Qui peut m'aider pour trouver les axes?
Le flot grandissant des réfugiés entourait le camion, entravant sa marche. Par moments, il était impossible aux soldats d’avancer. Ils se croisaient les bras alors et attendaient qu’on voulût bien leur donner le passage. Hubert était assis à l’arrière du camion, ses jambes pendaient dans le vide. Un extraordinaire tumulte, une confusion d’idées et de passions l’agitaient, mais ce qui dominait dans son coeur, c’était le mépris qu’il éprouvait pour l’humanité tout entière. Ce sentiment était presque physique : pour la première fois de sa vie, quelques mois auparavant, des camarades l’avaient fait boire - ce goût horrible de fiel et de cendre que laisse dans la bouche le mauvais vin, il le retrouvait maintenant. Il avait été un si bon petit enfant ! Le monde à ses yeux était simple et beau, les hommes dignes de respect. Les hommes... un troupeau de bêtes sauvages et lâches. Ce René qui l’avait incité à la fuite, qui était resté ensuite se faire dorloter sous la couette, tandis que la France périssait... Ces gens qui refusaient aux réfugiés un verre d’eau, un lit, ceux qui faisaient payer les oeufs à prix d’or, ceux qui bourraient leur voiture de bagages, de paquets, de provisions, de meubles même, et qui répondaient à la femme mourant de fatigue, à des enfants venus à pied de Paris : « Vous ne pouvez pas monter... vous voyez bien qu’il n’y a pas de place... » Ces valises de cuir fauve et ces femmes peintes1 sur un camion plein d’officiers, tant d’égoïsme, de lâcheté, de cruauté féroce et vaine l’écoeurait. Et le plus affreux était qu’il ne pouvait ignorer ni les sacrifices, ni l’héroïsme, ni la bonté de certains. Philippe par exemple était un saint, ces soldats qui n’avaient ni mangé ni bu (l’officier d’approvisionnement parti le matin n’était pas revenu à temps) et qui allaient se battre pour une cause désespérée étaient des héros. Il y avait du courage, de l’abnégation, de l’amour parmi les hommes, mais cela même était effrayant.