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Sujet : [Fantasy] Les frasques d'un baladin en maraude - tome 1 : La marque

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LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
26 février 2017 à 20:16:23

Bonjour, amis et fidèles lecteurs.

Vous n'êtes pas sans ignorer que ce n'est pas le premier topic consacré à mon roman la Marque, premier roman de la saga : "Les frasques d'un baladin en maraude".

Ce topic est un DLC gratuit incluant des point de vu différents pour les différents personnages de la marque. Le scénario et le style ne seront pas changés, seulement le traitement des personnages. Vous pourrez y découvrir en profondeur comment Ildibad, Déotéria, Alexander, Domitille ou encore Charles ont vécu cette aventure.

Je mets à disposition un pdf que je mettrai à jour au fur et à mesure que cette histoire s'écrira, se réécrira, n'hésitez pas à consulter aussi souvent que vous le souhaitez. Il est actuellement hébergé sur mon serveur web, je ne compte pas le renouveler (donc d'ici Mai), alors si jamais vous n'êtes pas un habitué de ce forum, je vous conseille de regarder un peu plus en avant dans ce topic pour trouver la version pdf.

:cd: http://www.labarakafic.fr/lamarque.pdf :cd:

Je suis ouvert à tous vos commentaires, positifs comme négatifs, alors n'hésitez pas à me faire part de votre ressenti [[sticker:p/1kkn]]

Merci à tous de me permettre de continuer cette fabuleuse aventure,
Je vous souhaite une très bonne lecture,
Polochon.

PS : Vous trouverez le glossaire des personnages et les différentes illustrations dans le pdf.

Message édité le 26 février 2017 à 20:16:55 par LePerenolonch
LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
26 février 2017 à 23:23:52

PRÉLUDE

CHIMÈNE

« Silence, tu vas lui faire peur ! » la réprimanda Jacob en chuchotant.

Avec précaution, Chimène s’affaissa dans les fougères. La biche avait cessé de brouter, la tête relevée et tous ses sens en alerte. Telle une statue, la jeune femme se retenait de bouger, quitte à avaler l’humus. Elle entendit son cousin remuer quelque peu les fourrés, et les craquements de son arc alors que la corde se tendait. La biche abaissa une oreille.

En proie à la concentration, Jacob aligna sa cible sur la pointe de sa flèche. Il souffla pour chasser ses mèches châtain de son œil et décocha. Aussitôt le trait parti, la biche fit un écart et son derrière pommelé disparut dans les profondeurs du bois. Les fougères frémirent d’un air moqueur et Jacob pesta.

« On ne pourrait pas faire demi-tour maintenant ? » proposa Chimène.

Son cousin roula des yeux.

« Bien sûr, tu expliqueras à ton père qu’en fait nous étions partis à la chasse aux marguerites.
— Il va bientôt faire nuit. Et Papa croit que nous achetons la viande au marché, répliqua-t-elle.
— Dis plutôt qu’il ferme les yeux sur sa provenance. »

Les ombres de la forêt s’étiraient au fur et à mesure que le ciel se teintait d’orangé. Chimène supportait mal la chaleur étouffante de cette fin d’été, ramenant ses nuées de petites bêtes noires qui lui collaient à la peau. Elle les chassait de son visage, mais les bestioles s’écrasaient sous ses doigts, disparaissaient dans ses cheveux roux, provoquant en elle une profonde exaspération.

« Allez, vite, elle n’a pas dû partir bien loin ! » s’exclama Jacob en bondissant hors de sa cachette, arc et flèches en main.

Ils se mirent à courir aux trousses de l’animal. Le sol escarpé leur donnait bien du mal, véritable champ de crevasses et de branches mortes. De plus, les enjambées de son cousin couvraient deux fois les siennes. Bientôt, elle dut s’arrêter, un point de côté lui brûlant la poitrine. Se tenant le flanc, elle s’appuya contre un tronc, ahanante. Les arbres centenaires recouverts de mousse ne la rassuraient pas. Épais et noueux, ils pouvaient dissimuler nombre de choses, et leurs branches se tordaient tels de vieilles griffes souffrant d’arthrose, s’enlaçant avec difficulté autour des uns les autres.

Chimène pressa le pas, peu rassurée de se trouver seule en forêt. Elle ne craignait rien du temps qu’elle restait avec Jacob. Elle le retrouva au somment d’une butte, grattant d’un air songeur sa tignasse qui lui tombait aux oreilles. Il ne déplaisait pas à la jeune femme de voir son cousin se comporter avec sagesse, mais le voir réfléchir à ce moment précis l’inquiéta. Il ne semblait plus aussi sûr qu’il ne le prétendait. Le garçon plissa les yeux afin de mieux voir le fond de la forêt.

« Ça serait bien d'être rentrés avant que la nuit ne vienne... gémit-elle. Sophie dit que des esprits hantent les bois la nuit venue...
— Rien à faire de cette vieille folle et de ses contes à dormir debout ! » tempêta Jacob en levant les bras en l'air.

« En plus j'ai mon arc ! »

Il désigna du doigt l'arme passée en bandoulière.

« Tu sais réellement t'en servir ? La biche court toujours…
— Mais bien sûr que oui, oh ! se vexa-t-il. Continuons, veux-tu ?
— Et si on nous attrape ? s’inquiéta-t-elle.
— Je ne me suis jamais fait prendre, assura-t-il.
— Il suffit d’une fois. »

Le braconnage se payait de ses deux mains. La décapitation aurait été peine plus clémente, évitant une lente agonie pouvant durer des années. Les risques d’être pris demeuraient grands, en partie à cause de la récompense qu’accordait le mouchardage.

Jacob s'éloigna en pressant le pas. La jouvencelle regarda par-dessus son épaule et son cœur chuta dans sa poitrine. Aucune trace du sentier qu'ils avaient quitté un quart d'heure auparavant. La forêt semblait être en tout point identique. Partout le même océan de troncs et de verdure. Quelques rayons de soleil filtraient encore parmi le feuillage, éclaboussant de sa lumière le sol, les troncs, et le petit nez pointu de la jeune fille.

Tout le monde à la Vaupalière se gaussait d’elle et de sa lâcheté, et ce, depuis sa petite enfance. Sa réputation demeurait inchangée, bien qu’elle eût dix-sept hivers. Elle avait toujours peur de se couper en maniant les outils, ou de se piquer avec les aiguilles à tricoter. Elle fuyait la nuit tombée comme si elle avait été une ombre happée par les ténèbres. Sauf quand Jacob se tenait à ses côtés.

Soudain, elle achoppa sur une pierre et se retrouva la face dans les feuilles mortes. Sa cheville la lancinait, et elle lâcha un râle de douleur. Aussitôt, son cousin vient à son aide.

« Qu’est-ce qu’il t’est encore arrivé ?
— J’ai glissé, grincha-t-elle.
— Ça va, tu n’as rien. » déclara-t-il en lui frottant ses vêtements.

Ce n’était pas lui qui allait clopiner jusqu’à la maison. Tant bien que mal, Chimène se remit debout, non sans une grimace.

« Je ne vais pas continuer comme ça, protesta-t-elle, il faut que nous rentrions. J’ai un mauvais pressentiment.
— Si tu me parles encore de tes esprits, je te jure que… »

Il s’interrompit, et un sourire se dessina sur son visage. De son index, il désigna un talus.

« Regarde, une piste. Le bétail a dû passer par là. »
Alors qu’il s’apprêtait à repartir, Chimène le retint par la manche. Un pli soucieux se dessina sur son front.

« Quoi, tu te compisses encore ?
— Je ne voudrais pas que l’on ait des ennuis avant que tu partes.
— Tu les attires, les ennuis, à avoir peur de ton ombre, la rabroua son cousin, de mauvaise humeur.
— Si jamais le seigneur Aubépine a vent d’un quelconque méfait de ta part, il te le fera payer.
— Le seigneur Aubépine ? Il ne saura jamais que j’existe.
— Les autres soldats, alors, renchérit-elle. Tu sais comment ils traitent les Azalée. Papa te l’a raconté. »

Jacob leva les yeux au ciel. Le garçon ne semblait pas comprendre. Dans la famille Azalée, chaque jeune homme devait servir dans l’armée du seigneur Aubépine, à cause d’une insurrection perdue il y a près d’un siècle. Ses deux frères étaient conscrits depuis longtemps, loin de la ferme familiale, et Jacob avait endossé leur rôle. Depuis l'enfance, ils partageaient tous leurs jeux, et toujours Chimène avait pu compter sur la main secourable de son cousin. Bien qu'elle fût son aînée d'un an, c'était toujours lui qui prenait les décisions. Ce jour-là n'avait pas fait exception à la règle. Chimène savait pertinemment qu'elle ne rentrerait pas tant que Jacob ne l'aurait pas décidé, et elle était bien trop couarde pour revenir seule sur ses pas.

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
26 février 2017 à 23:24:06

Déjà le garçon rampait à travers les ronces, pistant ce qui devait être de vieilles traces de sabot. Chimène s’approcha de lui, et s’agenouilla à ses côtés.

« Regarde, s’enthousiasma-t-il, c’est génial.
— Quoi donc ? »

La jeune femme ne voyait que de la terre.

« Une crotte. »

Chimène soupira. Si seulement elle n’avait pas suivi son cousin… elle commençait à amèrement regretter sa décision. Si ce dernier ne l’avait pas baratinée pour qu’elle l’accompagne… Alors que Jacob observait les déjections, Chimène rajusta sa robe. Son bliaud cramoisi retenait entre ses fibres quelques détritus de végétaux, tandis que le lin s’était déchiré, accroché par les ronces. Chimène frotta les rapiéçures pour essayer de les faire disparaitre. Comme le tissu se jouait d’elle, la jeune fille arrangea de dépit ses cheveux derrière ses oreilles décollées, dégageant ainsi son visage ovale taché de rousseur. Elle qui aimait toujours être présentable se sentait plutôt chiffonnée par cette escapade.

« Si tu ne trouves pas de meilleures évidences que du brun, autant rentrer tout de suite, vilipenda-t-elle.
— Encore quelques instants ! »

Le garçon commença à courir.

« Et on rentre après hein ? demanda Chimène avec espoir.
— Oui, oui ! » lança distraitement le jeune homme en soulevant les feuilles mortes sur son passage.
« Jac', s'il te plaît, reste près de moi ! » pleurnicha-t-elle en pressant l'allure.

Il avait escaladé un autre talus, et quand elle le rejoignit, elle posa sa main sur son épaule, comme pour essayer de le calmer.

« Regarde-moi donc ça, Chim’ ! » s’extasia Jacob.

Elle espéra ne pas avoir à regarder une autre merde. Rien de tout cela. Un bâtiment en pierre grise, dévoré par le lierre, dormait entre les arbres. Quelques colonnes sculptées tenaient encore debout, tandis que d'autres gisaient sur le sol, parfois brisées en deux.

La lueur surexcitée qui inondait les yeux bruns du garçon ne lui présageait rien de bon. Ils sautèrent en bas du coteau, observant l’intriguant mur qui s’offrait à eux. La façade du bâtiment laissait apparaître des vestiges de statues. Une béance noire faisait office de porte. Une gueule couleur de suie, exhalant ses remugles moisis. Jacob écarta quelques lierres et s’apprêta à entrer.

« Tu ne vas quand même pas aller là-dedans ? paniqua la jeune femme.
— T’inquiète pas, j’ai ce qu’il faut ! » dit-il en sortant des torches de sa besace. De son veston en cuir, il fit apparaître un briquet à amadou dans sa main. Il regarda le bâtiment d’un air songeur.

« Ce qui est drôle, poursuivit-il, c’est que personne n’en a jamais parlé. »

Dans l’esprit de Chimène, il ne faisait aucun doute : ceux qui l’avaient vu n’en avaient jamais eu l’occasion.

« Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle ! Et c’est une mauvaise idée, il est tard maintenant ! Rentrons ! » implora-t-elle.

À son plus grand désarroi, un filet de fumée s’échappait déjà des tissus imbibés de suif. Jacob obtint rapidement une petite flamme, qui les alluma. La torche crépitait narquoisement en attendant d’être saisie.

Elle hésita un moment avant de la prendre, et l’agrippa d’une poigne peu assurée. Jacob lui attrapa la pommette et la secoua gentiment.

« Eh, n’aie pas peur hein, les esprits, ça n’existe pas ! »

Elle esquissa un petit sourire face au geste d’affection de son coquebert de cousin, et se décida à le suivre. La lueur de leurs torches se reflétait sur les gravats qui s’amoncelaient sur le sol, mélangés à des feuilles mortes. Les poils de Chimène se dressèrent au contact de l’air frais.

« Tu imagines les trésors qu’il peut y avoir là-dedans, on deviendrait riche, et adieu la vie de misère, on aurait notre propre château... »

Chimène n’écoutait pas les fantasmes du jeune homme, contemplant avec inquiétude les fresques à moitié effacées sur les murs. Elles ne ressemblaient à rien de connu.

« Qui a pu construire cet endroit ? demanda-t-elle à Jacob.
— Qu’est-ce que ça peut faire ! Ça a été abandonné il y a des siècles !»

Elle s’attarda sur un bas-relief représentant un homme en méditation au milieu de canneberges et de canards. Même si la pierre se zébrait par endroit, les fissures qui parsemaient le corps du quidam paraissaient bien sculptées de manière intentionnelle. Peut-être se trouvaient-ils dans un repère de brutes sanguinaires qui scarifiaient les pauvres hères qui s’y aventuraient ? Chimène paniqua et percuta son cousin qui s’était arrêté. Ce dernier tiqua et s’éloigna d’elle d’un pas vif en soufflant d’agacement. Leurs pas résonnaient dans un écho sourd à travers les coursives désertes. La jouvencelle regardait pleine d’effroi les tunnels noirs qui partaient du couloir principal, s’imaginant des esprits prêts à lui aspirer l’âme à tout moment. Sa torche entrait parfois en contact avec des toiles d’araignées poussiéreuses qui se consumaient presque instantanément.
Chimène se demanda si les nitescences n’étaient pas des feux follets, ce qui ne la rassura pas. Elle sursauta et poussa un petit cri étranglé quand la voix de son cousin retentit dans le couloir désert.

« Chim’ ! aide-moi ! J’arrive pas à ouvrir ! »

Elle le maudit une fois, puis cent fois. D’où lui venait cette obstination ? Jamais elle n’aurait dû mettre ne serait-ce qu’un orteil dans ce fichu endroit. Si le passage était clos, ne devait-il pas le rester ? Elle se rapprocha du garçon. Sa torche reposait sur le sol, noircissant la pierre grise. Jacob s’affairait autour d’un gros roc rectangulaire qui bloquait le chemin. Il essayait en vain de le pousser, ne réussissant qu’à cramoisir ses joues. Il était clair que quelqu’un avait tenté de sceller l’entrée.

« Euh, tu sais, c’est peut-être pas plus mal, on devrait rentrer… suggéra Chimène.
— Pas avant d’avoir vu ce qu’il y a derrière cette porte ! annonça Jacob d’une voix déterminée.
— Ce n’est pas une porte, juste une pierre un peu plus lisse… » tenta-t-elle de le convaincre.

Il soupira.

« Allez, pousse. »

Chimène se mordit la lèvre. Elle était obligée de coopérer si elle voulait rentrer chez elle.

Les deux adolescents poussèrent alors de toutes leurs forces. Le visage rougi par l’effort, une veine saillait sur le front de Jacob. Des crissements se firent entendre. Le garçon ramassa sa torche et cassa le mortier qui retenait la porte à son encadrement. Recouvert d’une poussière grisâtre, il sourit de toutes ses dents. Ils redoublèrent d’efforts et enfin la pierre chuta sur le côté. Un courant d’air éteignit leurs oupilles et ils furent plongés dans l’obscurité.

« Je veux rentrer tout de suite ! » pleurnicha-t-elle. C’était le coup de trop. Des larmes coulaient sur ses joues.
— Oh ça va, tu ne vas pas me dire que t’as peur du noir ? » demanda-t-il cyniquement, agacé par la veulerie de sa cousine.

Sur ces mots, il s’enfonça dans les ténèbres. Chimène s’agrippa à sa ceinture. Aussitôt, quelque chose attira l’attention des deux adolescents. Une douce nitescence couleur lapis se diffusait dans le fond de la pièce, comme un majestueux voile de gaze. La brume ondulait, floue dans la pénombre. Chimène sentit ses paupières s’alourdir et une étrange mélodie aux teintes féminines bourdonna dans son oreille.

« Arrête de chanter. » râla Jacob d’une voix pâteuse.

La jeune Azalée n’eut pas la force de protester. Ils commencèrent à s’approcher de la lumière, comme des phalènes en été à la lueur des feux, perdant toute notion du temps. Une femme les appelait. Comment résister à sa voix mélodieuse ? Un appel réconfortant comme celui d’une mère. Tous leurs soucis seraient oubliés, il fallait juste qu’ils s’en approchent… Elle semblait promettre tant de choses… une volupté si douce, si soyeuse… Il n’y avait qu’à venir… le toucher était le savoir.

Chimène se prit le pied dans un nid de poule et retourna brusquement à la réalité. Elle écarquilla les yeux. Ils étaient juste devant la source de lumière. Jacob se rapprochait de la statuette, l’air béat. Cette dernière émettait doucement ses rayons bleus d’un ciel d’hiver. Il tendit une main. Chimène l’attrapa par l’épaule et le tira si violemment qu’il en tomba. Il cligna des paupières, ahuri.

« Que … ?
— Je ne sais pas, partons. » dit-elle d’un ton sec, ayant eu son lot de bizarreries pour le restant de sa vie.
« Attends ! » la coupa son cousin en sautant sur ses pieds. Il observa longuement l’effigie de pierre, accroissant le stress de Chimène.
Il reprit :
« Je suis sûr que cette statue a de la valeur !
— Jacob ! s’énerva l’adolescente.
— Je me demande comment la décrocher… » songea-t-il en tendant le bras vers l’objet.

Elle le tira de nouveau par la ceinture, mais il parvint à saisir la sculpture à pleine main. L’objet ne bougea pas. Aussitôt, un éclat lumineux inonda les pensées de Chimène. La lumière était tellement forte qu’elle en vacilla, un acouphène chantant sa plainte stridente au creux de ses oreilles. Une douleur atroce lui vrillait le crâne. Elle voyait flou, à moitié assommée. Elle tituba quelques secondes avant de s'écrouler. Sa tête heurta violemment le sol. Malgré la douleur, elle tenta de se relever. Le pavé semblait pris dans une danse endiablée : il se rapprochait, s’éloignait, virevoltait, la faisant s’étaler de plus belle à chaque fois qu’elle se redressait. Ses yeux se fermèrent après avoir vu le corps de Jacob, les bras en croix, le regard vide, fixant le plafond.

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
28 février 2017 à 23:00:13

J'ai changé le scénario de la première partie :hap:

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
09 mars 2017 à 16:26:27

Les Vangeld passèrent sans même leur accorder un regard, dans un défilé de maille, de plate, de grincements d’essieux et de tissus jaunes.
« Et n’oublie pas de payer le péage ! » lança Reyce, une fois éloigné, son cheval dandinant sa croupe.
« Un jour viendra où j’aurai leur peau, à ces rats ! » pesta Alexander. Ce furent ses derniers mots avant un moment.

Comme le soleil tapait haut dans le ciel, ils s’arrêtèrent aux abords d’une mare. Les canards cancanèrent farouchement à leur approche. Lorsque les chevaux trempèrent leurs museaux, troublant la surface de l’ondée, les volatiles multicolores s’enfuirent dans un tourbillon de plumes froissées. La végétation avait durement souffert de la chaleur et les herbes jaunissaient, témoignant de la sécheresse. Les hommes n’hésitèrent pas à plonger leur tête dans l’eau, afin de se rafraîchir. On monta une petite table sur laquelle on installa une coupe de fruits. Raisins, pommes et pêches n’attendaient que les palais secs des seigneurs Wiern.

« Je suis bien content d’être dans le sud, dit Adrian, le petit frère de Karl. La chaleur doit être étouffante à Fieramont. »

Bien qu’excellent cavalier, l’adolescent voyageait avec sa mère en charriot. La femme valétudinaire se montrait ébranlée par un si long voyage, et son médecin craignait pour ses jours. Comme d’habitude, Adrian avait parlé dans le vide. Alors que Karl mordait dans une pomme, un des soldats vint les rencontrer.

« Messires, s’inclina-t-il, une cavalière et son garde.
— Que veulent-ils ? s’enquit Alexander, grincheux.
— Ils veulent vous voir. Le chevalier porte les armes Millepertuis. »

Ils avaient effectivement traversé les Craffeux, qui appartenaient à cette famille. Alexander espérait juste que l’entrevue serait courte, et surtout qu’aucun souci ne s’empilerait sur la pyramide de ses problèmes.

Montant tous les deux un cheval baie, le chevalier était coiffé d’un heaume faîté d’une tête de taureau cramoisie. Un ample manteau jaune et rouge couvrait ses épaules. Son épée pendait à sa ceinture, un lourd écu sur champ d’or à taureau de gueules était accroché à son bras. La chaleur des vêtements devait être insupportable. La femme portait une robe en soie bleu de guède, et ses cheveux châtains étaient tressés en cascade. Lorsqu’elle s’approcha, Karl distingua des pommettes saillantes et des tâches de son qui lui mouchetaient les joues et le nez.

« Madame. » la salua Alexander, quittant son siège. Le chevalier retira son heaume, dévoilant son visage ruisselant de sueur. Il était jeune, vingt ans tout au plus, et des sourcils grotesquement broussailleux s’étalaient tels deux chenilles velues et brunâtres.

« Je suis Léonie Millepertuis, et voici mon frère, sire Charles Millepertuis. »

Elle tendit sa main, et Alexander la baisa, suivi de Karl. Léonie descendit de cheval. Alors que le chevalier s’apprêtait à l’imiter, elle l’arrêta :

« Restez en selle, nous n’en avons pas pour longtemps. D’ailleurs, qui vous a autorisé à retirer votre casque ? »

Charles se recoiffa aussitôt de son heaume. Karl fronça les sourcils, et Alexander fit la moue. Ils invitèrent la jeune femme à s’assoir. Elle prit son temps, prenant soin de plier sa robe pour ne pas la froisser. Adrian lui tendit la coupelle de fruit et elle y piocha une pêche, mordant délicatement dans la chair tendre.

« Merci, j’adore les fruits », dit-elle, une lueur enfantine dans le regard. « Surtout que ceux-ci ne se trouvent pas aisément dans la région. Messire Wiern, on dit que vous allez marier votre fils à la fille du seigneur Aubépine ?
— On dit vrai. Avez-vous été conviée au mariage ? demanda Alexander.
—Bien sûr. Lequel est le futur époux ? » demanda-t-elle en regardant successivement Karl et Adrian. Karl se redressa sur son siège, et déclara :

« C’est moi. »

Elle l’examina du regard, et Karl se sentit gêné par ses grands yeux marron qui le fixaient.

« Êtes-vous heureux ? » demanda-t-elle.
—Je… oui.
—Je pense que Domitille le sera aussi, sourit-elle.
—La connaissez-vous ? » questionna Adrian.

Karl lança un regard plein de reproche à son petit frère, qui volait l’attention de la jeune femme. Cette dernière lui répondit, un sourire bienveillant étirant légèrement ses lèvres délicates.

« Plutôt bien. Je dois vous laisser messire, merci pour les fruits.
— Non, restez ! proposa Karl. Nous pourrons vous escorter jusque Cenelle, afin que vous assistiez à la cérémonie de la Rencontre. »

La jeune femme fit la moue et eut l’air de peser le pour du contre.

« Je n’aime pas trop la foule, messire. Cela excite les chevaux et les rend peu fiables. Je ne suis pas très bonne cavalière… s’excusa-t-elle.
— Vous pourrez toujours monter dans les charriots avec ma mère, suggéra Adrian. Je m’occuperai de votre palefroi. »

Elle dénigra la proposition d’un sourire éclatant.

« Vous êtes mignon mon jeune seigneur. Mais je me dois de refuser, la route pour chez moi est encore longue et j’aimerai être rentrée avant que le crépuscule ne pointe. Nous nous reverrons très bientôt. »

Elle fit la révérence, et remonta à cheval avec grâce, en amazone. Une fois partie, Alexander se tourna vers Karl :

« Damoiselle Domitille est bien plus audacieuse que nombre de femmes.
— Que voulez-vous dire ? s’intrigua-t-il.
—Sire Charles a été le pupille de Frank, ton oncle. Je me rappelle de lui, son père l’avait amené à Fieramont pour qu’il y apprenne la chevalerie. Un brave gaillard, toujours prêt à rendre service, mais il a mis du temps à comprendre de quel côté il devait brandir son épée. Il était fils unique.
—De plus, ils n’ont pas repris la route des Craffeux. » constata Adrian, un peu déçu que Léonie ne fut pas celle qu’elle prétendait.
« Eh, oui. Karl, tu viens de rencontrer ta future femme. »

Karl sourit, regardant la silhouette des deux cavaliers au loin. Le seigneur Aubépine n’avait pas menti sur sa fille, la description était conforme à la lettre. Aussitôt, Fort-Cenelle lui parut trop éloigné, et il voulut se remettre en route sur le champ. La démarche de sa promise l’avait complétement séduit.

« Tu devras te montrer ferme avec elle, poursuivit Alexander. C’est une femme de caractère, et sire Charles m’a tout l’air d’être devenu son pantin, si tu tombes dans ses griffes, jamais tu n’en ressortiras.
—Je serai vigilant, père. »

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
10 mars 2017 à 21:01:10

T'as raison, y a juste une phrase qui a changé [[sticker:p/1lmb]]

J'ai des chapitres plutôt inédit qui arrivent la, mais si tu vas pas lire, ne te force pas [[sticker:p/1lm9]]

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
12 mars 2017 à 17:25:03

LA MAISON DÉCHUE D’ÉBROÏN

ÉRIC

« J’ai tellement hâte de tailler nos ennemis ! » s’exclama William en claquant son pied sur le sol.
Il tenait dans sa main son épée récemment acquise. Les flammes du feu dont les braises s’élevaient haut dans le ciel noir se reflétaient sur l’acier. Le tabard qu’il portait par-dessus son gambison était devenu gris et brunâtre, et une licorne de sinople se cabrait sur le torse du jeune homme. Il avait les cheveux jaune pâle, des yeux d’un bleu fade et ses os se dessinaient sur sa peau.
Éric Arthis souffla du nez, ce garçon était un sot, et les sots mourraient toujours les premiers.

William n’avait rien d’un Neufcâstelois. Il n’avait jamais plié le genou face à un seigneur Ebroïn, ne portait point les armes Melian ou Merrick, et encore moins celles d’un Arthis. Jamais il n’avait connu les douceurs de l’ancien fief de Neufcâstel. Le jeune homme n’était qu’un pauvre spadassin à la solde de Jules Hellébore. Après plus de six-cent ans de serments faits aux Seigneurs de Cenelle, les Aubépine, la famille Hellébore s’en délivrait. Les hommes du sire du Groin du Porc avaient rejoint les derniers Neufcâstelois une semaine auparavant.

Neufcâstelois et Hellébore avaient même croisé le fer dix ans auparavant, et Éric s’enorgueillissait d’avoir abattu Pierre, le frère de Jules. Aujourd’hui, les deux partis fraternisaient contre l’ennemi commun.

Bien sûr, le seigneur de Mortefange ignorait la traîtrise de ses vassaux. Ceux-ci, deuxième maison en puissance des terres-mortes, profitaient des évènements pour prendre le dessus sur les Aubépine. Pour Éric, ils n’avaient du statut d’allié que le mot, et voir tous ces tourne-casaques dans le camp l’écœurait. Cependant, il comprenait et acceptait la décision du seigneur Ildibad Ebroïn. Sire Jules Hellébore leur apportait des vivres frais, une force armée considérable et du nouveau matériel. Contre quoi exactement ? Éric l’ignorait.

Éric n’était plus tout jeune. Ses cheveux avaient viré au gris, puis au blanc, son dos s’était vouté. Assis en face du jeune homme, ses mains reposaient sur son énorme ventre et son menton débordait du gorgerin de son armure.

« Tu aurais vu la moitié de ce que j’ai vu, tu prierais pour être bien au chaud chez toi, une femme à tes côtés. Même sans femme, je prie chaque jour d’être au chaud bien chez moi. »

William fit la moue, boudeur.

« C’est pour ça, on doit se battre, afin que vous ayez un chez-vous. » dit-il.

Éric éclata de rire. Un sot doublé d’un naïf.

« Quoi ? s’esclaffa-t-il. Tu penses vraiment que tu te bats pour redonner une maison au peuple d’Ildibad Ebroïn ? Tu crois vraiment que ton suzerain, ce Jules Hellébore, avec ces airs pompeux, pris d’une sollicitude sans égal se bat pour permettre à ses anciens ennemis de cultiver et d’élever leurs enfants ailleurs que dans ce lugubre retranchement ? »

William parut vexé.

« J’espère pour vous que jamais plus vous ne parlerez en mal de mon seigneur. C’est un cadeau qu’il vous fait. »

Faquin.

« Des gens t’attendent, ailleurs ? demanda Éric, plus pour tuer l’ennui que par réel intérêt.
— Ma mère.
— tu as quel âge ?
— Dix-sept ans. »

Encore un gosse. Nourri d’illusions.

« Tu ferais mieux de rentrer chez toi ».

William l’ignora et commença à creuser une tranchée dans le sol avec la pointe de son épée. Éric regarda avec nostalgie l’écu posé contre un des nombreux hêtres qui peuplaient cette partie de la forêt. Les flammes dansaient sur le bois verni, comme mille démons revenus des enfers. Elles prenaient vie, et il pouvait voir des formes se dessiner, des soldats de feu prendre vie, entendre les cris des mourants, le fracas de l’acier qui s’entrechoque, le son des tambours accompagnant les hommes dans leur tombe. Deux plumes argent croisées sur fond lilas. Il pointa les armoiries d’un signe de tête.

« Autrefois, la vue de cette bannière imposait la crainte, quiconque la voyait croulait sous sa grandeur. Maintenant, nous ne sommes plus rien. La puissance est éphémère. Les empires s’écroulent, les hommes se voûtent, ce feu mourra. Tout décrépi, tout dépérira. S’acharner à imposer sa suprématie est un jeu futile auquel j’ai cessé de croire le jour ou Alexander Wiern ôta sa tête à Bérenger Ebroïn. »

Il cracha de dépit sur le sol.

« Allons, vieil homme, tu es bien trop pessimiste, reprit William. Les autres m’ont raconté, nous sommes prêts à frapper. Nous sommes plus forts qu’eux.
—Soit. Edmond Aubépine est bien un idiot. Ses troupes sont dispersées dans tout Mortefange. Ses alliés le trahissent. Nous vivons dans la Forêt de Brume depuis une décennie, sans avoir été inquiété plus que cela. Mais qu’arrivera-t-il une fois que nous aurons défait ce coureur de jupons ? »

L’air dubitatif, William haussa les sourcils.

« J’imagine que nous pourrons vivre tranquillement les vies que nous méritons, mon seigneur régnant sur Mortefange avec le vôtre.
—Non, grand sot ! Aussitôt que nous aurons blessé son fidèle chien, Alexander Wiern s’empressera d’emmener ses armées et de nous écraser, et par la même occasion s’approprier les terres de Mortefange. »

Agacé par le discours pessimiste du vétéran, William se mit à faire les cents pas. Toutes les nuits se ressemblaient : surveiller la pénombre sous les hululements des hiboux. Pour un jeune homme tel que lui, cet exercice était fort ennuyeux, lui qui rêvait de bataille et de gloire.

« Raconte-moi alors, finit-il par demander. »

Éric repositionna son casque et inspira.

« On t’a dit beaucoup de choses. Qu’on pouvait gagner. Mais est ce qu’on t’a raconté comment la maison Ebroïn en est arrivée là ? »

Le jeune homme hocha négativement la tête.

« Il y a vingt ans maintenant, les Ebroïn régnaient sur la province de Neufcâstel, au nord d’ici. Nos vassaux, les Croûtepain de la région d’Havrepré furent rapidement vaincus par un jeune seigneur venant de Felseweise : Alexander Wiern.
— Les Croûtepain sont ces gens qui ont une gerbe de blé comme emblème ? Celle sur un fond blanc, demanda William.
— Exact. Il les a anéantis. Il fit planter leurs têtes sur des piques, à la nouvelle frontière. Certains disent que dans ses vieux jours, il le regrette et s’enferme dans les lieux saints afin de purger sa conscience. Je n’y croie pas, pesta-t-il, haineux.
—Et ensuite ? voulut savoir William.
—Ensuite, Bérenger, le père de notre seigneur Ildibad en fut inquiété. Naturellement, Alexander Wiern avait écrasé nos alliés sans raison ! Le seigneur de Felseweise n’était pas satisfait. Il lui fallait plus. C’est alors qu’il s’en est pris à nous. Je frissonne encore rien qu’à l’idée de revoir ses loups, tout d’acier vêtu, charger notre cavalerie et effrayer nos chevaux. Puis, alors que l’on pensait l’enfer fini, un cor retentit. Près de trois cents chevaliers, sous les ordres d’Edmond Aubépine nous prenaient à revers. Nous avons perdu la moitié de notre armée dans cette charge. Bien sûr, Mortefange paya le prix du sang, mais Alexander avait eu ce qu’il voulait. Ses alliés étaient morts pour lui, et il envoya juste son infanterie achever le reste. Notre fer de lance était tombé mais nous résistâmes. Sais-tu pourquoi notre région s’appelait autrefois Neufcâstel ?
—Non, bredouilla William.
— Sur les berges de la Noyeuse, neuf forts ont été construits pour défendre le fief. Chacun de ces châteaux tint farouchement. Cela prit dix longues années avant que nous ne ployâmes les genoux, à la mort de Bérenger. Et depuis, nous vivons cachés dans la forêt, en attendant de pouvoir émerger à nouveau. Mais nous pourchassons des chimères. »

Soudain, le gringalet interrompit Éric. Ce dernier le regarda d’un air surpris : un sot, un naïf, et de surcroit, un insolent. William se mit en garde. Éric se retourna et distingua trois silhouettes dans les ténèbres. Le vieil Arthis sortit à moitié sa lame de son fourreau. L’époque bénie de la jeunesse lui semblait si lointaine, et l’excitation qu’il sentait à chaque fois qu’il dénudait l’acier s’était évanouie. Les hommes avançaient d’un air calme.

« C'est qu'nous, bouffon !
— Jacques ? demanda William en baissant sa garde.
— Tout dui à té, princesse. » répondit-il en faisant la révérence.

Il s’agissait d’un reître mal élevé qui avait atterri au service d’Ildibad d’une manière un peu hasardeuse. Il venait de l’ouest de Neufcâstel, une région au patois incompréhensible. Le bandit s’amusait à embrouiller les autres avec son idiome. Bien qu’il parlât parfaitement le commun, il s’opiniâtrait à jargonner dans son patois. Deux autres soldats l’accompagnaient. Ces deux là s’entendaient comme larrons en foire. Yannick, sous les couleurs des Ebroïn, à l’instar de Jacques, portait sur son épaule un corps. Valère, un rouquin aux traits affinés arborait le poing sinople sur champ de gueules Merrick. Tous deux marchaient toujours côte à côte, ayant toujours l’air de préparer un mauvais coup. Éric questionna Jacques d'un signe de tête, pointant la masse inerte.

« Les compaings et moi, on l'a trouaé dans le londe.
— Qu'est-ce qu'une fille faisait dans la forêt ? Elle est des nôtres ? S'enquit William, visiblement concerné.
— Ça je me le demande bien, le bleu… dit Éric d'un air songeur en lissant sa moustache poivre et sel.
— Tout cas, rien à fiche, on s'accotinaille, ton feu m’apipaille ! » se gaussa Jacques et s'essayant entre les deux veilleurs.

Ses compagnons l'imitèrent, et Yannick laissa tomber la fille au sol. William lorgna d'un air lubrique les formes de la jeune femme. Ses œillades n’échappèrent pas à Valère qui le fit remarquer à son ami d’un coup de coude. Les deux comparses se mirent à se moquer, hilares. Des blagues salaces et des remarques sur la virginité de William fusaient en tous sens quand ils hommes s’interrompirent brusquement, rouges de honte. Une silhouette se dévoilait à la lumière du feu.

Déotéria Ebroïn, la jeune sœur d’Ildibad. Elle avait coupé ses cheveux noirs comme un homme, et ils frisottaient sur sa nuque et ses tempes. Elle avait passé la moitié de sa vie avec les militaires, et sa naissance ainsi que son caractère de meneuse lui avait permis de faire partie des membres les plus influents parmi les Ebroïn. Elle inspirait le respect, et même les plus roublards ne lui cherchaient pas de noises. Éric l’avait vu grandir et affronter les épreuves que la vie lui avait imposées. La destruction de son château, la mort de ses parents, et la vie en reclus dans ce camp, caché au plus profond de la forêt de brume.

Les quatre hommes se trouvèrent donc fort confus, ployèrent le genou pour saluer la nouvelle venue. Le soulagement se peignit sur le visage de William quand les railleries s'arrêtèrent enfin.

« Je ne me souviens pas que mon frère ait demandé plus de deux sentinelles ici. Qui a failli à son devoir ? » demanda-t-elle d'une voix dure.

Jacques prit la parole en premier :

« S'cusez Madame, nous v'nons juste de rentrer de mission, nous prenions quelques répits. »

Yannick et Valère approuvèrent vigoureusement de la tête. Déotéria balaya les lieux du regard et s'arrêta sur le corps de la fille, la face dans les feuilles mortes.

« Qui est cette fille ? demanda-t-elle, intriguée.
— Moi et les cam'rades on explorait les sous-bois, on l'a vu qui chancelait comme un canard ivre, puis elle s'est écroulée à mes pattes m'Dame ! Les copains et moi, s’est dit que la ramener ne serait pas une mauvaise idée. »

Au fur et à mesure que le fantassin parlait, Éric le vétéran serrait les dents, espérant que sa souveraine ferait fi du langage du rustre. Au moins n’utilisait-il pas son patois. Cette dernière répliqua avec hargne :

« Les paysans de Mortefange ne se baladent pas dans les bois. Vous trois ! Levez-vous et suivez-moi ! Et vous, la prochaine fois, dit-elle en désignant Éric et William, ne laissez pas ces coupe-jarrets vous distraire.
— Cela ne se reproduira pas, madame. » promit Éric.

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
12 mars 2017 à 17:25:29

LA MAISON DÉCHUE D’ÉBROÏN

ÉRIC

« J’ai tellement hâte de tailler nos ennemis ! » s’exclama William en claquant son pied sur le sol.
Il tenait dans sa main son épée récemment acquise. Les flammes du feu dont les braises s’élevaient haut dans le ciel noir se reflétaient sur l’acier. Le tabard qu’il portait par-dessus son gambison était devenu gris et brunâtre, et une licorne de sinople se cabrait sur le torse du jeune homme. Il avait les cheveux jaune pâle, des yeux d’un bleu fade et ses os se dessinaient sur sa peau.
Éric Arthis souffla du nez, ce garçon était un sot, et les sots mourraient toujours les premiers.

William n’avait rien d’un Neufcâstelois. Il n’avait jamais plié le genou face à un seigneur Ebroïn, ne portait point les armes Melian ou Merrick, et encore moins celles d’un Arthis. Jamais il n’avait connu les douceurs de l’ancien fief de Neufcâstel. Le jeune homme n’était qu’un pauvre spadassin à la solde de Jules Hellébore. Après plus de six-cent ans de serments faits aux Seigneurs de Cenelle, les Aubépine, la famille Hellébore s’en délivrait. Les hommes du sire du Groin du Porc avaient rejoint les derniers Neufcâstelois une semaine auparavant.

Neufcâstelois et Hellébore avaient même croisé le fer dix ans auparavant, et Éric s’enorgueillissait d’avoir abattu Pierre, le frère de Jules. Aujourd’hui, les deux partis fraternisaient contre l’ennemi commun.

Bien sûr, le seigneur de Mortefange ignorait la traîtrise de ses vassaux. Ceux-ci, deuxième maison en puissance des terres-mortes, profitaient des évènements pour prendre le dessus sur les Aubépine. Pour Éric, ils n’avaient du statut d’allié que le mot, et voir tous ces tourne-casaques dans le camp l’écœurait. Cependant, il comprenait et acceptait la décision du seigneur Ildibad Ebroïn. Sire Jules Hellébore leur apportait des vivres frais, une force armée considérable et du nouveau matériel. Contre quoi exactement ? Éric l’ignorait.

Éric n’était plus tout jeune. Ses cheveux avaient viré au gris, puis au blanc, son dos s’était vouté. Assis en face du jeune homme, ses mains reposaient sur son énorme ventre et son menton débordait du gorgerin de son armure.

« Tu aurais vu la moitié de ce que j’ai vu, tu prierais pour être bien au chaud chez toi, une femme à tes côtés. Même sans femme, je prie chaque jour d’être au chaud bien chez moi. »

William fit la moue, boudeur.

« C’est pour ça, on doit se battre, afin que vous ayez un chez-vous. » dit-il.

Éric éclata de rire. Un sot doublé d’un naïf.

« Quoi ? s’esclaffa-t-il. Tu penses vraiment que tu te bats pour redonner une maison au peuple d’Ildibad Ebroïn ? Tu crois vraiment que ton suzerain, ce Jules Hellébore, avec ces airs pompeux, pris d’une sollicitude sans égal se bat pour permettre à ses anciens ennemis de cultiver et d’élever leurs enfants ailleurs que dans ce lugubre retranchement ? »

William parut vexé.

« J’espère pour vous que jamais plus vous ne parlerez en mal de mon seigneur. C’est un cadeau qu’il vous fait. »

Faquin.

« Des gens t’attendent, ailleurs ? demanda Éric, plus pour tuer l’ennui que par réel intérêt.
— Ma mère.
— tu as quel âge ?
— Dix-sept ans. »

Encore un gosse. Nourri d’illusions.

« Tu ferais mieux de rentrer chez toi ».

William l’ignora et commença à creuser une tranchée dans le sol avec la pointe de son épée. Éric regarda avec nostalgie l’écu posé contre un des nombreux hêtres qui peuplaient cette partie de la forêt. Les flammes dansaient sur le bois verni, comme mille démons revenus des enfers. Elles prenaient vie, et il pouvait voir des formes se dessiner, des soldats de feu prendre vie, entendre les cris des mourants, le fracas de l’acier qui s’entrechoque, le son des tambours accompagnant les hommes dans leur tombe. Deux plumes argent croisées sur fond lilas. Il pointa les armoiries d’un signe de tête.

« Autrefois, la vue de cette bannière imposait la crainte, quiconque la voyait croulait sous sa grandeur. Maintenant, nous ne sommes plus rien. La puissance est éphémère. Les empires s’écroulent, les hommes se voûtent, ce feu mourra. Tout décrépi, tout dépérira. S’acharner à imposer sa suprématie est un jeu futile auquel j’ai cessé de croire le jour ou Alexander Wiern ôta sa tête à Bérenger Ebroïn. »

Il cracha de dépit sur le sol.

« Allons, vieil homme, tu es bien trop pessimiste, reprit William. Les autres m’ont raconté, nous sommes prêts à frapper. Nous sommes plus forts qu’eux.
—Soit. Edmond Aubépine est bien un idiot. Ses troupes sont dispersées dans tout Mortefange. Ses alliés le trahissent. Nous vivons dans la Forêt de Brume depuis une décennie, sans avoir été inquiété plus que cela. Mais qu’arrivera-t-il une fois que nous aurons défait ce coureur de jupons ? »

L’air dubitatif, William haussa les sourcils.

« J’imagine que nous pourrons vivre tranquillement les vies que nous méritons, mon seigneur régnant sur Mortefange avec le vôtre.
—Non, grand sot ! Aussitôt que nous aurons blessé son fidèle chien, Alexander Wiern s’empressera d’emmener ses armées et de nous écraser, et par la même occasion s’approprier les terres de Mortefange. »

Agacé par le discours pessimiste du vétéran, William se mit à faire les cents pas. Toutes les nuits se ressemblaient : surveiller la pénombre sous les hululements des hiboux. Pour un jeune homme tel que lui, cet exercice était fort ennuyeux, lui qui rêvait de bataille et de gloire.

« Raconte-moi alors, finit-il par demander. »

Éric repositionna son casque et inspira.

« On t’a dit beaucoup de choses. Qu’on pouvait gagner. Mais est ce qu’on t’a raconté comment la maison Ebroïn en est arrivée là ? »

Le jeune homme hocha négativement la tête.

« Il y a vingt ans maintenant, les Ebroïn régnaient sur la province de Neufcâstel, au nord d’ici. Nos vassaux, les Croûtepain de la région d’Havrepré furent rapidement vaincus par un jeune seigneur venant de Felseweise : Alexander Wiern.
— Les Croûtepain sont ces gens qui ont une gerbe de blé comme emblème ? Celle sur un fond blanc, demanda William.
— Exact. Il les a anéantis. Il fit planter leurs têtes sur des piques, à la nouvelle frontière. Certains disent que dans ses vieux jours, il le regrette et s’enferme dans les lieux saints afin de purger sa conscience. Je n’y croie pas, pesta-t-il, haineux.
—Et ensuite ? voulut savoir William.
—Ensuite, Bérenger, le père de notre seigneur Ildibad en fut inquiété. Naturellement, Alexander Wiern avait écrasé nos alliés sans raison ! Le seigneur de Felseweise n’était pas satisfait. Il lui fallait plus. C’est alors qu’il s’en est pris à nous. Je frissonne encore rien qu’à l’idée de revoir ses loups, tout d’acier vêtu, charger notre cavalerie et effrayer nos chevaux. Puis, alors que l’on pensait l’enfer fini, un cor retentit. Près de trois cents chevaliers, sous les ordres d’Edmond Aubépine nous prenaient à revers. Nous avons perdu la moitié de notre armée dans cette charge. Bien sûr, Mortefange paya le prix du sang, mais Alexander avait eu ce qu’il voulait. Ses alliés étaient morts pour lui, et il envoya juste son infanterie achever le reste. Notre fer de lance était tombé mais nous résistâmes. Sais-tu pourquoi notre région s’appelait autrefois Neufcâstel ?
—Non, bredouilla William.
— Sur les berges de la Noyeuse, neuf forts ont été construits pour défendre le fief. Chacun de ces châteaux tint farouchement. Cela prit dix longues années avant que nous ne ployâmes les genoux, à la mort de Bérenger. Et depuis, nous vivons cachés dans la forêt, en attendant de pouvoir émerger à nouveau. Mais nous pourchassons des chimères. »

Soudain, le gringalet interrompit Éric. Ce dernier le regarda d’un air surpris : un sot, un naïf, et de surcroit, un insolent. William se mit en garde. Éric se retourna et distingua trois silhouettes dans les ténèbres. Le vieil Arthis sortit à moitié sa lame de son fourreau. L’époque bénie de la jeunesse lui semblait si lointaine, et l’excitation qu’il sentait à chaque fois qu’il dénudait l’acier s’était évanouie. Les hommes avançaient d’un air calme.

« C'est qu'nous, bouffon !
— Jacques ? demanda William en baissant sa garde.
— Tout dui à té, princesse. » répondit-il en faisant la révérence.

Il s’agissait d’un reître mal élevé qui avait atterri au service d’Ildibad d’une manière un peu hasardeuse. Il venait de l’ouest de Neufcâstel, une région au patois incompréhensible. Le bandit s’amusait à embrouiller les autres avec son idiome. Bien qu’il parlât parfaitement le commun, il s’opiniâtrait à jargonner dans son patois. Deux autres soldats l’accompagnaient. Ces deux là s’entendaient comme larrons en foire. Yannick, sous les couleurs des Ebroïn, à l’instar de Jacques, portait sur son épaule un corps. Valère, un rouquin aux traits affinés arborait le poing sinople sur champ de gueules Merrick. Tous deux marchaient toujours côte à côte, ayant toujours l’air de préparer un mauvais coup. Éric questionna Jacques d'un signe de tête, pointant la masse inerte.

« Les compaings et moi, on l'a trouaé dans le londe.
— Qu'est-ce qu'une fille faisait dans la forêt ? Elle est des nôtres ? S'enquit William, visiblement concerné.
— Ça je me le demande bien, le bleu… dit Éric d'un air songeur en lissant sa moustache poivre et sel.
— Tout cas, rien à fiche, on s'accotinaille, ton feu m’apipaille ! » se gaussa Jacques et s'essayant entre les deux veilleurs.

Ses compagnons l'imitèrent, et Yannick laissa tomber la fille au sol. William lorgna d'un air lubrique les formes de la jeune femme. Ses œillades n’échappèrent pas à Valère qui le fit remarquer à son ami d’un coup de coude. Les deux comparses se mirent à se moquer, hilares. Des blagues salaces et des remarques sur la virginité de William fusaient en tous sens quand ils hommes s’interrompirent brusquement, rouges de honte. Une silhouette se dévoilait à la lumière du feu.

Déotéria Ebroïn, la jeune sœur d’Ildibad. Elle avait coupé ses cheveux noirs comme un homme, et ils frisottaient sur sa nuque et ses tempes. Elle avait passé la moitié de sa vie avec les militaires, et sa naissance ainsi que son caractère de meneuse lui avait permis de faire partie des membres les plus influents parmi les Ebroïn. Elle inspirait le respect, et même les plus roublards ne lui cherchaient pas de noises. Éric l’avait vu grandir et affronter les épreuves que la vie lui avait imposées. La destruction de son château, la mort de ses parents, et la vie en reclus dans ce camp, caché au plus profond de la forêt de brume.

Les quatre hommes se trouvèrent donc fort confus, ployèrent le genou pour saluer la nouvelle venue. Le soulagement se peignit sur le visage de William quand les railleries s'arrêtèrent enfin.

« Je ne me souviens pas que mon frère ait demandé plus de deux sentinelles ici. Qui a failli à son devoir ? » demanda-t-elle d'une voix dure.

Jacques prit la parole en premier :

« S'cusez Madame, nous v'nons juste de rentrer de mission, nous prenions quelques répits. »

Yannick et Valère approuvèrent vigoureusement de la tête. Déotéria balaya les lieux du regard et s'arrêta sur le corps de la fille, la face dans les feuilles mortes.

« Qui est cette fille ? demanda-t-elle, intriguée.
— Moi et les cam'rades on explorait les sous-bois, on l'a vu qui chancelait comme un canard ivre, puis elle s'est écroulée à mes pattes m'Dame ! Les copains et moi, s’est dit que la ramener ne serait pas une mauvaise idée. »

Au fur et à mesure que le fantassin parlait, Éric le vétéran serrait les dents, espérant que sa souveraine ferait fi du langage du rustre. Au moins n’utilisait-il pas son patois. Cette dernière répliqua avec hargne :

« Les paysans de Mortefange ne se baladent pas dans les bois. Vous trois ! Levez-vous et suivez-moi ! Et vous, la prochaine fois, dit-elle en désignant Éric et William, ne laissez pas ces coupe-jarrets vous distraire.
— Cela ne se reproduira pas, madame. » promit Éric.

LePerenolonch LePerenolonch
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Niveau 10
12 mars 2017 à 17:25:47

LES ENFANTS DE BÉRENGER

DÉOTÉRIA

Piquée à vif, Déotéria toisait sévèrement ses hommes qui obéissaient sans broncher. Les trois gaillards, la mine grave, quittèrent le feu et ramassèrent leurs affaires. Jacques se chargea de la petite paysanne, toujours endormie.

« Suivez-moi. » ordonna-t-elle.

Ils s’exécutèrent en silence, passant parmi les feux de camps mourants et les tentes endormies. Le campement s’étendait sur près d’un quart de lieue, sur le sol comme dans les arbres. Il était silencieux, bercé par le chant des grillons de la fin de cette saison d'été. Les bâtisses, toutes construites en bois n’étaient plus de première jeunesse. Les planches arboraient différentes teintes de brun, la plupart ayant été remplacées au fur et à mesure que la pluie, le gel et le vent s’acharnaient à éroder le bois. Des raies de lumières filtraient au travers des failles qui reliaient les planches entre elles. Planches elles-mêmes assaillies par le lierre, le lichen et les champignons. Parmi les fleurs sauvages et les mauvaises herbes avait fleuri un amas de casques, d’armes, de marmites, bottes, outils de jardinage et des boucliers aux couleurs des différentes maisons de Neufcâstel : chauvesouris Melian, poing Merrick, ours Arthis, blé Croûtepain et les plumes Ebroïn.

Entre les cabanes de bois, quelques tentes avaient été montées. Celle du Seigneur se trouvait à l’écart des autres, plus spacieuse. C’est là qu’ils se rendaient. Derrière, Jacques trainait, écrasé par le poids de son fardeau. Il fallait dire que l’homme ne payait pas de mine, court sur patte, et frêle de surcroit.

« Pourquoi l’avez-vous ramenée ? s’enquit Déotéria. Elle ne pourra plus jamais rentrer chez elle maintenant.
— Elle s’est effondrée à mes pieds, et en larmes, répondit Yannick. On n’allait pas la laisser là. »

La paysanne avait eu de la chance de tomber sur ces trois-là. D’aucuns l’auraient violée et abandonnée souillée dans la forêt.

« Rien d’autre ?
— La forêt est toujours aussi calme, annonça Valère.
— Une idée de ce qu’elle pouvait bien faire dans les bois ?
— Je crains que non…
— Avez-vous vérifié les alentours ? insista Déotéria.
— Pas âme qui vive.
— Que diable une paysanne ferait-elle seule si loin de chez elle ? »

En dix ans, personne n’avait vagabondé si près du camp, les lieux étant réputés pour être hantés. Les hommes du seigneur Ebroïn avaient veillé à ce que la rumeur soit bien entretenue. Certains s’étaient même spécialisés, devenant des Hurleurs, chargés d’imiter des spectres aux abords de la forêt pour en éloigner les badauds.

— S’pourrait bien qu’ce soit une sorcière ! » cracha Jacques. « À ramasser des plantes et des crapauds pour nous ensorceler !
— Tu payes, l’idiot. À force de gueuler près des villages, tu en crois tes propres farces. » répliqua Valère.

Le rustre ahanait sous le corps flasque de la rouquine. Il la laissa choir pour reprendre son souffle.

« C’est qu’elle pèse, tout de même, se justifia-t-il.
— tu te gausses, elle est gringalette. » se moqua Yannick. A la manière d’un sac à patate, il la percha sur son épaule.

« Cessez de lambiner, vous trois. » les réprimanda Déotéria.

La jeune guerrière devait se montrer ferme, bien qu’elle n’eût pas affaire à la lie de ses hommes. Elle savait qu’en dépit des ordres obéis et des révérences, la plupart d’entre eux n’appréciaient guère de se faire commander par une femme. Il lui était arrivé d’entendre à la dérobée des chuchotements désapprobateurs, vite tus à son passage. Les soldats la craignaient, la respectaient et la détestaient. Comme d’autres pouvaient l’aimer et l’admirer. L’histoire n’avait connu que peu de femmes guerrières, dont les existences appartenaient au domaine de la légende, ou du martyre.
Déotéria ne voulait pas être une femme, pas dans le sens où on l’entendait. Ce qu’elle désirait par-dessus tout se réservait au domaine de l’impossible : jamais un homme ne s’admettrait l’égal d’un être aussi pusillanime.

Déotéria et ses compagnons arrivèrent enfin devant la tente de son frère, le Seigneur Ildibad. Une allée de gardes la protégeait. Les veilleurs s’écartèrent quand ils reconnurent Déotéria, et l’annoncèrent aux occupants de la tente, avant d’écarter le pan de la porte de tissu. Une lumière tremblotante égayait la pénombre, s'échappant de l’habitat seigneurial, trahissant de multiples bougies. Comme ils allaient pénétrer le château de toile, Déotéria les retint à l’extérieur.

« Vous deux, grogna-t-elle à l’intention de Yannick et Valère, déguerpissez. Quant à toi, prends la fille et suit moi. »

Jacques s’étira à la manière d’un chat, avant de se presser de ramasser la rouquine lorsqu’il constata le regard impatient de la guerrière.

« Pas un mot tant que tu n’y es pas invité. » le prévint-elle.

Déotéria entra dans la tente. Le seigneur Ildibad avait hérité de la même chevelure bouclée que la sienne, lui tombant aux épaules. Son frère la toisa de ses yeux verts. Des yeux qui se voulaient durs, mais Déotéria y voyait la tourmente qui tourbillonnait dans ses iris. Une façade. Il aurait suffi d’un mot pour que son bouclier de cristal s’effondre. Il portait une tunique de cuir teinte en pourpre, couleur de sa maison, et deux plumes d’argent croisées étaient cousues sur son cœur. À ses côtés se trouvait leur oncle d'adoption, sire Evrard Arthis. La mâchoire carrée, ses cheveux gris acier étaient coupés courts, et des cicatrices traçaient des sillons rosâtres de part et d’autre de son visage. Il portait une cape, sur laquelle l’ours Arthis paradait. À la vue de Jacques, il s’interrompit et replia la carte sur laquelle ils étaient penchés quelques secondes auparavant. Les affaires d’Ildibad n’intéressaient pas les gens du commun.

Déotéria et le reître ployèrent le genou devant leur seigneur. D’un naturel peu loquace, Ildibad permit à sa sœur de parler d’un signe de tête.

« Mon frère, cet homme dit qu’il a trouvé cette fille dans les bois. Elle est inconsciente. »

Sans grand entrain, Ildibad porta son attention sur le corps inerte. Après quelques instants, il fit la moue.

« Eh bien, Déo, qu’attends-tu de moi ? s’enquit-il. Elle doit mourir, tu le sais.
— Ce n’est qu’une enfant, s’indigna-t-elle.
— Si elle s’échappe, ce sera une enfant qui connaitra notre position et nos forces. Nous ne pouvons prendre le risque.
— Elle n’a rien d’une enfant. » fit remarquer Evrard.

Déotéria ne s’avoua pas vaincue et foudroya son oncle du regard.

« Elle n’a encore rien vue, nous pouvons toujours la ramener à la lisière de la forêt, suggéra-t-elle.
— Ce serait comme la jeter en pâture aux loups, renchérit Ildibad. Une mort propre sera la bienvenue.
— Tu n’as donc pas de cœur ?
— Les vies d’une centaine de mes frères et sœurs m’importent plus que celle d’une paysanne crasseuse.
— C'est que c'n'est pas une gômine d'chez nous ! Une saleté d'Aubépine ! un épène-bllaunche ! éructa Jacques.
— Nous n'avons pas jugé bon ton intervention … » le fit taire le jeune seigneur.

Jacques haussa les épaules et le regarda d'un air neutre.

« Il pourrait s’agir d’une espionne, c’est vrai, admit Déotéria.
— Je ne pense pas, réfléchit Ildibad. Mais elle demeure tout autant dangereuse.
— Attendons tout de même, écoutons ce qu’elle a à nous dire ! »

La curiosité d’Ildibad semblait désormais mise à l’épreuve. Son regard se perdit dans le vague.

« Les paysans de Mortefange n’approchent jamais la forêt, dit Evrard. Je suis pressé d’entendre son histoire…
— Conduis-la à l’hospice, commanda Ildibad en désignant Jacques. Et disparait, avant que ta tête ne tombe de tes épaules. »

Le fantassin se mit au garde à vous, et décampa sans demander son reste.

« Il semblerait que les Hurleurs ne soient plus suffisants pour tenir les mortefangiens à l’écart, leur fit part Déotéria.
— Tu as une solution pour palier à ça ? s’enquit son frère.
— Pas pour l’instant.
— Envoyons leur des morceaux de la fille, ça les calmera, répliqua-t-il, pince sans rire.
— Ou attisera leur haine, déclara Evrard. Quand ils entendent des cris, ils ont peur. Quand les leurs sont réellement en danger, ils prennent les armes.
— Je plaisantais, mon oncle. Pour qui me prenez-vous, tous les deux ? »

« Pour un idiot doublé d’un lâche. » voulut dire Déotéria.

Elle ne voulait pas attiser une énième querelle avec son frère. Sire Arthis ne répondit pas et fit mine de chasser une mouche agaçante. Alors qu’Ildibad redéployait la carte sur la table, Evrard se tourna vers Déotéria.

« Qu’a dit sire Hellébore ?
— Je ne l’ai pas vu personnellement, répondit-elle. C’était son neveu, Sylvain. »

Ildibad parut irrité.

« Il aurait pu venir, c’était la moindre des choses.
— Il pourrait en dire tout autant pour toi, répliqua sa sœur. Sire Sylvain s’est senti insulté par ton absence.
— M’est avis qu’il se soit senti insulté par toi. J’aurais dû envoyer Sire Merrick, ou vous, mon oncle. »

Déotéria crispa le poing de rage. Elle se souvenait parfaitement de la face de fouine blanchâtre du chevalier du Groin, et de son regard gris et dédaigneux. Un regard méprisant qui semblait posséder la faculté de dévêtir ceux sur lequel il se posait. Déotéria était d’avis que Sylvain Hellébore n’avait apprécié ce qu’il avait vu.

« J’ai passé tellement d’Hellébore au fil de mon épée que cela en est devenu instinctif, répondit Evrard. Mieux vaut ne pas attiser leurs foudres.
— Sire Sylvain s’est enquit de l’état de nos forces, reprit Déotéria. Il veut savoir si nous serons prêts avant la fin de l’été. C’est à ce moment qu’il veut attaquer. Juste avant les moissons.
— Et tu lui as répondu… ? voulut savoir Ildibad.
— Je lui ai dit que la vengeance brûle en nos cœurs depuis des années.
— Je voudrais que tu me fasses un rapport sur ce qu’il en est réellement.
— Vas-y, sors de ta tente, tu t’en rendras compte toi-même. » persifla Déotéria.

Elle sentit un pincement douloureux à la cuisse. D’instinct, elle balança son pied et botta l’arrière train d’un grand cygne.

« Volatile de malheur ! » pesta-t-elle, alors que l’oiseau caquetait et sifflait dans un tourbillon de plumes. Le cygne alla se percher sur les genoux d’Ildibad. Son frère lui caressa le haut de son crâne, la moue moqueuse.

« Tiens ta langue, Barthélémy est mon féal protecteur.
— J’en ferai un jour un pâté. Ou alors je lui trufferai le fion de marrons et je le ferai rôtir.
— Cessez donc, tous les deux, on dirait des gamins. » les réprimanda Evrard.

Le vieil Ours se leva. Les flammes des bougies dansaient sur son visage, et ses yeux brillaient d’une étrange lueur.

« J’attendais de vous voir tous les deux pour vous en faire part. »

Ildibad et sa sœur lui portèrent toute leur attention. Seules les rumeurs du chant des grillons troublaient désormais la quiétude de la nuit.

« Alexander Wiern est de retour en Mortefange. Il va marier son fils à Domitille Aubépine.
— Nous ne l’en laisserons pas sortir vivant ! » s’exclama Ildibad dont les yeux s’agitèrent d’un brasier fou.

Le seigneur d’Ebroïn s’apprêtait à brandir une épée imaginaire. Pour la première fois depuis des années, Déotéria se sentit la sœur d’Ildibad. Elle se sentit la fille de Bérenger Ebroïn. L’heure de la vengeance avait sonné. Un feu étrange montait en elle. Déotéria serait celle qui plantera son épée dans le cœur d’Alexander.

« Nous devons presser sire Hellébore, clama Ildibad. Il ne faut pas qu’Alexander Wiern nous échappe.
— Mon cœur désire ardemment la mort d’Alexander. Mais ne nous précipitons pas, prévint Evrard. Ce serait folie que de nous dévoiler maintenant. Et la folie mène à la ruine. »

LePerenolonch LePerenolonch
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14 mars 2017 à 23:02:51

LES RUMINATIONS DU TAUREAU

Charles

Le dos de Domitille Aubépine se dandinait mollement au gré des pas de son cheval. Charles Millepertuis ne pouvait détacher son regard de ses tresses châtain. Il rêvait d’en sentir les parfums cannelés avec lesquelles elle se toilettait. Aucune autre en Mortefange ne portait avec tant de grâce coiffures, robes de soie et pelisses de zibeline que sa cousine. Domitille plaisait, et elle le savait.

Au loin, le donjon de Cenelle surplombait les quelques collines, et les premiers toits de la ville apparurent par-delà la Route des Oliviers. Coiffé de son heaume, Charles ruisselait de sueur ; mais il s’en gardait de l’ôter : Domitille ne souhaitait pas voir sa sale trogne. Le chevalier le comprenait parfaitement. Le trait grossier, Charles n’avait jamais eu de succès auprès des femmes. Il avait hérité de la mine austère des Millepertuis : une trogne qui n’aspirait à aucune bonhommie ou une quelconque affabilité. Que lui chalait, après tout. Il vivait pour sa cousine et n’avait jamais rien désiré d’autre.

Les rayons du soleil rendaient d’or la chevelure de Domitille. Charles aimait la façon altière dont elle chevauchait sa monture. Il aimait comment elle toisait d’un air supérieur les gueux qui besognaient aux abords de la route. D’aucuns auraient dit que ses yeux étaient marron, mais Charles en disconvenait. Chaque fois qu’il plongeait dans le regard de sa cousine, il y voyait un festival de brun et de mordoré, moucheté de vert et d’ambre çà et là. Il ignorait d’où lui venait ses yeux. De son côté Millepertuis, Domitille gardait la beauté froide de sa mère, mais Edmond Aubépine y avait ajouté une touche de sa carrure et de son assurance. Domitille aurait pu guider des armées.

« Qu’as-tu pensé de mon futur mari ? » s’enquit-elle.

Charles mit un certain temps avant de s’extirper de ses pensées. L’intervention de sa cousine semblait si irréelle qu’il devina plus qu’il n’entendit ses mots.
Karl Wiern ne lui avait pas fait grande impression. Charles avait grandi bercé par les exploits de son père, Alexander le conquérant, le loup de Felseweise. Il avait vu son propre oncle, Thomas Millepertuis partir en campagne contre Bérenger Ebroïn, sous la bannière du père de Domitille, répondant à l’appel du loup. Combien de fois avait-il rêvé de partir guerroyer en compagnie de ses ainés ?

Quand il avait vu Alexander Wiern, Charles avait ressenti quelque chose, comme une vague de frissons qui lui avait vrillé l’échine. Ça n’avait pas été le cas avec Karl. Le jeune Millepertuis se doutait qu’être le fils d’un si grand homme ne devait pas être aisé. Cependant, Karl n’avait pas les épaules assez larges pour endosser ce rôle. Comme s’il n’avait pas été issu de la même graine qu’Alexander. Il lui avait paru pusillanime, pris d’une timidité excessive, et surtout, effrayé par les femmes.

« J’espère qu’il te sierra, répondit Charles, sans grande conviction.
— Le jalouserais-tu ? »

Domitille le regarda d’un air malicieux. Il savait que sa cousine tentait le tout pour le tout afin de le déstabiliser. Si Charles pouvait s’enorgueillir d’une chose, c’était bien de sa faculté à rester de marbre face à ses charmes. En surface uniquement. Son esprit n’avait cure que des tâches de son qui piquetait les joues de la damoiselle de Cenelle. Elles restaient gravées le soir dans sa rétine lorsqu’il fermait les yeux, plus belles et harmonieuses encore que les étoiles.

C’était sûrement l’une des raisons pour laquelle Domitille ne se lassait pas de son cousin. D’aucuns qui l’avaient fréquentée ne se souciaient que de la ravir, lui envoyant moult fleurs et flagorneries. Tous les mêmes selon Charles, faisant les yeux doux pour s’attirer les faveurs de Domitille. La plupart du temps, la demoiselle de Cenelle se contentait de leur bailler au visage, lassée par le défilé incessant d’amoureux du protocole.

« Je m’inquiète pour lui, voilà tout, se bisqua Charles. Il ne me parait pas de taille pour une femme telle que toi. »

Domitille éclata d’un rire cristallin.
« Une femme telle que moi ? Qu’ai-je de si spécial ? »

Charles aurait mis sa main à couper qu’elle poserait la question. Toujours avide de compliments. Comme si ceux-là n’arrivaient jamais à ses oreilles, elle dont la route se pavait de louages.

« Tu as sale caractère. Il m’a semblé tout mignonet.
— Fort heureusement, je n’ai pas ta gueule, se gaussa-t-elle. J’aurai eu tout du cochon.
— Certes.
— Tu es bien taciturne aujourd’hui. » lui reprocha-t-elle.
Charles lui adressa un regard stupéfait.

« Tout du moins, bien plus que d’habitude. Quelque chose te tracasse, devina-t-elle.
— Tu vas réellement l’épouser ? »

Le chevalier au taureau avait vu tellement de prétendants se faire refluer par Domitille qu’il s’était conforté dans l’idée que jamais elle ne prendrait quiconque en épousailles.

« C’est le fils d’Alexander Wiern. Père m’étriperait si je me dédouanais. Et j’en ai envie, aussi.
— Tant que tu y trouves ton bonheur… »

Le fils de l’illustre Seigneur de Felseweise demeurait le meilleur parti que n’importe quelle damoiselle de la Péninsule pouvait escompter ; si l’on faisait abstraction de l’héritier de Joris Vangeld.

« Je suis en Mortefange depuis trop longtemps. Je veux voir le grand monde. Je veux voir les châteaux des Pics, juchés dans leurs grandes montagnes, les contrées brûlantes et arides de la Fournaise, le grand lac Astrid et la cité d’Edelsteen… »

Charles ne doutait point qu’en épousant Karl Wiern, Domitille explorerait le vaste monde. À la mort d’Alexander, l’héritier du grand Felseweise deviendrait l’homme le plus puissant de tout Ilfingard, convié aux plus éminentes cérémonies, aux Assemblées Extraordinaires, mariages des plus grands… En sa compagnie, Domitille visiterait les plus beaux palais, naviguerait sur les plus grands bateaux… Mortefange paraissait comme un mouroir, et la damoiselle de Cenelle ferait tout pour s’extirper de la région. Elle n’était pas le genre d’oiseau à vivre en cage.

Quand à ce qu’il adviendrait de lui, Charles de la minable maison Millepertuis, seul le sort en déciderait. Il épouserait une Hellébore ou une Camomille, et chaque fois que ses obligations d’époux l’y contraindraient, il s’imaginerait les boucles châtain de Domitille, ses senteurs cannelées et ses yeux de quartz fumé. La damoiselle de Cenelle serait bien loin de Mortefange, loin de son château, loin de lui ; et sous l’égide d’un autre.

À cette idée, le cœur de Charles se serra. Personne ne défendrait la fille d’Edmond Aubépine avec autant d’ardeur que lui. Qui pouvait s’enorgueillir d’aimer Domitille de toute son âme ?

Charles balaya les alentours à la recherche d’un potentiel danger. Bien que les vilains qui s’afféraient tout autour d’eux ne pouvaient distinguer son regard à cause de sa visière, ils voyaient très bien sa main gantelée accrochée à la fusée de son épée. Charles n’hésiterait pas à tirer sa lame au clair au moindre incident.

Le chevalier Millepertuis aimait beaucoup son épée. Une tête de taureau en grenat servait de pommeau, et sa garde se recouvrait de feuilles d’or. Il s’agissait d’une fausse. Une réplique de celle brandie fièrement depuis des centaines d’années par les Millepertuis sur le champ de bataille. Une épée qui avait fait et défait des hommes, désormais perdue quelque part à Neufcâstel. Son oncle Thomas avait disparu en même temps que la maison Ebroïn. Sur la lame, Charles y avait fait graver des fleurs d’aubépinier. Les niellures s’enroulaient autour des deux plats, jusqu’à la pointe, liées au fer comme lui l’était à sa protégée.

LePerenolonch LePerenolonch
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19 mars 2017 à 23:36:45

LE SEIGNEUR DE CENELLE

EDMOND

La fraîcheur de la pièce conférait un luxe que peu de monde pouvait se payer en ces jours de canicule. Seules les trois meurtrières permettaient à la lumière d’entrer en son sein, illuminant les nuages de poussière qui virevoltaient. L’âtre de la cheminée, tout tâché de suie était froid depuis des années. On y avait accroché des gousses d’ail, et des pêches se gâtaient lentement dans un panier suspendu, assailli par les guêpes. Le seigneur de Cenelle mangeait seul, assis à une table aux teintes délavées, bancale sur le sol branlant.

Edmond Aubépine, bien qu’étant devenu ventru au fil des années, conservait une forme et une force impressionnante. Sa grosse tête hirsute lui donnait un air de hérisson, avec ses cheveux noirs de jais remontés en chignon, et sa barbe qui lui mangeait le visage. Edmond aimait se replier loin dans le château, à l’abri des courtisans et nobliaux qui le harcelaient chaque jour. La pièce était une ancienne cuisine, abandonnée sous la régence de Pierre Aubépine, son père. Plus personne n’y allait, depuis que la nouvelle avait été installée, plus grande, et plus proche de la grande salle.

La porte grinça, attirant son attention. Comme prévu, son fils Martin lui rendait visite. À l’instar de tous ses enfants, il tenait plus de sa mère, Iseut Millepertuis. Des cheveux brun clair et légèrement ondulés, et des yeux noisette. Il portait une cotte de maille sous sa tunique, et un écusson cousu sur son épaule affichait les couleurs des Aubépine : un crâne d’argent sur champ orangé, barré de sable.

« Vous vouliez me voir, père ? demanda Martin.
— Oui. » répondit Edmond en gobant la moitié d’une saucisse. Le menton dégoulinant de graisse, il se tourna vers son fils. « Je veux que tu ailles voir les leudes. Il est grand temps qu’ils refassent leurs serments d’allégeance.
— Je partirai dès demain matin, promit-il.
— Parfait. N’oublie pas les Azalée.
— En valent-ils la peine, père ? Ils n’ont plus de chevaliers depuis si longtemps qu’ils vivent comme tous les paysans de la Vaupalière.
— Aussi faibles que tes vassaux soient, rappelle-leur toujours où est leur véritable place : à tes pieds. »

Depuis bien avant sa naissance, aucun Azalée n’avait accédé au titre de chevalier. Être chevalier en Mortefange se voyait comme l’accomplissement ultime de tout homme. Cette interdiction à la chevalerie avait été imposée aux Azalée à la suite d’une révolte ratée. La famille Azalée, ainsi que tous les rebelles avaient vu leur patrimoine se réduire comme peau de chagrin, pour finalement tomber dans l’oubli.

« Je voulais aussi vous dire que le seigneur Wiern sera là sous peu. Ce n’est plus qu’une histoire d’heures, reprit Martin.
— Alexander m’a manqué, dit Edmond en reposant son couteau à découper. Je suis sûr que tu l’aimeras.
—Je l’aime déjà. Vous m’avez tant parlé de lui. Je ne compte pas les fois où, enfant, je me suis disputé avec Charles pour savoir qui de nous deux serait Alexander Wiern dans nos jeux.
— Tu aurais dû te disputer pour m’incarner, dans ce cas ! plaisanta Edmond. As-tu déjà entendu la chanson du siège de Brise-Brume ?
— Un millier de fois, père. Tous les bardes chantent vos louanges par monts et par vaux.
—Évidemment, je les paye pour ça ! s’esclaffa-t-il. Ecoute donc la vraie histoire.
— Je l’ai entendue conter moult fois… dénia-t-il poliment.
— Donc comme tu le sais, neuf places fortes gardent le cours de la Noyeuse. Une d’elle, Brise-Brume résistait à tous les assauts que cet incapable de Damien Mehl menait.
— Damien Mehl, un seigneur d’Havrepré, au service d’Alexander Wiern. Emblème : Moulin d’argent sur champ de gueules.
— Une bannière qui provoque la terreur chez les vivants… répliqua Edmond avec ironie. Mais je divague. La brume ne s’était pas encore dissipée, ironique, vu le nom du château. »
Il rit à sa propre blague.
« Un brouillard épais s’imposait en maître dans la vallée, continua Martin mi-amusé, mi-excédé.
— Le brouillard était épais. » confirma Edmond.

Il se pencha alors vers Martin, le bout de sa barbe trempant dans le jus de saucisse.

« On ne voyait pas à dix mètres, reprit-il d’un ton spécialement adapté pour la situation. Quelques tâches de lumières, dans le loin, les feux de l’armée de Mehl. Pas plus. J’aurai pu trancher le crachin à coup d’épée et m’en couper des tranches. On attendait, nerveux. D’après nos éclaireurs, l’ennemi, trois fois plus nombreux était prêt à nous tomber dessus, et les hommes de Damien Mehl ignoraient qu’ils se trouvaient entre deux armées.
— Puis, les chevaux commencèrent à couiner, continua Martin.
— Exact, elles ne sont pas comme nous, ces bêtes-là, elles sentent la mort quand elle approche. Ton oncle Philippe me conseilla d’attendre que la brume se dissipe. J’ai fait confiance à mon cheval. Je l’ai lancé au galop, à pleine vitesse, ma lance en avant, tous les sires chevaliers à mes arrières.
— Une charge héroïque qui restera dans l’histoire !
— Oh oui, ils m’avaient suivi, parce que j’étais leur seigneur ! Mais ils se compissaient. Jamais les rhapsodes ne le mentionnent dans leurs chansons ça !
— Puis vous fîtes face à l’ennemi.
— Je n’avais qu’à tendre le bras pour les toucher. Je me rappelle de celui que je tuai de ma lance, sa tête resta enfoncée jusqu’à la poignée. Un des neveux de Regan Merrick. Un blondinet à la gueule d’ange et aux belles mèches dorées. Cet idiot aurait mieux fait de rester couché ce matin-là. Nous les avons massacrés. Quand Foulques Arthis vit que ses sauveurs avaient été anéantis, il ouvrit la herse, et nous rentrâmes, triomphants dans l’enceinte du château. C’est pour ça qu’aujourd’hui, Alexander Wiern m’amène son fils, pour que je le marrie à Domitille. Parce que j’ai arraché la tête d’un gamin avec ma lance il y a dix ans, dit-il en sauçant son écuelle.
— J’avais sept ans la première fois que vous quittâtes le château. Mère m’avait dit de me montrer digne, de me tenir droit lors de votre départ en tant qu’héritier de Cenelle. A peine parti, elle vous avait déjà enterré. Je n’y ai jamais cru, et chaque jour, je regardais par la fenêtre, espérant voir quelque chose, une bannière au loin... »

Edmond sourit. Il se savait mauvais père, et meilleur à briser des crânes. Il n’avait jamais su s’occuper de ses enfants. Le témoignage d’amour de son fils l’avait ému. Comme il ne restait plus rien de son repas, il se leva.

« Ce matin, je ne sais encore quel sire Hellébore est venu dans la grande salle se plaindre que sire Sylvain, son frère avait encore été pris en otage par les Millepertuis. Leurs querelles me fatiguent. Je compte sur toi pour qu’ils cessent définitivement de se taper dessus sans arrêt, dit-il à Martin.
— C’est au moins la trentième fois en cinq ans… soupira ce dernier.
— Certains naissent avec la force, d’autres la vélocité, d’autres l’intelligence. Sire Sylvain n’a aucun des trois. »

Ils sortirent de la pièce qui donnait sur la cour. Le soleil, à son zénith, cognait fort. On s’y affairait à construire des stables pour les nouveaux arrivants, les écuries étant trop petites pour y accueillir tous les chevaux. Les paysans récuraient les pavés, les eaux bréneuses s’écoulant en contrebas. Les bêtes avaient été enfermées dans leurs enclos, et les soldats avaient poli l’acier de leurs armes et dérouillé leurs cottes de maille, et on avait même cousu des tabards neufs pour l’occasion.

« Je me demande où est passée Domitille » grommela Edmond.

Martin haussa les épaules. Domitille n’en faisait qu’à sa tête, et Edmond n’aimait pas ça. Non pas qu’il voulut avoir un contrôle absolu sur ses enfants, mais jamais il n’oublierait le lac lacté…

Ils montèrent les escaliers donnant sur le chemin de ronde. Autour du fort, le bourg de Cenelle s’étalait. Les maisons à colombages étaient blanchies à la chaux, et leurs toits de tuiles brunes s’élevaient en pointe au niveau des murailles. Le martèlement d’une enclume résonnait dans la vallée, et de la fumée s’échappait de l’imposante cheminée de la forge. La chaleur de l’atelier devait être insupportable, et Edmond se promit de faire envoyer un cruchon d’eau fraiche aux forgerons. La cheminée de l’armurerie surplombait les habitations, accompagnée comme par d’un frère du clocher de l’horlogerie. En Mortefange, les habitants vénéraient le Dieu Mithar, le grand horloger qui confiait à chacun sa destinée, afin qu’il puisse accomplir la mission pour laquelle il avait vu le monde. Des fadaises, des histoires pour s’approprier le pouvoir. Combien de gens avaient péri par la prétendue volonté de Mithar ? Il y a un millénaire, les premiers Aubépine avaient adopté son emblème, le crâne coiffé d’un sablier. Pourquoi un crâne, avait demandé Edmond ? Les mitharis lui avaient répondu qu’il représentait la conscience de leur propre mort, et de la connaissance de l’objectif de leur mission sur terre. Le culte de Mithar se perdait, et Edmond avait moult fois songé à raser l’horlogerie, et s’était à chaque fois ravisé en contemplant la beauté des lieux. Quand on était à l’intérieur, les vitraux renvoyaient un kaléidoscope de lumière irisée. Inutile, mais joli.

Deux cavaliers arrivaient sur la route. Le premier revêtait une armure complète, et un taureau rouge ornait son heaume. Aucun doute sur son identité. Charles Millepertuis, son neveu suivait partout Domitille où elle allait. Il avait lui-même récemment adoubé le garçon après qu’il eut chassé des brigands qui braconnaient à la lisière de la Forêt de Brume. Les chevaliers de sa génération avaient presque tous péris dans les guerres d’Alexander Wiern, et tout était devenu prétexte à l’adoubement pour regonfler les rangs. Charles deviendrait un vrai chevalier le jour où il se battrait dans une vraie bataille.

Domitille l’accueillit avec un grand sourire. Lui pas. « Où étais tu passée ? l’admonesta-t-il.
— Une galopade à cheval », répondit-elle, taquine.

Un grand sourire au visage, elle se mordait la lèvre inférieure d’un petit air désolé, mais seule la malice était réelle. Comme à chaque fois, à sa malédiction, Edmond succomba au charme de sa fille ainée.

« Allez, descend de cheval, raconte-moi ce que tu as fait, sourit Edmond. Charles, salua-t-il son neveu.
— Mon seigneur, dit-il, faisant s’incliner son cheval.
— Ouais, ouais, beau spectacle que cela, maintenant déguerpis, et donne-nous de l’air. Et quel crétin garderait son heaume par un temps pareil ? » lança-t-il au pauvre chevalier, dont les joues devaient avoir pris une teinte cramoisie, et non à cause de la chaleur.

Tourmenter ce garçon avait quelque chose de drôle, bien qu’il fût peut-être un des seuls vraiment fidèles au fief. On se défoulait comme on le pouvait. Domitille lui avoua alors le motif de sa balade.
« La route est pleine de badauds ces temps-ci, tu as été fort imprudente. Les petites gens sont imprévisibles. C’est quand tu penses qu’ils mangent dans ta main qu’ils viennent te la mordre.
— Papa, pourquoi me gardez-vous toujours de la route ? s’enquit-elle. Je ne suis plus une enfant. » Elle repliait sa robe afin qu’elle ne trainât point sur le sol rendu boueux, n’écoutant que d’une oreille.
« Tu sais très bien pourquoi, ne joue pas à l’idiote. De plus, ton crétin de cousin ne suffirait pas à te protéger. Rappelle-toi ce qui arriva à ta tante. »

Un air contrit marqua le visage de Domitille. Edmond se rendit compte que sa fille ne voulait pas le blesser et changea de sujet.

« Alors comme ça, tu as rencontré le rejeton d’Alexander. Comment est-il ? »

Bien qu’elle ait bravé l’interdit, Edmond ne souhaitait pas en tenir rigueur. Seul un bigot s’effaroucherait à la violation du protocole d’un mariage.

« Il est plaisant à regarder, répondit-elle du tac au tac. Il manque peut-être un peu d’assurance.
— Et je ne peux que le comprendre. Il n’est pas aisé d’être le fils du seigneur Wiern. »

Une légère brise vint remuer l’étoffe bleue de la robe de Domitille. Ils profitèrent un instant du doux zéphyr, moment béni dans cette canicule.

« Ce mariage est essentiel pour notre famille.
— Je ne compte pas vous faire défaut. »

Domitille le fixait de ses yeux de biche. Comment, lui si laid, avait-il pu créer telle perfection ?

« Je suspecte Alexander de vouloir plus que d’honorer sa promesse. Il doit y voir une opportunité pour relier Mortefange au Grand Felseweise.
— Ne refusez pas le mariage, je vous en conjure. »

Une lueur de détresse tordit les traits de sa fille.

« Jamais je ne ferai pareil chose. Mais Il faut que tu puisses mettre ce Karl à ta merci. Tu deviendras la femme d’un des plus illustres seigneurs de la Péninsule. Si tu réussis, alors Mortefange redeviendra grande, et surtout, restera libre. Utilise ton pouvoir de femme pour l’amadouer. Il devrait céder facilement. »

Oh oui, elle serait parfaite dans cette entreprise. Domitille avait toujours su tirer parti de sa condition. Edmond ne se faisait aucun souci.

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19 mars 2017 à 23:36:55

Les hommes du seigneur Wiern entraient tel un flot ininterrompu d’acier chatoyant, de brodures d’or et de sinople. La petite cour fut rapidement bondée de chevaliers et de fantassins. Trompettes, clairons et cors clamaient haut et fort l’arrivée des convives. Dames et échansons suivaient, les unes en amazone, les autres à poneys, arborant robes de couleurs frivoles et tuniques légères brodées aux armoiries suzeraines. La fine fleur du Grand Felseweise était venue pour ce mariage.

Sire Tobias Blomst, l’usure de son armure inspirant le respect, dégageait une prestance certaine. Un écuyer portait haut sa bannière, la rose sanglante sur champ d’argent. Tobias dépassait d’une bonne tête le plus haut de ses hommes, et tous le connaissaient pour sa bravoure lors de la campagne contre Bérenger Ebroïn. Derrière, sire Maximilien Schwert, épée sur champ de sable rouspétait sur son écuyer qui n’était pas assez vif à son goût. Le pauvre garçon semblait pourtant se démener pour combler toutes ses attentes.

Sire Octave Wildschwein, un homme à la longue barbe blanche était accompagné de sa fille et femme d’Alexander Wiern, Helena. Le teint cireux, elle était décharnée et cachait son visage sous un voile. Elle semblait prête à défaillir. Il y avait des années que tous les soigneurs et apothicaires de la péninsule venaient lui rendre visite. Aucun n’avait su la guérir des terribles maux qui la prenaient. Leur seul succès avait été de la maintenir en vie. Seul le mariage de son fils aîné avait pu justifier une si longue chevauchée.

Il y avait aussi deux garçons dont les folles chevelures rappelaient à Edmond deux champignons aux chapeaux rouge et or sur un pied d’argent. Les couleurs de Damian et Paul Pergament tranchaient parmi le brun si commun à Felseweise. Pupilles d’Alexander Wiern, ils l’aidèrent à descendre de cheval, l’un liant ses mains afin d’accueillir le pied seigneurial, l’autre s’occupant à ce que la longue cape ne soit pas souillée.

Les gens d’Edmond avaient formé une ligne. Charles avait enfin retiré son armure, optant pour une tunique d’or et de gueules écartelée en sautoir. Il regardait les Wiern d’une façon qui semblait neutre, mais ceux qui le connaissaient voyaient bien l’amertume de son regard.

Edmond était entouré de ses filles. Une robe brune engonçait les formes de Domitille, et tout sourire, coiffée complexement, elle pétillait d’impatience.

La seconde, Louise, grande et sèche regardait d’un air morne les arrivants, ennuyée. Jamais Edmond n’avait su la faire sourire, et la solitude semblait être devenue son amante. Peut-être parviendrait-il à la marier à un des deux Pergament. Il avait gardé Domitille en réserve pour l’aîné des Wiern, mais il était maintenant grand temps de marier Louise qui avait entamé son dix-septième printemps.

La troisième, Sarah, venait d’avoir sa majorité. Tout juste seize ans, elle était grasse, mais dotée du même caractère que Domitille, bien plus charmante que Louise. Peut-être l’enverrait-il dans les plateaux d’Héliante, elle qui raffolait des sucreries Hélianti ! Les deux plus jeunes, Jeanne et Léonie, quatorze et douze ans n’avaient pas encore saigné. Leur mère, Iseut avait une de ses mains sur leurs épaules. Dans chacun de ses six enfants se retrouvaient ses traits, et Edmond s’en félicitait. Il n’y avait pas de quoi s’enorgueillir à lui ressembler.

Contrairement à Alexander, Edmond n’aimait pas s’entourer de ses vassaux, ainsi aucun sire Hellébore ou Millepertuis, à l’exception de Charles n’était présent. Marchant d’un pas de conquérant, Alexander Wiern fendit la foule, et toute la cour s’agenouilla. Sauf Edmond, qui ouvrit grand ses bras et lui donna une accolade. Le seigneur de Felseweise mit un certain temps avant de refermer les siens dans le dos de son ami.

« Cinq ans que je ne t’ai vu, et te voilà, les cheveux grisonnants, rayonna Edmond.
— Et il y a cinq ans, tu pouvais encore porter l’armure de tes aïeux, répondit Alexander, narquois.
— J’en ai fait faire une plus grande, que crois-tu ! »

Martin, puis chacune des filles vinrent saluer Alexander. Les yeux de son fils étaient pétillants, comme un enfant devant un jouet fabuleux. Les filles se montrèrent très courtoises, usant de gambettes et révérences, répétant le manège pour chacun des grands sires de Felseweise. Sarah s’empourpra quand Tobias Blomst lui fit un compliment, écopant d’une réprimande par Louise, qui la traita de sotte. Alexander fit le baisemain à Iseut. Le moment le plus attendu se présenta enfin. La rencontre des deux fiancés.

Tous les regards se posèrent sur son gendre. Karl Wiern portait une tenue légère vert sapin, brodée d’argent. Ses bottes, faites dans un cuir souple étaient impeccables, et un fin cercle d’acier coiffait ses longues boucles d’onyx. Il apparut de derrière Maximilien Schwert et des jeunes Pergament. Domitille fit un pas en avant, surexcitée. Elle tentait de se contenir, mais ses mouvements frénétiques la trahissaient. Karl était très beau garçon, Edmond l’admettait volontiers.

« Mais qu’avez-vous donc fait de Léonie Millepertuis ? » demanda le jeune Wiern, un grand sourire au visage. Elle gloussa, ses joues creusant des fossettes.
« Il me semble qu’elle soit tombée de cheval sur la route, et que nous ne la reverrons pas pendant un moment. »

Edmond haussa les sourcils, ne comprenant pas un traitre mot de l’échange.

« Madame, c’est un honneur de vous rencontrer, reprit Karl, ployant un genou, serrant les mains de Domitille entre les siennes. La foule applaudit, et Alexander se tourna vers le seigneur des lieux :

« Je voudrais rendre hommage à Mithar, accompagne-moi jusqu’à l’horlogerie, dit-il en réajustant la ceinture qui tenait son épée.
— Tu plaisantes j’espère ! » rigola Edmond. Puis il s’adressa à toute l’assemblée : « J’ai fait remonter des tonneaux de bière fraiche de mes celliers, et il y en a assez pour chacun d’entre vous ! »

Des musiciens firent jouer leurs tambours, cornet à bouquin et cornemuses, tandis que les hommes du seigneur Aubépine amenaient de quoi monter les tables. De nombreux valets apportèrent tonneaux et chopes, et les convives commencèrent les festivités en plein air.

« J’irai donc seul à l’horlogerie, dit Alexander.
— Cinq ans que nous ne nous sommes pas vu, et toi tu ne penses qu’à prier quelque chose qui ne te répondra pas. Qu’as-tu à prier ? Tu dois être l’homme le plus puissant du monde. »

Le regard que lui lança Alexander lui fit regretter immédiatement ses paroles.

« Je prie pour la santé de ma femme. Je prie pour mes enfants. Je prie pour de bonnes récoltes et un avenir prospère dans la paix. Je prie pour ceux que j’ai envoyés dans la tombe. Je prie pour toi.
— Pour moi ? S’esclaffa Edmond. Qu’est-ce que les dieux peuvent bien avoir à faire de moi ?
— Jamais les dieux ne t’accueilleront en leur royaume si tu continues ainsi. J’essaye d’atténuer ton calvaire dans l’au-delà.
— Et depuis quand as-tu commencé à prier pour moi ?
— Je commencerai tout à l’heure. »

Edmond éclata de rire. Sacré Alexander. La paternité ne l’avait pas décoincé, bien au contraire. Alexander était le seul ami qu’Edmond avait accepté de se faire. À l’époque, il l’aurait suivi dans les flammes de l’enfer sans même se poser de questions. Bien que bourré de défauts, Alexander faisait toujours ce qu’il pensait juste, peu en importe le prix. Jadis, Edmond avait une confiance totale envers le seigneur du grand Felseweise. Aujourd’hui, il craignait que l’homme ne pense juste que son fief s’agrandisse.

Ils franchirent tous deux la herse, et empruntèrent la route pavée qui descendait vers les entrailles de Cenelle. Alexander ne desserrait pas les lèvres, et bien qu’il ne fût pas le plus aimable des hommes, Edmond releva :

« Alex, quelque chose te tracasse ? »

Ils firent quelques pas avant que le seigneur Wiern ne réponde.

« J’ai croisé Reyce Vangeld sur la route des oliviers.
— Il est courant de rencontrer partout les hommes de Joris de nos jours… répondit sombrement Edmond.
— Et… Ils m’ont fait payer un droit de péage… sur le pont qui enjambe la Fétide. »

Edmond s’empourpra, la gêne lui donnant trente ans de moins.

« C’est vrai. J’ai vendu le pont.
— Mais Ô grands Dieux pourquoi ?
— Tu sais bien qu’un Vangeld achète que s’il est gagnant, sinon il prend. Et il m’a clairement fait comprendre qu’il prendrait.
— Es-tu donc un couard ? s’estomaqua Alexander. Tu te laisses intimider par cette vermine ?
— Il t’est facile de dire ça ! Tu as une armée, les gens craignent ton nom ! Moi je n’ai qu’une poignée de chevaliers qui ne font que de se battre entre eux, et des pauvres paysans munis d’une pique qui détaleront à la moindre effusion de sang !
— J’aurais volé à ton secours.
— Même toi, tu n’aurais pu leur faire face. »

L’atmosphère devint aussitôt pesante, et Edmond regretta ses mots. Irriter Alexander était la dernière chose qu’il souhaitait. Il en vint même à se demander si le seigneur Wiern était réellement son ami, les années semblant l’avoir drastiquement changé.

« Il est temps de clore la discussion » trancha-t-il, d’un air qui ne donnait pas envie de contester. Alexander Wiern n’était pas homme qui aimait à se répéter.

Ils arrivèrent enfin face à l’horlogerie. Sa grande porte de chêne demeurait close, comme à l’accoutumée. Un crâne presque effacé était sculpté sur la pierre qui surmontait l’encadrement de l’entrée. Il regardait de ses orbites creuses, et ça depuis des siècles tous ceux qui s’attardaient sur le parvis. Un aubépinier dominait l’endroit, projetant son ombre tachetée d’or. Simon, le mitharo de Cenelle se reposait contre son tronc. La lumière frémissait sur son crâne chauve, au gré du vent.
Alexander toussota pour le réveiller. Edmond lui aboya dessus, et le pauvre prêtre sursauta.

« Messire, je suis désolé, la chaleur m’a assoupi ! » Il s’inclina tout en repassant sa bure grise. Edmond roula des yeux.
« Le seigneur Alexander désire que tu lui entourloupes la tête avec tes sornettes. Encense-moi cet endroit ! »

Le vieillard se leva aussi vite que ses vieux os lui permettaient, et s’empressa d’ouvrir les lourds battants de la porte. Alexander tournait le dos à Edmond. Le seigneur de Cenelle sentit ses tripes se tordre. Il fallait qu’il dise à son invité ce qui le taraudait depuis le début de la matinée. Lui dire l’horrible vérité. Alexander ne lui pardonnerait pas, Edmond le savait. Comme le seigneur Wiern pénétrait l’enceinte, Edmond le héla.

L’action sembla se dérouler au ralenti. Alexander tourna lentement la tête dans sa direction. Alors les mots franchirent sa bouche :

« Ildibad est en vie, et je sais où il se terre. »

Alexander Wiern marqua un temps d’arrêt. Bilieux, ses sourcils se joignirent de stupéfaction.

« Plait-il ? »

Son expression laissait à croire qu’il espérait une plaisanterie de mauvais goût. Edmond brisa son espoir.

« Jamais sire Thomas Millepertuis ne ramena la tête qu’il était parti cueillir. Jamais même Sire Thomas Millepertuis ne revint de sa mission. »

La nouvelle fit chanceler Alexander, qui s’appuya contre le mur de l’horlogerie.
D’une voix détachée par la colère, il persifla :

« C’est de la plus haute trahison. Un motif d’annulation de l’union de nos familles, et même de guerre.
— Alexander, tu laisses la colère t’emporter ! »

La détresse s’empara d’Edmond.

« J’ai fait ce que je pensais juste, Alex. Tu avais détruit Ebroïn. Les quelques survivants sont partis en forêt de Brume. Après l’échec de sire Millepertuis, j’ai choisi de laisser la vie à cet Ildibad de malheur.
— Ildibad doit certainement avoir grandi dans la haine, et sa haine réclamera vengeance !
— J’ai fait ce qu’il me semblait bon pour mes gens, Alex ! Je n’aurai pas souffert d’autres massacres ! »

Alexander serra de rage son poing et fustigea l’air. Edmond attendit qu’il se calme. Le seigneur de Felseweise était de tempête.

« Tu as écouté ton cœur, certes… Mais je te préviens … je te promet que j’anéantirai quiconque se mettra entre moi et Ildibad Ebroïn. »

Kiko_Warlok Kiko_Warlok
MP
Niveau 3
20 mars 2017 à 00:56:15

Désolé pour le up non voulu, j'ai miss-click ><

Du coup j'en ai profité pour lire le premier chapitre =)
Et quelle aubaine ! Je suis tout nouveau dans la communauté du forum Ecriture, j'étais plutôt un habitué passif de différents forum FF, et même s'il y avait quelques bonnes fanfics, je reste éberlué par le niveau des forumeurs d'ici ! Merci pour ce moment très agréable.
Après vu que je n'ai pas lu ton roman, et que ce que tu présentes est un DLC selon tes dires, je me dis que les chapitres suivants ne doivent pas forcément faire suite à celui de Chimène et Jacob, donc je vais éviter de me spoil en lisant plus loin.

Mais l'avantage c'est que je peux donner un avis d'un oeil neuf ! Alors juste une chose qui me chagrine un peu, c'est le niveau de langage employé dans tes dialogues. Globalement, tes deux personnages parlent comme deux adolescents, mais des fois ils utilisent certains termes un peu trop soutenu pour eux j'ai l'impression. Et même principe dans les descriptions faites par Chimène. Mais vu que je n'ai pas le contexte de ton récit c'est un peu compliqué de juger. En effet s'il se passe dans un monde plutôt médieval (arc, mains coupées pour braconnage etc...) on peut peut-être considérer ces termes comme une normalité possible. Par contre clairement, si on est dans un cadre médiéval, et que d'après les sous-entendu, Chimène et Jacob n'ont pas l'air d'avoir eu une éducation au top en terme de culture, j'ai encore plus de mal à comprendre leur niveau de langage, surtout à la fin dans les ruines.

Pour finir (parce qu'il est temps quand même xD) je suis du coup très curieux de découvrir ton roman et ce qui se cache derrière ces ruines bien énigmatiques ! Et même si j'ai pointé ce qui m'a déplu, ça ne représente qu'une infime partie du texte ! A la limite tu aurais peut-être du nous donner une étape de plus avec la biche histoire de rendre plus crédible la poursuite =O (oui parce que ça se voit assez rapidement que ce n'est pas sur la biche qu'ils vont tomber au final). (putain même quand je veux clore je trouve le moyen d'écrire d'autres trucs !)

Ah oui et quelques coquilles tant que j'y suis :

"Épais et noueux, ils pouvaient dissimuler nombre de choses, et leurs branches se tordaient tels de vieilles griffes souffrant d’arthrose, s’enlaçant avec difficulté autour des uns les autres." On devrait pas plutôt dire "autour les uns des autres" ? Après c'est possible que je dise une connerie hein...

"Elle le retrouva au somment d’une butte," Je suppose que tu voulais dire sommet.

Ce sont les seules qui m'ont marquées, peut-être qu'il y en a d'autres mais là j'ai plus la foi, désolé =x

Merci pour la lecture plus qu'agréable =)

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
20 mars 2017 à 11:18:57

Salut, et merci pour ta lecture [[sticker:p/1lm9]]

Il s'agit d'un DLC pour Brad, qui a déjà lu le roman, mais pour toi, il s'agit bien du chapitre 1 de La Marque, et le Prélude des frasques de notre cher Baladin en maraude :hap:

J'avoue que ton avis est le bienvenu, vu que je teste de nouvelles choses et que la plupart des forumeurs ici n'auront surement pas que ça à faire de tout relire :rire:

Concernant le niveau de langage de Chimène et de Jacob :d)

Dans la première version, où ils n'étaient que de simples paysans, ils parlaient comme de la bonne gueusaille, mais ça gênait à la lecture, à priori :rire:

Du coup dans les versions d'après, j'ai donné une famille (Azalée) à Chimène. Une famille qui fut noble mais dont les privilège ont été abolis (comme expliqué dans le roman), du coup il reste un héritage de cette grandeur passée.

Je t'invite à regarder le PDF qui est lié au tout début du topic, il est maintenant à jour et je poste toutes les corrections que je fais, il y a les différentes familles avec les personnages dedans, des illustrations, cartes...

Merci d'avoir relevé les fautes, tu as bien raison pour le "les uns des autres" :-))) et le somment, bah, ou est la potence ? :hap:

À très bientôt !

Chocobo_3 Chocobo_3
MP
Niveau 15
24 mars 2017 à 18:06:31

Bon bon bon... Comme je l'ai dit sur le blabla, dur de s'y retrouver tant ton texte change tout les mois :p) J'ai lu sur le lien que tu m'avais filé il y a quelques temps. Apparemment ce n'est plus d'actualité, mais bon.

En gros, j'ai lu toute la partie avec Eric et William, puis avec Deotoria et Ildiblad (truc du genre), et enfin la partie avec Chimène qui se réveille dans le camps. Et... ben j'ai bien aimé. Globalement, je trouve que c'est assez fluide. Certains passage sont plus "lourd" mais dans l'ensemble ca ce tiens bien. Le phrasé des personnages sonne assez naturel, ce qui est pas spécialement évident vu le style voulu.

Pour l'instant, je dirais que le "problème" c'est qu'aucun personnage ne me marque (haha, ce jeu de mot :o)) ) vraiment. Enfin si, ya Alexander. Mais les autres je le trouve plutot quelconque. Ils s'étofferont surement par la suite mais si je devais pointer un défaut, ca serait celui la, du moins pour le moment.

En ce qui concerne le vocabulaire, ca ne me pose pas de problème particulier... sauf par moment. En gros je commence le chapitre et une des première phrase comporte trois mots que je ne connais pas. Tabard, Gambison, Sinople. Donc c'est pas gênant de manière général, mais la c'est un peu trop. Après on peut aussi dire que c'est moi qui ne maîtrise pas assez la langue française, quelque part :noel:

Bref, une impression plutot positive, vu que le prologue, comme je l'ai déja dit, m'avait, lors de ma première tentative, vachement refroidit. J'vais essayer de lire la suite mais j'avoue être un peu perdu niveau chronologie de lecture...^^

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
24 mars 2017 à 19:21:26

Merci pour ta lecture ! :-)

Hmm, alors je pense que maintenant tu devrais arrêter de lire le pdf que je t'avais passé avant et prendre celui tout au début, ou suivre sur le topic :hap: Commence au chapitre 5 :hap:

Message édité le 24 mars 2017 à 19:21:48 par LePerenolonch
Chocobo_3 Chocobo_3
MP
Niveau 15
24 mars 2017 à 19:39:28

Okay, je vais essayer de suivre sur le topic alors. Je reprendrais a "LES RUMINATIONS DU TAUREAU", ca semble être plus ou moins la suite de ce que j'ai lu cet aprem :-)

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
24 mars 2017 à 20:27:36

Le 24 mars 2017 à 19:39:28 Chocobo_3 a écrit :
Okay, je vais essayer de suivre sur le topic alors. Je reprendrais a "LES RUMINATIONS DU TAUREAU", ca semble être plus ou moins la suite de ce que j'ai lu cet aprem :-)

Exactement [[sticker:p/1lm9]]

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
31 mars 2017 à 09:53:25

Chimène se mura dans un silence encore plus pesant. Une grande table rectangulaire avait été placée au centre de la tente, et de nombreux rouleaux de parchemins s’étalaient parmi les fruits et les gobelets d’argent, vestiges de la richesse des Ebroïn. Au bout de la table, le seigneur Ildibad arborait une drôle d’allure. Son vêtement, fait de soie pourpre était agrémenté d’un col de plumes de cygne. De nombreux hommes l’entouraient, portant soit les couleurs de leur seigneur, soit l’or et l’argent Croûtepain, le sinople et le gueules Merrick, soit l’ébène et vert Arthis, ou l’or et sable Melian.

Alaric attendait dans un recoin de la tente, l’ombre couvrant partiellement son visage. Germain exerça une pression sur l’épaule de Chimène afin qu’elle ployât le genou. Elle n’osa pas croiser le regard de ces hommes, et garda les yeux rivés sur le plancher. Au bout d’un moment, Germain lui donna un discret coup de pied pour qu’elle se relève. Elle tremblait de peur. D’un mot, ces hommes pourraient la faire tuer. Ou pire. La laisser seule en forêt.

« Quel est ton nom ? » demanda le jeune seigneur. Elle fut prise de mutisme. Aucun son ne sortait de sa bouche, si ce n’est qu’un faible souffle. Sa gorge semblait s’être pétrifiée.
« Êtes-vous sourde ? s’impatienta un homme vêtu de rouge.
— Elle s’appelle Chimène, répondit à sa place Germain.
— D’où vient-elle ? » demanda un homme aux cheveux blancs, et au visage balafré, assis juste à côté d’Ildibad. Le dépit s’installa sur la face du colosse.
« Je l’ignore, sire Evrard.
— Renvoyez là dans la forêt, qu’on en finisse ! » trancha un autre qui portait des épaulières rappelant les ailes d’une chauvesouris. A l’évocation des bois, Chimène retrouva la parole.
« Pitié, non ! Je viens de la Vaupalière, un bourg près de la forêt de Brume, ne me renvoyez pas dans ces bois, je vous en supplie ! »

Elle était tombée à genoux, ses poumons pompant avec difficulté l’air. Les mains jointes, elle leur adressait sa prière. Les seigneurs se regardèrent, l’air dubitatif.

« Sais-tu pourquoi tu es là, Chimène ? demanda finalement Ildibad.
— Non, je ne sais même pas où je suis… dit-elle, pathétique.
—Je suis le seigneur Ildibad Ebroïn, seigneur légitime de Neufcâstel et de Havrepré, gouverneur de la forêt de Brume. Tu es dans mon domaine. Ce camp est tout ce qu’il me reste depuis que les parjures Wiern et Aubépine m’ont usurpé mes terres. »

Dans une alcôve, un cygne qu’elle n’avait pas remarqué siffla. L’animal se pelotonnait à la manière d’un chien dans son panier. Il se leva et alla se camper sous la main d’Ildibad qui le caressa.

« Messire, il n’est surement pas prudent de dévoiler tout ça à une inconnue, objecta l’homme qui avait voulu la renvoyer dans la forêt.
— Sire Gawen, dictez-moi encore une fois ce que je dois faire ou non, et c’est de votre langue que je nourrirai les porcs, l’éconduit Ildibad, impérieux.
— Mes excuses, messire.
— Tu dis venir de la Vaupalière ? » demanda Déotéria.

Chimène reconnut en elle les traits du seigneur Ebroïn.

« Oui.
— Tu n’es pas sans ignorer que tu es notre ennemie, dans ce cas ? reprit l’homme en rouge.
— Je ne suis qu’une paysanne, je comprends rien à vos histoires de seigneurs, je vous jure que je ne vous ferai jamais de mal ! » plaida-t-elle.

Ildibad parut attendri, et même Gawen sourit. Cependant, Alaric sortit de l’ombre.

« Si vous permettez ? » questionna-t-il. Ildibad lui accorda la parole d’un signe de tête. « Elle prétend être paysanne, mais le tissu de sa robe est d’excellente qualité, les couleurs ne sont même pas délavées. Nous avons soit affaire à une menteuse, ou à une voleuse…
— Il dit vrai… constata l’homme en rouge.
—Voyons, pas de précipitations Regan, elle doit sûrement avoir une explication ? » demanda Ildibad.

Sentant le poids de tous les regards sur elle, Chimène déglutit et bafouilla :

« Mes parents possèdent encore quelques richesses, comparé aux autres paysans. Mon nom est Azalée… mais je vous promets que je n’y suis pour rien, je n’ai jamais vu le seigneur qui vit de l’autre côté de la rivière. Je le hais même ! Il a pris mes frères dans son armée ! Ne me renvoyez pas seule en forêt, j’en mourrai ! »

Evrard, le balafré s’enfouit son visage dans la paume de sa main, tandis que Gawen soufflait son ennui. Un air satisfait irradiait la face d’Alaric.

« Sire Eloïck, vous qui connaissait bien Mortefange, j’imagine que vous pourrez clarifier la situation ? »
Un homme qui n’avait pas encore parlé, portant la livrée Croûtepain se leva. L’âge semblait l’avoir rattrapé : une épaisse tignasse blanche fleurissait sur son crâne, tandis qu’une barbe touffue avalait son visage ridé.

« Il n’y a rien à craindre d’un Azalée, messire. Il y a longtemps que leur maison est tombée dans l’oubli, et je peux vous assurer qu’aucun d’eux ne mena d’hommes contre votre père.
— En tirions-nous une bonne rançon ? demanda Ildibad, tout en fixant la jeune fille.
— Que nenni mon seigneur. Une chèvre ou quelques pourceaux tout au plus.
— Fort bien ! Ildibad claqua des mains d’un air satisfait. Elle restera parmi nous, ou quittera ce camp les pieds en avant. Quel âge as-tu, Chimène Azalée ?
— Dix-sept hivers, messire ».

Nerveuse, elle tirait sur ses mèches rousses.

« Je vais répéter ma question. Sais-tu pourquoi tu es ici ? »

Elle secoua négativement la tête.

« On dit, Chimène, que tu possèdes une étrange marque dans ton dos. On dit même qu’elle aurait des propriétés… magiques. » Il insista sur le dernier mot, mais son expression restait sceptique.
Chimène fronça les sourcils, complètement surprise. C’était bien la dernière chose à laquelle elle s’attendait de la part de ses ravisseurs, ou de ses sauveurs, selon le point de vue. Une marque magique dans son dos ? Elle l’aurait quand même remarquée. Face à son expression interloquée, Ildibad se tourna vers sa sœur, Déotéria.

« Elle n’a visiblement pas l’air au courant, j’espère que tu ne m’as pas fait perdre mon temps. » Il était blasé.

« Ildibad, je l’ai vu de mes yeux, cet homme peut confirmer ! dit-elle en désignant Germain.
— Oui pour sûr monseigneur ! » s’empressa-t-il d’ajouter.

Chimène les dévisagea à tour de rôle. Elle ne soutint pas longtemps le regard vert pénétrant d’Ildibad, ni celui bleu et sauvage de Déotéria. Elle chercha du réconfort auprès de Germain. L’homme était franchement laid, maintenant qu’elle le regardait pour de bon. Tout était large chez lui, sa mâchoire, son front, son nez...

« Déshabillez-la donc… ordonna Ildibad, qu’on en finisse. »

Elle eut un mouvement de recul et se stoppa au contact du colosse. Elle sentit les doigts boudinés de Germain triturer ses lacets, délivrant l’étoffe de ses atours qui tombèrent au sol, puis il lui baissa sa chemise jusqu’à la taille. Elle cacha sa poitrine en croisant les bras, toute rouge de honte à se retrouver à moitié nue au milieu d’inconnus. Le soldat infirmier la fit pivoter de façon à exposer son dos au jeune seigneur. Toute l’assemblée poussa un hoquet de surprise.

« Par Ingegarde ! Tu ignorais que tu portais ça dans ton dos ? S’éberlua Ildibad.
— Mais je ne comprends pas ! j’ai rien dans mon dos, je suis juste une bergère de Mortefange ! »

Les larmes commençaient à perler au coin de ses yeux.

« Nous ne sommes pas ici pour te faire une farce, petite, commença Déotéria, vas constater par toi-même dans le miroir. »
Chimène s’avança, toute tremblante vers une grande plaque de chrome posée au fond de la pièce. Des nervures cerclaient la surface cuivrée, Elle tourna la tête et constata à son tour sa marque, qui prenait en taille la moitié de son dos, s’arrêtant aux tâches de rousseurs de ses épaules. Tels une monstrueuse araignée, les pigments d’un bleu glacial d’hiver s’enroulaient sur eux-mêmes en une spirale rappelant les étoiles lors d’un ciel d’été. Elle tordit son bras afin de toucher la marque. Elle essaya de l’attraper et de l’arracher, comme une vilaine peau morte encombrante. Constatant que ses interrogateurs attendaient qu’elle parle, elle bredouilla :

« Je n’avais pas cette marque avant, je sais pas ce que c’est, mais j’ai peur.
— Bon, fit Déotéria, déçue, si tu n’as rien de plus à nous apprendre…
— J’étais avec mon cousin, dans la forêt, j’avais pas la marque j’en suis sûre, puis ensuite on a trouvé cette vieille bâtisse, et cette statue qui faisait de la lumière, puis ensuite on y a touché, puis là. »

Elle avait parlé très vite, paniquée qu’on lui fasse du mal.

« Ton cousin ? demanda Regan Merrick. Déotéria, tes hommes avaient assuré que la gamine était seule !
— Et je maintiens qu’ils l’ont dit, affirma-t-elle.
— Si le garçon a pu retourner chez lui, nous sommes en danger, déclara Evrard.
— Nous devons le traquer, avança Ildibad. Je ferai mander une troupe à sa recherche.
— Ne lui faites pas de mal, supplia Chimène. Nous ne sommes pas dangereux, je vous en conjure, je veux juste rentrer chez moi, et vivre tranquillement, je vous en supplie, Seigneur. »

Comme Ildibad se levait pour se rapprocher d’elle, Chimène remit sa chemise en place. À sa surprise, le seigneur lui sourit :

« Je te crois. Mon précédent échanson était un incapable qui renversait à chaque fois mon vin. Tu n’as sûrement pas le courage d’affronter des batailles, mais je pense que tu viendras à bout des cruches qui peuplent cette tente. »

Alors le cygne se mit à trompeter, comme s’il riait de la boutade de son maître.

LePerenolonch LePerenolonch
MP
Niveau 10
03 avril 2017 à 11:11:06

DES FESTIVITÉS BIEN AIGRES

CHARLES

Sire Grogneur couina quand Charles resserra la sangle. La bête tenta de lui mordre le bras, mais le chevalier le repoussa avec une petite tape sur les naseaux. Tout aussi morose que sa monture, Charles décrocha la bride et emmena le cheval à l’extérieur de l’écurie. Caparaçonnés de pied en cap de l’or et du rouge Millepertuis, le chevalier Taureau et son destrier attiraient l’œil des badauds. Comme le soleil tapait haut dans l’enceinte de Fort-Cenelle, son armure étincelait.

« Encore armé jusqu’aux dents ? » l’apostropha quelqu’un.

Martin Aubépine portait une tunique de cuir souple, et ses cheveux ondulés flottaient librement. Son cousin vint se mettre à son niveau et flatta l’encolure de Sire Grogneur qui se mit à farfouiller ses poches à la recherche d’une friandise. Son visage irradiait un large sourire.

« Où vas-tu comme ça ? s’enquit l’héritier de Cenelle.
— Prendre l’air. Quelques jours.
— Ne m’accompagneras-tu pas ? Père m’envoie faire prononcer à ses vassaux leurs vœux de fidélité. »

Sire Grogneur lécha la paume de sa main tendue et happa le bout de carotte.

« J’ai promis à ta sœur que j’assisterai à sa Cérémonie des Engagements. »

Martin leva les yeux au ciel. D’un coup de pied rageur, Il envoya balader une pierre au loin.

« Elle sait très bien que la Cérémonie n’est qu’un amusement qui n’engage en rien ! Joins-toi à nous ! »

Charles resta de marbre et vérifia la sangle de Sire Grogneur.

« Nous serons près d’une centaine, tous à cheval. Nous serons pareil à nos parents, qui partirent guerroyer contre les armées de Bérenger Ebroïn. Comme nous l’avons toujours voulu, tenta-t-il de le convaincre.
— Tu ne vas pas à la guerre.
— Tout comme lorsque nous nous abandonnions à nos jeux, renchérit-il. Mais rappelle-toi à quel point nous étions heureux. Ce sera comme revenir en enfance.
— J’ai donné ma parole à Domitille.
— Nous serons de retour pour la Cérémonie de l’Union, promit son cousin. Tu sais bien que jamais je ne raterai une occasion de revoir Matthieu.
— Je t’ai dit non. » trancha Charles.

La déception assombrit le visage de Martin.

« Soit. Fais bonne route. »

Le fils d’Edmond Aubépine lui tourna le dos, avant de repartir vers le donjon. Le chevalier Millepertuis chaussa l’étrier et se hissa en scelle. La tentation de dire oui lui avait brûlé la langue. Il ne comptait plus depuis combien de temps il n’avait pas vu Matthieu Aubépine, un cousin de Domitille du côté de son père, ancien compagnon de jeu et de tournoi.

Les sabots du destrier claquaient sur le sol pavé, et les valets qui s’attardaient dans la cour s’écartèrent prestement de son chemin. Charles lança son cheval au trot, et jeta un ultime regard par-dessus son épaule. La bannière d’Alexander Wiern vrillait au vent, en compagnie de celle de la maison Aubépine. La bile lui agressait l’estomac. Savoir le futur époux de Domitille si proche lui rongeait l’âme. D’une pression des jambes, son cheval partit au galop et quitta l’enceinte fortifiée.

Aucun nuage n’avait tâché le ciel, et cela depuis des jours. Les orages de fin d’été seraient particulièrement violents. La plupart des champs de blé passaient sous la faux et le fléau, grouillant de paysans, écrasés par le poids de leur labeur et le soleil. Alors que les manants imitaient inlassablement le ressac des vagues dans une mer de blé, Charles réfléchissait où il désirait se rendre. Chez lui, aux Craffeux ? Il pourrait redescendre en même temps que son père pour la Cérémonie des Engagements. Cependant, il risquerait d’y croiser Martin, et Charles ne voulait pas s’expliquer avec son cousin. Martin aurait voulu savoir pourquoi ils n’avaient pas fait la route ensemble. Il excluait également la possibilité de se diriger vers la baie, trop proche du Groin du Porc et des Hellébore. Il ne serait pas le bienvenu chez le sire à la licorne. Il avait glané quelques bribes de conversation, disant que sa famille avait constitué sire Sylvain Hellébore comme prisonnier. Peut-être rentrerait-il à Cenelle demain soir. Domitille ne courrait aucun danger, mais le plus tôt il reviendrait, le moins il s’inquiéterait. Il préférait mille fois voir Karl Wiern se pavaner autour de sa cousine que de la savoir en danger. Charles poursuivit sur la route des Oliviers. Bientôt, les forêts succédèrent aux champs. Il y régnait une douce fraîcheur résineuse. Le jeune homme démonta de cheval et laissa Sire Grognon prendre quelques répits. L’équidé lécha le sol terreux, de la salive boueuse commençant à mousser à la commissure de ses lèvres. Le chevalier laissa faire l’animal et partit se soulager dans les bois.

Alors qu’il remontait du talus qui séparait la route de la forêt, Charles aperçut deux mômes qui rodaient près de Sire Grognon. Un garçon et une petite fille.

« Bas les pattes ! » siffla-t-il.

Effrayée, la gamine alla se cacher derrière son frère, qui déchanta en voyant l’homme bardé de fer qui s’approchait d’eux.

« C’est une vraie teigne, il vous mordrait. »

L’intéressé remua une oreille en direction des enfants. Les deux chiards reluquaient Charles d’un air mêlé de crainte et d’admiration. Leurs gueules entrouvertes laissaient apparaître leurs petites dents de lait, encore écartées. La fille le regardait de ses grands yeux bleus et globuleux.

« Où sont vos parents ? » demanda Charles.

Trop effrayés pour répondre, les deux gamins demeuraient tétanisés. Livide, le garçon semblait sur le point de se compisser, alors que les sanglots tordaient déjà le visage de la fillette. Charles s’agenouilla devant le marmot. Ça sentait la pisse. Le jeune homme se savait plus grand que la moyenne, et son visage se rapprochait plus de celui des méchants des histoires. Cependant, le gamin murmura d’une voix tremblante.

« Sur la route derrière. »

Braconniers, songea-t-il. Si d’aventure Charles voyait juste, il se devrait de rendre justice lui-même. En tant que Chevalier, il avait le droit d’appliquer les punitions pour les crimes de cet acabit. La sentence pour les voleurs était de se faire couper la main, mais pour un braconnier, la peine valait double. On ne dérobait pas le gibier d’un seigneur impunément. Les morveux lorgnaient son épée.

« Vous êtes un vrai ? »

La curiosité semblait primer sur sa trouille.

« Plait-il ?
— De chevalier, murmura-t-il.
— Bien sûr. »

Même si Edmond avait rechigné à lui donner les éperons, on l’avait oint des saintes huiles de Mithar, et son épée avait été bénite par le mitharo Simon.

« Je peux zyeuter votre épée ?
— Elle risque d’être trop grande pour toi. Ceci devrait convenir. »

Il dégaina sa dague et la tendit au marmot qui s’en saisit religieusement. L’enfant lâcha un petit cri d’émerveillement.

« Maman dit qu’il faut pas jouer avec les armes ! piailla la fillette.
— Et elle a raison, maugréa Charles en récupérant sa lame. Je vous ramène à eux. »
Il attrapa de chaque main le col des marmots et les hissa sur le dos de Sire Grognon. Jamais la bête n’avait porté de cul-terreux. Le cheval mangeait et dormait mieux que la plupart des gueux de Mortefange, bénéficiant d’une litière propre et d’avoine frais chaque soir, sans compter les longs moments de soin que lui prodiguait Charles. Sire grognon faisait partie intégrante de la vie du chevalier.

Après quelques minutes de marche, ils arrivèrent en vue d’un petit bivouac, composé d’une dizaine de personnes. Un ragout mijotait sur un feu de camp, et ses senteurs vinrent chatouiller les narines de Charles. La troupe bullait, la plupart allongés sur des paillasses de fortune. Deux des voyageurs portaient une broigne de cuir, un cheval cabré gravé sur la poitrine. Tout bouffés de rousseur, les deux soudards se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. Des Azalée, songea Charles. Des soldats sous les ordres d’Edmond Aubépine. Des hommes et des femmes s’affairaient autour du feu, tandis que d’autres s’occupaient de leurs ânes. Des charriotes non attelées et pleines de caisses étaient garées le long de la route. Charles s’approcha d’eux, les deux enfants perchés sur Sire Grognon.

« Sont-ce là vos parents ? »

La petite hocha la tête, et le chevalier Taureau les descendit du destrier. Une femme vint à sa rencontre et les marmots coururent dans ses jupons. Ses cheveux noirs dépassaient à peine de sa coiffe, son visage agrémenté des dents du bonheur. Elle s’inclina bassement.

« Merci d’avoir ramené les piots, sire.
— Vous êtes imprudents, la réprimanda-t-il. Que faîtes-vous ici, avec des hommes du seigneur Aubépine ?
— Ils nous protègent, on est marchands. Pour l’Union de demoiselle Aubépine et de Sire Wiern, qu’on vient.
— Que transportez-vous ?
— Du tissu. Quelques légumes, répondit la femme. D’ailleurs, nous avons fait une potée, vous y gouterez bin ? Restez pour la nuit. »

Charles regarda le ciel. L’astre du jour déclinait déjà vers l’horizon, au travers du feuillage.

« Volontiers. » accepta-t-il.

Charles pansa Sire Grognon et l’installa avec les ânes. Le noble animal ne semblait guère apprécier ses nouveaux compagnons. Il pinçait les naseaux et couchait ses oreilles en arrière, montrant les dents.

Le chevalier Millepertuis n’en fit pas de formalité et alla s’assoir parmi la troupe. La mère des enfants s’installa à ses côtés et l’un des loubards Azalée les rejoignit. De la maille rouillée pendait de ses atours, et sa pique se terminait par une lame émoussée.

« Je suis Grégoire Azalée. Mon frère, là-bas, c’est Sébastien.
— Il m’importe peu de savoir qui tu es. Ton nom parle pour toi. »

Le rouquin eut l’air peiné.

« Je suis un féal sujet de mon suzerain. Je suis né sous ses ordres, je mourrai sous ceux de son fils, si Dieu le veut. »

Charles frémit. Ceux qui vénéraient Mithar ne l’appelaient pas Dieu. Seuls les adorateurs du Seigneur de la lumière procédaient ainsi. Une fausse religion venant du nord, qu’Alexander Wiern ramenait à Mortefange. La tradition voulait que l’époux se plie aux croyances de l’épousée, mais Charles ne doutait pas qu’une fois de retour à Felseweise, Domitille et Karl s’uniraient selon le rite hérétique.

« Néanmoins, tu es issu du sang des traitres.
— Est-ce donc ça, le preux Charles Millepertuis, dont on m’a fait tant de louanges ? » répliqua Grégoire avec amertume.
Le chevalier le taxa d’un regard noir, et le fantassin s’en alla au diable.

« Ils cherchent leur sœur, lui confia la marchande.
— Que me chaut ? cingla Charles.
— Certes, vous devait avoir d’aut’ chats à fouetter. Mais vous avez été dur avec lui, c’est un bon gars.
— Les Azalée sont une maison de félons. »

La femme ne répondit pas et servit une écuelle de poireaux à Charles. Ce dernier ressentit une légère culpabilité envers Grégoire.

« Faites y attention, de pas vous brûler les badigoinces. »

Charles grogna en guise de remerciement et se lança à l’assaut de son repas. La jeune mère ne le lâchait pas des yeux.

« Je m’appelle Aure. »

Du jus de légume coula le long de sa barbe. Charles ne l’avait pas rasée depuis des jours. Il demeura le nez plongé dans son écuelle.

« Vous êtes le fils de Gaspard Millepertuis, des Craffeux ?
— Oui, maugréa-t-il.
— Je lui ai déjà vendu des étoffes.
— Comment en êtes-vous venue à devenir marchande ? »

Mis à part le cheval Azalée, aucun emblème n’indiquait une quelconque noblesse chez les commerçants.

« J’étais unie à un sire Hyacinthe. L’est mort d’la fièvre. J’ai touché son héritage. J’y ai acheté des tissus. Puis j’les ai revendu, puis j’en ai racheté des encore plus beaux, et ainsi d’suite. Ça a pas mal cancané aux alentours, mais aujourd’hui j’y suis là, et eux où qu’ils sont hein ? »

Il n’était pas rare que les sires de Croixmont, les Hyacinthe, famille mineure du nord-ouest de Mortefange se mêlent aux gens du commun. Très peu de ses membres finissait chevalier, et encore moins riche. Cependant, pour une paysanne, il ne pouvait y avoir de meilleur parti.

« Votre potée était délicieuse. » mentit Charles en se levant.

Il prit congé d’Aure. Sire Grognon semblait s’être, si non accommodé, habitué à ses compagnons de stable. La pénombre commençait à envahir les lieux. Parmi les laîches et les ciguës, les grillons se donnaient en concert. Les jumeaux Azalée lambinaient, assis sur une charrette. Leurs silhouettes se détachaient dans l’obscurité. Charles brisa la glace.

« Je tenais à m’excuser. Je me suis laissé emporter. » admit-il.

Le fantassin ravala sa rancune.

« Je reconnais là celui dont on me parla, sourit Grégoire.
— Vous recherchez votre sœur ? s’enquit Charles.
— Pas que. Notre cousin aussi a disparu, il y a de ça une semaine. Perdus quelque part en Forêt de Brume. »

L’espoir sembla quitter l’Azalée en même temps que l’air de ses poumons.

« C’est loin d’ici, fit remarquer Charles. Que faites-vous avec des marchands, dans ce cas ?
— Il nous faut des sous pour engager des pisteurs. Les meilleurs sont au Val-Bréneux, à ce que l’on dit. Aure nous paye grassement.
— Val-Bréneux ?
— Un repère de coupe-jarrets, mais eux n’ont pas la chocotte quand il s’agit d’aller en forêt, répondit Sébastien, l’autre jumeau.
— Je sais ce qu’est Val-Bréneux, répliqua le chevalier Taureau. Les honnêtes gens n’y vont pas.
— Nous devons à tout prix les retrouver, renchérit Grégoire. Surtout notre cousin. S’il ne se présente pas au prévôt, notre famille se couvrira d’opprobre. Nous n’avons pas besoin de ça. »

Charles acquiesça. Leur sœur et son cousin devaient être morts depuis des jours, maintenant. Cependant, cette histoire de pisteurs l’intriguait.

« Qui sont ces mercenaires dont vous voulez louer les services ?
— Des hommes qui jadis manièrent l’épée. » répondit Grégoire, évasif.

Charles grimaça de dégoût. Des déserteurs. Nombreux furent les chevaliers qui trahirent leurs serments lors de la dernière guerre. Ceux-là ne vivaient uniquement à cause de la pusillanimité d’Edmond, qui n’avait jamais eu le courage de les déloger de leurs repères insalubres, à la fin des campagnes contre Ebroïn. Mortefange partageait la victoire avec Felseweise, en payant le prix du sang et des larmes.

« Je vous souhaite bonne chance, que Mithar vous soit favorable, les bénit Charles.
— Que le Seigneur de la Lumière guide vous montre la voie, Sire Millepertuis. »

Charles grogna. Il installa la scelle de Sire Grognon près du feu, et s’emmitoufla dans le caparaçon du cheval. A la lueur tremblotante du feu, il aperçut Aure qui l’observait. Elle avait détaché son fichu, et ses longs cheveux noir cascadaient sur ses épaules. Une poitrine galbée se soulevait doucement au rythme de sa respiration. Charles devina la courbure de ses cuisses en forme de lyre sous sa couverture.

« Ma couche est vide, comme toutes les nuits depuis des années, messire, susurra Aure.
— Puisse Mithar vous trouver un bon époux. » répliqua-t-il en tournant le dos à la marchande.

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