C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour m'exprimer sur ce sujet. Le seul moment aussi, parce que je voulais réfléchir à froid. Y a de la politique, y a de la philo, y a un peu de confession personnelle au début, et y a peut-être un jeu de mots dans le titre du topic mais c'est vous qui l'avez trouvé, pas moi.

Si je vous dis que j'ai écrit ce truc en compagnie d'un ami musulman et d'un ami chrétien, vous ne me croirez pas et vous aurez raison à moins de tolérer les métaphores ; mais je vais quand même préciser qu'aucune religion n'a été insultée dans la réalisation de ce texte. Enfin si, juste une peut-être, celle des droits de l'homme -- est-ce un motif de DDB pour apologie du terrorisme ?

Je vous souhaite une bonne lecture, et vous pouvez bien sûr réagir, poser des questions, vous taire, etc, dans le respect de la charte bien entendu. J'ai voulu, quant à moi, parler pour dire vraiment quelque chose, et suis désolé pour ceux qui n'y verraient que du bruit ajouté à du bruit.

Help !
Qu'on aide ce dérélicté !
Cet insensé
Qui ne sait vraiment qu'un mot
Hébreu
Ou bien araméen :
Hallelujah... ?
Non pas çui-là
L'autre
Celui du crucifié
Mais c'était plutôt une phrase en fait
Incroyable qu'en un moment pareil
Il ait réussi à en faire une
Avec sujet verbe complément --
Enfin bref
Coucou
C'est moi
Qui ne sais pas
Si je suis janséniste
Ou républicain !

Je chéris la laïcité autant que je méprise la liberté humaine
C'est-y pas ballot
C'était bien la peine de tuer Dieu pour le remplacer par l'homme
Et puis
Que de bruit de fureur
Chez ce nouveau Seigneur
Ô Pythagore que ne conjuras-tu cette tempête
Qui affole toutes les têtes
M'enfin
Une liberté méprisable vaut mieux qu'un bâillon révoltant n'est-ce pas

Pauvre Charlie
Infant hebdo
Poor poor shadow
A pavané son heure
En bon moqueur --
Fils de Voltaire
Mérite salaire !

Servez-moi la satire
Servez-moi le blasphème
Servez-moi le rire gras et les éructations
Mais faut bien que ça serve à quelque chose,
Hein, l'homme ? On vit de se moquer hélas, et en vérité
Je suis un grand romantique,
Janséniste ET humaniste !

Je sais trop la vraie souffrance --
Celle qu'on ne voit pas ou ne veut pas voir --
Pour descendre dans la rue sous les caméras
(Qui pour les victimes de Merah,
Qui pour celles de Baga ?)
Et j'aime trop le silence pour faire de Charlie un héros
Mais martyr, ça il l'est,
-- Au pays des martyrs qui ne témoignent plus
Au pays des galets qui roulent sur la plage
Et ne savent plus rien de la vague qui les pousse --
C'est pas le plus noble
Pas le moins sympathique non plus il faut le dire
Avec son irrévérence bien gauloise
Et bien qu'il ne soit pas un témoin exemplaire,
C'est celui que nous méritons pour nous être assoupis.

Car nous les Charlie oublions vite
Que derrière la comptine de la liberté d'expression
Il y avait autre chose
Au commencement
Une essence
Le silence
Et l'idée
Très sacrée
De la laïcité
Aujourd'hui oubliée
Aujourd'hui menacée --
Mais qui s'en aperçoit vraiment ?
On veut pouvoir dessiner un prophète le cul à l'air
Parce que c'est drôle,
Parce que c'est notre droit,
Parce que dans la République de Desproges
Tout le monde, n'est-ce pas, sait en rire --
Mais quand Paris fête l’Aïd-el-Kébir
Pas une voix ne s'interroge...
On protège avant tout sa liberté,
Et pas tellement l'idée qui l'a fait naître.
On accuse des fous ;
C'est pas l'Islam, même pas des hommes --
Rien que des extrémistes, des marginaux ; après tout,
Pas de quoi troubler l'ordre du monde, hein.
Tout au plus a-t-on assez peur pour nos vies
Pour avoir le courage de descendre dans la rue
Au milieu de la foule.

Oui, vous êtes Charlie,
Et je le suis aussi
Quoiqu'à contrecœur ;
Mais je vous vois fantasmer
Devant les saints droits de l'homme
Et vous figurer qu'il n'existe plus qu'une seule lutte en ce monde,
Celle qui oppose des fous à des hommes libres --
En n'admettant pas
Que ces fous ne sont pas sortis du ventre du diable.

Car la France ne combat pas simplement les barbares
Ceux qu'on exclue si facilement de l'humanité
Et notre démocratie ne défend pas simplement son hochet favori
Qu'elle aime à agiter devant les tyrannies
Non, c'est tout con en fait
L'Histoire de notre République se répète
Un peu différemment cependant
Et c'est là tout le problème
L'Islam n'est pas tout à fait le catholicisme
Et le monde d'hier pas tout à fait celui d'aujourd'hui

Ah ! J'espère que Hegel a raison
Et Huntington a tort
Mais ça fait longtemps que je n'ai pas fait de philo
Et quelque chose me dit que de toute façon
Dans deux mois on sera repu
Et le grand chant
Ne reviendra plus.

Plop !

Je ne suis pas d'accord. Mais c'est joliment écrit.

Que j'aime le désaccord fondé sur un respect mutuel !

Pourquoi, cela dit, n'es-tu pas d'accord ? Trouves-tu mon discours trop réactionnaire et anti-droit-de-l’hommiste à ton goût ? Ou bien penses-tu peut-être que je me trompe sur les Charlie ?

Ba, je suis simplement, de principe en désaccord avec tout ce qui peut être dit sur Charlie Hebdo. Je trouve qu'un peu de silence serait davantage marque de respect envers les personnes qui ont été victimes, que tout le battage qu'on fait (qu'on soit Charlie ou qu'on conteste être Charlie).

Le fond de l'affaire (mais ça, manifestement tu l'as bien marqué) c'est qu'il y a eu récupération politique et médiatique de l'attaque -en dehors des manifestations qui pour moi ont surtout été une occasion se sentir une appartenance à une communauté Française universelle -, et qu'on parle tellement de la liberté d'expression qu'on en oublie qu'il s'agit à la base d'hommes qui ont tué d'autres hommes pour un motif relevant de la psychiatrie.

Je me souviens qu'en 2001, suite aux attentats du 11 septembre, on avait demandé une minute de silence dans toutes les écoles Françaises. Quelque chose de ce genre aurait été pour moi plus respectueux, que d'organiser une marche festive en brandissant dans tous les journaux, un slogan ridicule. Je ne suis pas Charlie, je suis Edouard.

Mais on en parle tellement que désormais, même avec ceux qui contestent le consensus social, je ne suis pas d'accord.
Les contestataires, comme les ""Je suis Charlie"", ne font qu'entretenir un formidable bruit qui, en plus ne durera que quelques temps (ça rejoint d'ailleurs la conclusion de ton texte). C'est du pathos collectif et je trouve cela particulièrement vain, pensant tel un triste sire qui critiquerait la bonne foi vacillante et évanescente de ses concitoyens.
Bref, j'estime que plus on en parle, plus on entretient une vanité sociétale.

Je préfère me souvenir... en silence.