D’un côté, nous avons le géant japonais de l’électronique qui a dynamité le marché des consoles de jeux lorsque sa PlayStation a glissé ses 32 bits entre les mains de millions de passionnés au milieu des années 1990. De l’autre, nous avons le colosse américain de l’informatique qui a débarqué en 2001 pour ne pas laisser la menace asiatique marcher sur ses plates-bandes. Aujourd’hui, après des hauts et une série de coup bas, Sony et Microsoft préparent la sortie de leurs nouvelles machines qui selon toute vraisemblance s’entrechoqueront à la fin de l’année 2020. Ce qui saute pour le moment aux yeux, c’est que les deux constructeurs ne s’y prennent pas de la même manière pour communiquer sur leurs futurs lancements. Entre le silence mesuré de l’Est et la volubilité de l’Ouest, les stratégies diffèrent, mais la finalité reste la même : distribuer des consoles et surtout des abonnements.
Le match a déjà commencé
L’année 2019 se termine sur la promesse d’un choc frontal imminent entre la PlayStation 5 et la Xbox Scarlett. La bataille va tout d’abord se jouer sur le terrain des promesses, puis sur celui plus tangible du hardware. En réalité, la guerre a déjà commencé. Les deux groupes se répondent par communiqués interposés et révisent leurs arguments. Quand Microsoft achète sept studios de plus ou moins grande envergure en un an — avec Compulsion Games, Ninja Theory, Undead Labs, Playground Games, Obsidian, inXile et Double Fine — Sony annonce le rachat d’Insomniac Games, studio derrière Ratchet & Clank, Sunset Overdrive ou plus récemment Spider-Man. Un rapprochement qui paraît logique à la vue des multiples collaborations entre les deux groupes tout au long de ces vingt dernières années, d’autant plus que le développeur a l’habitude des “AAA” et des jeux en réalité virtuelle, sujets chers à Sony.
Sony a annoncé le rachat surprise d'Insomniac Games en août 2019.
Au petit jeu de la communication autour des futures consoles, c’est Microsoft qui a ouvert les hostilités en premier en annonçant à l’E3 2018 que ses équipes travaillaient déjà “sur l’architecture de la prochaine Xbox”. Après avoir habilement transformé le “s” de PlayStation en “5” dans son thème de Noël 2018, Sony a attendu le mois d’avril 2019 pour dévoiler des éléments de la PlayStation 5, par le biais de son architecte Mark Cerny. En effet, dans un entretien chez Wired, l’homme qui a supervisé la conception de la PS4 déclarait viser une forte puissance de calcul ainsi que la disparition des temps de chargement. Il officialisait également la rétrocompatibilité de la machine, balayant d’un revers de main les précédentes explications d’un Jim Ryan (président de SIE) ne comprenant pas la nécessité d’une telle fonctionnalité. Il faut croire qu’à l’approche de la bataille avec la prochaine Xbox, PlayStation ne souhaitait pas laisser l’argument de la compatibilité descendante aux équipes de Phil Spencer.
Sony avait subtilement annoncé la "Play5tation" à la fin de l'année 2018.
La réponse de Microsoft a eu lieu deux mois plus tard, pendant la conférence E3 2019 de la compagnie. Les promesses formulées à cette occasion sur la puissance et sur les temps de chargement furent proches de celles proférées par la société japonaise. Les deux machines devraient disposer d’un CPU AMD Ryzen custom, d’une mémoire RAM GDDR6 et d’un espace de stockage SSD. Phil Spencer a cependant précisé que les accessoires Xbox One seront eux aussi compatibles sur Scarlett. Au début du mois d’octobre 2019, Sony a entamé une nouvelle sortie médiatique. La marque japonaise précisait que la machine était elle aussi prévue pour la fin de l’année 2020, qu’elle s’appelait bien PlayStation 5, et que le ray-tracing était géré en hardware, comme sa concurrente. L’article mettait surtout en avant les nouvelles manettes qui disposeraient d’une technologie de retour haptique. Cet échange soutenu entre les deux constructeurs s’arrête pour le moment ici, Microsoft n’ayant pas souhaité profiter de son X019 pour rebondir sur les derniers arguments avancés par son concurrent.
De l’ombre à la lumière
Cela fait plus d’un an que Microsoft organise des conférences (E3, X0) sans que Sony n’organise de press briefing centré sur sa marque. Privés du PlayStation Experience et des shows californiens, les observateurs doivent se contenter des State of Play ainsi que des quelques informations officielles accordées à Wired pour s’informer de ce qui se trame chez le géant japonais. Ce silence, interrompu par la diffusion de quelques déclarations officielles, est une arme marketing évidente. Sony a vendu plus de 100 millions de PlayStation 4 et a réussi à imposer la plupart de ses first party, qu’il s’agisse d’Uncharted 4, God of War, ou encore Spider-Man. En bref, la marque a le vent dans le dos et se paye le luxe de se faire rare, le succès sur cette génération étant assuré. En outre, cette technique prouve l’indifférence affichée de Playstation envers sa concurrente américaine, qui de son côté continue d’occuper l’espace médiatique.
Les titres first party de Sony ont rencontré de beaux succès commerciaux.
Les enjeux ne sont pas les mêmes pour Phil Spencer et ses équipes. La firme de Redmond doit profiter de chaque créneau offert pour faire connaître ses services. Dans l’ombre de ses jeux, Microsoft veut vendre du Gold, du Game Pass, du xCloud voire mieux, tout à la fois. Le concurrent japonais ne semble pas enclin à laisser la marque au gros “X” devenir tranquillement le Netflix du jeu vidéo. Les équipes de Jim Ryan ont annoncé en octobre 2019 l’arrivée de “AAA” sur son PSNow, ainsi qu’une baisse de prix conséquente de l’abonnement. Si la réorganisation plus ou moins douloureuse s’opérant chez Sony peut faire penser à une bête qui mue, prête à bondir sur sa proie, Microsoft joue l’ouverture et la force tranquille. La firme de Redmond ne s’est pas opposée à la sortie de titres confectionnés par ses studios sur Switch et PlayStation 4, alors qu’un partenariat avec Sony a été annoncé sur la technologie Cloud.
Sony veut continuer, Microsoft veut convertir
Jim Ryan a précisé chez Gamesindustry que Sony met tout en œuvre pour faire migrer rapidement les joueurs PlayStation 4 vers la PlayStation 5. Avec une base d’utilisateurs s’élevant à plus de 100 millions de clients, il est aisé de comprendre les motivations de la compagnie japonaise à réussir en douceur cette transition. Xbox souhaite au contraire convertir un nouveau public afin d’élargir sa fanbase et pousser dès aujourd’hui l’utilisation du Game Pass Ultimate. C’est pourquoi la compagnie américaine a récemment acheté et fondé des studios capables de produire des RPG (Obsidian, inXile, Playground), des jeux de plateforme et d’aventure (Double Fine) ou encore des titres d’action narratifs (Ninja Theory, The Initiative). L’idée est de proposer des genres variés capables d’attirer dès maintenant différents profils.
Microsoft veut de la diversité pour son Game Pass.
Sony considère que le marché est suffisamment mûr pour concentrer sa communication sur les joueurs “'hardcore'”, quitte à moins mettre en avant les jeux indépendants. Microsoft, de son côté, expose régulièrement des titres produits par des équipes de taille modeste. Le géant ne se souvient que trop de ce qui lui a été reproché pendant le lancement chaotique de la One, l’obligeant à revoir plus tard sa politique pour intéresser de nouveau les petits studios. Les State of Play devraient néanmoins permettre aux indépendants de faire parler d'eux, quand bien même ils ne seraient pas exposés lors des événements majeurs organisés par PlayStation.
Les jeux indépendants ont fait les beaux jours de la PS4 en début de génération.
Nom officiel (PlayStation 5) contre nom de code (Scarlett), port ethernet orienté vers le bas (PlayStation 4 Pro) contre port ethernet orienté vers le haut (Xbox One X), les deux constructeurs aiment s’opposer sur des détails. Bien que la façon de communiquer diffère, l'objectif pour les deux compagnies reste globalement le même, à savoir imposer une machine et des abonnements. La différence majeure vient de l’importance accordée à l'objet console lui-même, largement plus mis en valeur chez Sony malgré la promesse d’un PS Now compétitif disponible sur PC. Le service de streaming comptait en avril 2019 environ 700 000 abonnés, et Jim Ryan croit dur comme fer en son expansion. Les deux géants sont plus que jamais attachés au modèle de l’abonnement qui assure des résultats financiers faciles à anticiper. Si les jeux seront toujours l'argument premier, c'est peut-être la multiplicité des façons d'y accéder qui fera la différence.