La caresse glacée de l'eau profane parcourait le corps inerte de l'enfant du marais. Seul au milieu du limon, des sandres effrayants, sa complainte ne pouvait atteindre les tympans de quelque espoir venu du village le plus proche. Un dernier cri, un dernier soupir, le remous continuait, la noyade inévitable. Puis le passage poisseux d'une grémille contre la jambe de l'enfant, un sursaut. Parfois la boue sur laquelle il reposait se liquéfiait, alors il coulait, et dans sa bouche pénétraient les fleurs de boue flottant à la surface du marais. Puis le courant durcissait la fange et il remontait à la vue des crapauds, des hiboux qui sifflaient leurs plaintes sans émotion. La Mandragore pleurait de stridentes larmes qui éveillèrent les rats d'eau et leurs grincements narquois. Soudain, la faune se réunit autour de l'enfant, les sandres, les rats, crapauds et hiboux. La prière dura l'instant d'un battement du cœur las du petit ; soudain commença le festin. Les crocs des sandres saignèrent d'abord le flan, quand ceux des rats qui lui ouvraient le ventre couinaient leur victoire sur l'Homme. Les saules sanglotaient en jetant des feuilles mortes au milieu de l'eau noyée de boue. L'estomac grignoté, le cœur arrêté, l'espoir mort-né, l'enfant passa de l'autre côté du marais. Et les sandres, les rats, hiboux et crapauds chantèrent la mort de l'Homme. Fleurirent alors les peupliers, chutèrent les châtaignes, ainsi fût assaisonné le dernier repas du règne animal. De l'Homme, au travers d'un festin, le virus mortel se propagea à la faune. Rien ne survécut, ni les saules, ni les peupliers. Pour la première fois, la Terre était orpheline de vie. Ni sandre, ni rat, hibou ou crapaud ne chantèrent ce soir où la vie disparut, ce soir où l'univers devient orphelin de vie. Plus rien ne tourna dans le ciel et sur la Terre, et l'éternité commença à l'instant où plus rien ne fût.