"Célestin, tu es un bon élément, c'est pourquoi je te confie la gestion du plus gros portefeuille de la boîte. Cela voudra dire que tu auras une pression continue sur les épaules et des comptes à rendre régulièrement aux clients ainsi qu'à ta hiérarchie. Je n'ai pas hésité longtemps car je sais que tu es l'homme de la situation. Ton efficacité n'est plus à prouver. En revanche, le revers de la médaille, c'est que je vais devoir annuler tes deux semaines de vacances d'été et modifier légèrement tes horaires, car, comme tu le sais, nous avons renégocié l'appel d'offre et gagné de nouveau contrat, ce qui implique qu'en échange de cette confiance qui te sera accordé -absolument inédite dans l'histoire de notre entreprise, je ne te le cache pas- , tu devras te rendre disponible dès 8h le matin jusqu'à 18h30, et aussi assurer une veille relationnelle les week-end, c'est pourquoi je te confie ce téléphone personnel. Je prends un vrai risque en t'accordant de tel privilège mais je suis de ceux qui savent remercier comme il se doit les éléments les plus méritant. Aussi, comme Steph et Marco partent tous les deux débuts juin, je compte sur toi pour assurer le back-up, car avec le ramadan et l'absentéisme qui en découle, nous n'avons pas assez de bras - du moins pas aussi qualifié que toi- pour gérer ces deux portefeuilles de très haute importance, puisque, comme tu dois le savoir, nous allons les renégocier début Septembre et nous devons absolument montrer patte blanche, car si on perd ses marché, ce sera la porte, Célestin. Pour finir, concernant ton portefeuille actuel, tu le conserveras, puisque je sais que tu es autonome et que tu n'aimes pas trop qu'on mette le nez dans tes dossiers. Ce que je comprends. Avant de clôturer cet entretien, je voulais aussi te parler du volet financier : malheureusement, en temps que prestataire, et avec ces sales affaires de délocalisation au Bangladesh, nous ne pouvons pas augmenter ton salaire, mais ce n'est que partie remise. D'ici quatre à cinq ans, si tu continues à ce rythme, tu seras sans doute promu pilote dans les structures que nous ouvrons actuellement à Casablanca. Ton salaire baissera de moitié, mais je sais que tu es un type passionné, Célestin, et c'est justement cela qui fait ta valeur humaine profonde. Tu es le meilleur, Célé', ne change rien. Café ?
- Oui, s'il vous p-plaît, me-me-merci patron. Et du coup, je peux avoir mon lundi ? C'est notre anniversaire de mariage et je voulais emmener ma femme en week-end dans la baie de somme...
- Ecoute, Célestin, loin de moi l'idée de vouloir te mettre des bâtons dans les roues, mais au vue de la conjoncture, j'ai vraiment besoin des maillons forts pour assurer, car comme tu le sais je pars à Djerba dès jeudi et si tu n'es pas là, je ne vais pas être tranquille pendant deux semaines. Je sais que tu es un chic type, Célé', des plus loyaux que j'ai connu, donc je compte vraiment sur toi pour lundi prochain. Qui plus est, tu connais les standards de la boîte, normalement les demandes de RTT s'effectuent deux semaines avant la date prévue. Si nous nous organisons de la sorte, c'est qu'il y a une raison. Enfin, je sais que tu sais comment ça fonctionne, et je comprends tout à fait ce désir de te ressourcer avec ta femme, mais soit, mon avis est que tu ne louperas rien, tu as vu les prévisions météo ? ça n'augure rien de bon, franchement, tu seras mieux au bureau, bien au chaud. Aussi il y a des audits de process qui seront réalisés ce jour, par une boîte externe, et si tu n'es pas là, je vais passer pour quoi, moi ? Ce coup-ci, nous n'avons pas le droit à l'erreur. Tu es talentueux, Célestin, mais n'oublie pas qu'une entreprise, c'est avant tout un collectif. Si je t'accorde un RTT sauvage, comme ça, tu imagines bien que tes collègues ne vont pas vraiment apprécier. Et cela n'arrangera pas l'image négative qu'ils ont de toi. Mais ne t'inquiète pas, je travaille à redorer ton image. Enfin, manger seul le midi, ce n'est pas si mal, au moins on est tranquille... personnellement, toutes ces conventions sociales ont tendance à me fatiguer. Qu'en penses-tu, l'ami ?"