Un weekend au Kochelsee

Les enfants se chamaillent derrière. Dita passe une main sur son front, préoccupée. Elle se contient pour ne pas se retourner et leur mettre une claque, à chacun. Max, lui, semble ne pas comprendre qu'elle est fatiguée, qu'elle n'en peut plus. Toute la semaine à courir, à tout organiser pour le weekend, à supporter le bureau et les remarques du patron par-dessus. C'est trop. Elle se tend, prêt à les remonter vertement. Il agrippe son épaule. Doux, mais ferme.
- Non, ne t'inquiète pas, murmure-t-il.
Il ne fait pas grand-chose, ses doigts se crispent sur la molette du volume. Le requiem de Verdi remonte dans les enceintes et couvre le tintamarre. Aussitôt, les trois enfants assis à l’arrière s'en plaignent. Max jette un œil par-dessus son siège.
- Et ce sera comme ça à chaque fois que vous recommencerez, d'accord ?
Toujours ce sourire, toujours cette douceur. Et toujours cette force en dessous, qui calme, qui contient. Dita songe qu'elle a bien fait de l'emmener avec eux ce weekend. Max ne connaissait pas encore les enfants, et cette virée en Suisse devenait une occasion parfaite pour nouer des liens. Depuis bientôt six mois qu'elle le fréquente, il devenait urgent de ne plus mentir. Elle repense en s'amusant à tous ces palais de stratagèmes, ces constructions désenchantées où la ruse l'emportait sur le coeur. Elle avait tellement peur que les deux partis ne s'entendent pas. Mais les enfants ont tout de suite adopté Max, et réciproquement. Même là, il ne s’énerve pas, et les trois boules de nerfs se sont calmées au simple son de sa voix.
Karl, le plus âgé, a repris son téléphone, et pianote distraitement, en repoussant une longue mèche blonde de ses yeux. Karin, la cadette, mâche du chewing-gum en regardant le paysage. Elle est bien, détendue, pour la première fois depuis des mois. A quand remontait son dernier sourire ? A avant… avant la date, évidement. Et Otto, le benjamin, qui gigote sur son rehausseur, des animaux en plastiques sur ses genoux, à imaginer des fabuleuses histoires. Lui n'a fait aucune histoire quand Max a été présenté. Pour lui, ce n'est toujours qu'un « ami de maman ». Mais les deux ados, eux, savent bien que leur mère ment très mal.
Dita remonte le pull inconsistant à large col qui couvre sa peau claire. Elle se pelotonne dedans, en regardant le paysage défiler. Combien de temps qu'elle n'a pas pu se décharger ainsi ? Se laisser guider par quelqu'un d'autres ? « Il y a si peu et si longtemps, » songe-t-elle avec amertume. Elle ne peut pas relâcher le souvenir de celui qu'elle a tant aimé, qu'elle a épousé, qui lui a donné trois enfants.
Elle ne peut pas enlever le souvenir du corps raide, sans vie, se balançant au bout d'une corde au fond d'une sinistre grange du village. Sigmund est un fantôme qui hante encore sa vie. Elle soupire, se retient. Si près et si loin, quand elle repense à cette vie d'avant. A reprendre l'ouvrage des « si j'avais su, si j'avais pu, et je n'ai rien vu », ritournelle qui glisse telle l'eau dans un moulin.
- Dita ?
Il la regarde. Dieu, qu'il est séduisant. Au visage de Sigmund s'oppose la vie de celui de Maximillian, grand blond aryen au profil parfait, au job parfait, et qui semblait ne rien faire d'autre qu'attendre sa venue. Lui qui a tout compris, tout de suite. Parfait, idéal. A la tristesse la plus profonde répond la joie la plus intense.
- Dita ? Répète-t-il. Tout va bien ?
- Excuse-moi… Je pensais à… à une affaire au boulot. Un cas un peu lourd qui me prend la tête.
- Ce n'est rien. Repose-toi un peu quand même… Tu es très fatiguée.
- Ouais, je sais Max. Je… Je vais essayer.
- C'est bien.
Ce même ton, ce même sourire qui rassure. Il a tout du gendre idéal. Comme Sig'. Pourquoi comparer les deux ? Ça n'a aucun sens… Parce que ses dernières vacances remontaient à deux ou trois ans en arrière, peut-être. Qu'elle était également partie dans les Alpes, pas loin, sur le Kochelsee, et qu'elle avait gardé de ce moment les derniers souvenirs heureux de ce mari qui, elle devait bien se l'avouer en secret, l'avait quitté. Qui avait tout quitté. Après ces vacances, justement, il semblait à Dita qu'il allait moins bien, Sig'. Plus triste, plus irritable. Qu'il ne dormait plus ?
N'y songe plus, c'est du passé, ma vieille. Il y a les enfants. Karl qui passe son Abitur dans deux mois. Il faudra voir pour la suite. Les études, le logement… Et Karin. Et puis Otto surtout. Il a encore besoin de toi. Pourquoi t'ennuyer avec un tel poids mort ? Aucun sens ma vieille, aucun sens…
Le Kochelsee, au détour d'un virage, se met à déployer ses eaux brillantes au soleil de la fin d'après-midi.
- Je crois qu'on arrive, lance Max aux enfants.
Seul Otto manifeste son contentement. Il lève les bras et crie, ce qui a pour effet d'énerver les deux ainés.
- L'union sacré semble perdue, s'amuse Max en se tendant vers Dita.
Elle ne peut que rire.
Oui, tout va bien. Ça faisait si longtemps…

J'ai lu, c'est agréable, on a bien tous les ressentis des persos, on compatit à la peine de Ditta. J'ai pas trop compris le choix de les faire Allemand, et finalement un peu déçut qu'il n'y ait pas de chute ou de fin

C'est un beau texte

Attends, il y aura une suite ...

Une chute avec des nazis ?