Je ne me souviens plus de l'époque à laquelle j'ai accepté de faire ça. Je ne me rappelle même plus vraiment de l'existence que je menais auparavant. Une chose est sûre, la vie m'était plus facile. Pour être tout à fait honnête, cela m'amusait, au début. Me sentir désirée, savoir les hommes à ma merci. Une sensation grisante.
Je me souviens du premier client. Il était jeune, peut-être un peu trop pour que j'accepte. Il était mignon, alors je ne me suis pas posée de questions. Lorsque je suis arrivée devant sa porte, il m'attendait déjà depuis longtemps. Il n'a pas pris la peine d'ouvrir en m'entendant frapper, il était déjà dans son lit, tremblant d'anticipation.
J'ai souri et je me suis invitée, sans un mot. Je me suis mise à nue, glissée dans son lit, et me suis collée tout contre lui. Il transpirait à grosses gouttes, sa respiration était déjà saccadée. J'ai caressé son corps sous les couvertures, me demandant comment un si beau jeune homme avait pu avoir besoin de mes services. Aucune autre ne l'avait trouvé à son goût ? Impossible. Il avait l'allure maladroite, le teint blême, mais un visage pur et un regard honnête, déterminé, de ceux qui parlent aux femmes.
Nous avons passé plusieurs minutes ensemble, sans échanger un mot. Son souffle seul me guidait, je savais instinctivement comment m'y prendre. Sa respiration s'est faite accélérée, chaotique, il a poussé un râle libérateur, et un silence pesant s'est installé dans la chambre sombre. Je ris encore de ma déception lorsque je me suis retournée et l'ai vu étendu, les yeux fermés, sourire aux lèvres. Pas un mot, pas un merci, une insouciance ingrate. Je me suis contentée de la béatitude sur son visage et me suis levée en silence.
Au bout de quelques années, la découverte passée, l'habitude installée, j'ai pu comprendre à quel point cette première fois avait été exceptionnelle. Plus jamais je n'ai revu un tel sourire. Il y a eu de sales clients. Des drogués jusqu'à l'os, des handicapés en tous genre également. Des très jeunes, des très vieux, et beaucoup de femmes. Des existences blasées, douloureuses, en quête d'exotisme. Pas un seul ne se souciait de moi ou de mon bien-être, et la plupart me méprisaient franchement. J'ai songé à tout arrêter. On ne se sort pas facilement de ces choses-là, surtout sous les ordres d'un patron égoïste et tout-puissant. Le refus n'était pas une option, alors j'ai fini par me résigner. Toute cette crasse, toute cette misère a commencé à me coller à la peau. Ils me dégoûtent désormais. Tous autant qu'ils sont, même les plus beaux. Je ne veux plus qu'ils m'appellent. Ils ont bien mieux à faire. Pour eux c'est l'affaire d'une fois. De mon côté, c'est tous les jours, à toute heure, sous n'importe quelles conditions.
Celui de ce soir-là n'était plus tout jeune. La quarantaine. Une rupture difficile, un nouveau départ qui peinait à se faire, une solitude grandissante. Nous avions rendez-vous au pied de son immeuble, perdu au fin fond d'un quartier louche, parmi les plus pauvres de la ville. Dans la rue, toutes les femmes ignoraient ma présence, la reconnaître aurait choqué leur peu de vertu. Les hommes, eux, les imitaient par décence, mais ne pouvaient cacher une curiosité encore vivace. Seuls les jeunes enfants, curieux, avaient l'audace de parler de moi. Ils demandaient qui j'étais, ce que je faisais, et pour quelles raisons. Les malheureux ne recevaient qu'une sévère réprimande en guise de réponse, et l'envie me prenait régulièrement de m'approcher de ces familles hypocrites pour souffler à l'oreille des bambins les vérités de ce monde, pour leur en montrer les dessous. Mes dessous, en somme.
Arrivée dans l'entrée de l'immeuble, minuit approchait. J'étais à l'heure. J'entendais le pauvre homme dévaler les marches pour me rejoindre. Il n'était pas question de faire durer le plaisir, aussi optai-je pour prendre mon client dans le hall, sans plus de préliminaires et à la vue du premier passant. Il ne me fallut que quelques minutes. Le fait accompli, et m'apprêtant à partir, je pris un instant pour l'observer. Allongé là, piteux, il était exposé au regard des curieux qui dévalaient déjà les escaliers, alertés par le bruit. Baignant de la tête aux pieds dans son propre sang, l'homme souriait. Il souriait comme avait souri le premier. Il me sembla tout à coup retrouver l'amour du métier. Les années passées à voir briller la haine ou la peur dans l'œil des mourants paraissaient ne plus rien peser. Peut-être allais-je pouvoir continuer un peu plus longtemps après tout. Car si Dieu m'a confié la lourde tâche de faucher aux hommes leur dernier souffle, il m'a également permis de les libérer d'une vie de souffrances.
Chute très surprenante à laquelle je ne m'y attendais pas du tout et tu écris bien je trouve.
Chute et style intéressant.
Néanmoins, je trouve que la chute aurait pu être mieux formulé, étant un peu en dessous du reste du texte, je trouve.
C'est cool de prendre le temps de lire tout le monde, merci.
Je réécrirai peut-être la fin si d'autres ont la même impression.
Bien écrit, chute intéressante, pas trop convenue même si quelque chose m'a mit la puce à l'oreille à la moitié de ma lecture.
Allégoriser la mort de cette façon était intéressant, en tout cas. N'hésite pas à poster d'autres textes de cette facture sur le forum
J'ai lu et je ne sais pas trop quoi en penser... c'est pas mauvais mais j'ai pas été transporté, tout m'a paru sans relief. Le personnage semble trop déconnecté, comme absent de son propre récit. L'histoire est trop lisse et le style trop convenu.
La chute semble un peu arriver comme un cheveu sur la soupe même si on se doute à la moitié du texte qu'il ne s'agit pas de ce que l'on croit.
C'était intéressant cela dit et la lecture était pas désagréable.
Bonjour
Tout d'abord, si je peux me permettre, quelques petits soucis d'ordre orthographique :
- "Je ne me suis pas posée de questions" > posé
- "Je me suis mise à nue" > à nu
- "Sa respiration s'est faite accélérée" là il ne s'agit pas d'une faute mais je trouve la formulation un peu malheureuse alors que le verbe "s'accélérer" existe... Je suppose bien que c'est pour coller au "chaotique" d'après mais y'a peut-être une alternative un peu plus jolie à trouver
A part ça j'ai plutôt bien aimé et je trouve l'idée de départ vraiment bonne, avec le jeu sur le titre assez intéressant et bien trouvé notamment. C'est vrai qu'au niveau de la narration c'est peut-être un peu trop lisse et impersonnel vu la nature de ce qui est raconté. Maintenant ça doit pas non plus être facile d'investir un peu plus le texte à ce niveau-là sans que ça mette la puce à l'oreille aux lecteurs. Et là-dessus je rejoins partiellement les autres, je ne m'attendais pas forcément à cette chute-lá mais je m'attendais à ce qu'il y en ait une, du coup la fin reste sympa mais tombe à moitié à plat pour moi. Et la formulation même de la chute, comme disait Between je crois, me semble un peu abrupte et un peu moins bien écrite que le reste. Mais en retravaillant ne serait-ce qu'un tout petit peu la forme, je pense que ça peut carrément donner un texte vraiment bon, en tous cas j'aime beaucoup l'idée de base mais dans l'équilibre style/"âme" du texte/maintien de l'ambiguïté malgré tout y'a moyen de t'améliorer je crois-après, je ne dis pas que c'est facile...