distribution prochaine en boîte d’un jeu Limited Run Games appelé Atooi Collection, une compilation des meilleurs titres du studio. L’autre information à retenir avec cette annonce, c’est que si la cartouche rencontre un certain succès, de nouveaux exemplaires en physique de l’éditeur pourraient voir le jour sur la console. Étonnant ? Pas tout à fait. Limited Run Games n’est pas novice en la matière. L’éditeur se montre même spécialiste de la distribution de jeux physiques qui existaient déjà en version dématérialisée. C’était le cas avec Axiom Verge sorti très tardivement sur Wii U aux USA dans le courant du mois de mars 2019. Certes, les jeux en boîte restent rarissimes en fin de vie d’une machine, mais quelques-uns continuent de sortir pour des bécanes dont la production et même la commercialisation, se sont arrêtées parfois depuis des décennies.
Les homebrews, scène indépendante
Les joueurs continuent de faire vivre des consoles hors circuit grâce notamment aux homebrews. Ce sont des jeux vidéo en physique créés ou recréés par des fans ou petits studios sur des plateformes propriétaires. Prenons un exemple. Morte prématurément, la Dreamcast s’est construite au fil des ans une solide réputation d’artiste incomprise. Une vingtaine d’années plus tard, amateurs et distributeurs spécialisés s’entêtent encore à publier des titres pour la mythique machine de Sega, en boîte. Pixel Heart a sorti en 2019 et en édition limitée pour la plupart déjà existants, dont Captain Tomaday et Magic Pockets . Ils partagent le même support que celui commercialisé à l’époque. Cette pratique vient garnir les ludothèques assez limitées de vieilles machines. Pour l'Amiga nous pouvons citer les inédits Tank Fury ou Solid Gold sur CD ou disquette. L'Amstrad CPC a reçu en 2019 Clevermind, un homebrew français. Ces jeux sont gratuits en dématérialisé mais peuvent être acquis en physique pour une bonne dizaine d'euros.
La première question que nous pourrions nous poser, c’est si cette pratique n’enfreint pas la loi. Avec les années, le hardware devient débreveté, comme tombé dans le domaine public. Certaines consoles telles que la Mega Drive ne possèdent pas de verrou physique. L'unique restriction serait d'utiliser des contenus et données de marques protégées par les droits d'auteurs. Imprimer Sega ou Nintendo sur une cartouche par exemple, ce ne serait pas très malin. Ainsi les homebrews existent en toute légalité et se montrent techniquement réalisables.
Intéressons-nous maintenant à la NES, une machine assez âgée pour que les fans apprennent à la dompter. Créer un nouveau jeu sur celle-ci s'avère assez simple aujourd'hui. Le site Infinite Nes Lives propose plusieurs solutions, qu'elles soient matérielles ou logicielles. Une méthode consiste à vider des cartouches officielles. L'appareil Cartouche Kazzo « INL Retro » Dumper-Programmeur remet à zéro le support. Le kit NESmaker, un outil créé par New 8bit Heroes, permet de réaliser un nouveau jeu sur une cartouche NES, sans galérer avec des lignes de codes compliquées. En effet, avant le NESmaker, le développement n'était pas une mince affaire. Cela demandait un bon niveau d'expérience pour mettre les mains dans le processeur 6502 de la console 8-bit. Si nous remontons plus de dix ans en arrière, cette machine et ses concurrentes accueillaient déjà des homebrews. Rudimentaires et peu intéressants, ces fangames étaient avant tout de petites performances réalisées par quelques génies du développement.
Combien ça coûte ?
Pour comprendre un peu plus les étapes et coûts de création d’un homebrew sur support physique, nous avons contacté Florent Gorges, gérant des Éditions Omaké Books et de sa filiale Omaké Games. Pour l’adaptation sur NES de la bande dessinée Basse Def Adventures, la maison d’édition a travaillé main dans la main avec Broke Studio, spécialisé dans le développement et édition de nouveaux jeux vidéo pour NES, Famicom et Mega Drive. Le plateformer a demandé six mois de travail et celui-ci peut être acheté sur la boutique en ligne au prix assez élevé de 52 euros. Un tarif qui peut cependant s’expliquer : « C’est vrai que pour un jeu NES c’est cher, mais les joueurs ne se rendent pas compte du coût de production. N'oublions pas que ce sont de petits tirages qui se comptent en centaines, contrairement à l’époque où les jeux étaient produits par centaines de milliers à la chaîne.»
Fabriquer une cartouche et son emballage demeure simple, mais quand on additionne tous les petits coûts et la production, l’objet final se montre cher, contrairement à un support CD ou DVD. Le prix des boîtiers plastiques oscillent entre 1 et 10 $ avec les frais de livraison depuis les États-Unis ou la Chine. Viennent ensuite les composants comme la carte mère qui chacun vont de 4 à 6 $ et la ROM pour une dizaine de dollars. N’oublions pas non plus la TVA à 20 %, les maquettes et impressions des boîtes et notices. En tout, une cartouche prête à l’emploi grimpe approximativement à 25 euros pour un tirage à 500 exemplaires. Florent Gorges parle là d’un « business plaisir » puisque « la marge reste très limitée ». Il ajoute « Il y a beaucoup de homebrews et certains s’imaginent que c’est devenu un business énorme, mais ce n’est pas encore le cas. »
Pour profiter de tous ces titres, il convient de posséder chez soi une console en bon état de fonctionnement, cela va de soi. Pour en acheter, prudence est mère de sureté : se référer à l'argus pour ne pas se faire avoir par le prix, vérifier l’état de marche de l’article. Sur un malentendu, dans un petit vide grenier de compagne, vous pourriez aussi trouver satisfaction.
Les hombrews doivent leur existence aux communautés de joueurs qui, par leur passion, continuent de faire vivre des machines du siècle passé. Avec les années, développer pour ces consoles devient plus facile et les idées de gameplay plus modernes permettent de délivrer des jeux inédits et de qualité. Le plastique et les composants des supports ne sont pas éternels. Nous pourrions donc envisager que la possibilité de créer de nouvelles galettes ou autres sert aussi à conserver les œuvres, les prêter et les transmettre dans un respect des conditions d’origine. Dans un monde très numérisé, nous perdons le lien qui nous unit aux objets. Nous ne possédons plus, nous accédons. Et sans support, nos jeux perdent de leur visibilité et ne sont plus que des données stockées quelque part. Ces disquettes ou cartouches promettent de nous faire revivre la facilité de l’époque : insérer son jeu dans une console, allumer cette dernière et jouer directement sans passer par des menus, des boutiques en lignes, des installations et l’attente d’un chargement.