INTRODUCTION

Musique d'ambiance : https://youtu.be/HDUYGNVx92k?t=20

Cinq années se sont écoulées depuis le début de la Troisième Guerre Nordique opposant d'un côté, l'Empereur Emhyr Var Emreis de Nilfgaard au Roi Radovid V de Redania. Ce conflit des plus meurtrier bouleversa profondément l'histoire, la géopolitique et la géographie de ce monde pour les années a venir. Des royaumes entiers furent rayés de la carte au profit de l'élargissement d'un des deux blocs, toujours plus avide de conquêtes et de richesses. Après deux ans de conflit harassant, l'invasion des Royaumes du Nord par les Escadrons Noirs se solda finalement par une nouvelle défaite et un traité de paix fût ratifié entre les dirigeants des deux nations dans l'ancienne ville libre de Novigrad. Les contestations de la noblesse Nilfgaardienne de plus en plus fréquentes et virulentes à l'encontre de la politique menée dans l'Empire, ainsi que les différentes clauses du pacte clairement en défaveur du perdant n'ont fait qu'attiser les flammes de la révolte. L'assassinat de l'Empereur par des conspirateurs n'était donc une surprise pour personne.

Moorvran Voorhis, général de haut rang au sein de l'armée Nilfgaardienne, humilié par cette capitulation désastreuse et pris par la haine suite à la trahison des comploteurs, disposa des rennes du royaume avec l'approbation totale du peuple pour ramener la paix et l'ordre dans cet Empire en proie aux chaos. Par la suite, un véritable régime de terreur s'instaura où la place de l'Armée et du Travail était considéré comme primordial pour sortir le pays de cette mauvaise passe. Tous les opposants politique ont été jugés et exécutés sommairement pour "atteinte à l'intégrité de l'État", désormais plus aucune vague de résistance ne pouvait voir le jour. En seulement deux années, Voorhis réussit à redonner à Nilfgaard sa puissance militaire et économique d'antan, mais à quel prix ?

Au Nord de la Iaruga, les tensions raciales sont toujours aussi vives entre Humains et Non-Humains. La politique de Radovid V le Sévère visant à exterminer toutes les races suspectes (Elfes, Nains, Doppler, ...) et autres utilisateurs de magie s'intensifiait d'année en année. De nombreux camps de travaux forcés furent érigés, pour certain de la taille d'une ville, afin d'y regrouper les "ennemis de la Redania". La seul issue possible pour leurs occupants étant la mort. Par manque de nouveau boucs-émissaire, les sorceleurs semblent être tout désigné pour devenir les nouvelles victimes des lubies de ce fou dangereux. Cependant, les plans prévues par le roi pour l'avenir de son Royaume sont mis en attente par un danger grandissant venant du Sud : Nilfgaard. Craignant à tout instant de voir son ennemi de toujours redoublé d'effort et le vaincre, Radovid V proclama la conscription de tout les hommes en âge de combattre et la nationalisation de toutes les Académies de Redania au service de la recherche militaire dans le but réduire à néant cette menace. Une nouvelle page de l'Histoire venait de s'ouvrir, une course à l'armement venaient de débuter.

Alors qu'une nouvelle guerre semblait inévitable, des rumeurs surprenantes parviennent aux oreilles des deux protagonistes les décourageant, l'un comme l'autre, de déclarer un conflit ouvert. La paix serait-elle donc enfin possible ? Ou ne serait-ce qu'une diversion leur permettant d'échafauder un nouveau plan ?

Chapitre 1 : Du Sang et des Larmes

Musique d'ambiance : https://www.youtube.com/watch?v=e6uVeCzUhw0

Birke 1277

L'hiver s'achève et le festival de l'équinoxe de printemps est célébré du Nord au Sud de la Iaruga pour annoncer le début des récoltes.

La forteresse de Kaer Gerden situé dans les montagnes Solitaires, entre la ville de Dorian et la forêt de Brokilone, est entouré par la brume qui lui donnent un air sinistre. La rosé du matin vient tremper les pierres recouverte par la mousse de ce majestueux et impressionnant édifice. La légende locale raconte que ces lieux sont hantés par les esprits des anciens propriétaires, sauvagement assassiné par un groupe de pillards en maraude. C'était le cas avant que les derniers sorceleurs de l'École du Chat ne s'en occupent et investissent les lieux pour y installer leur repaire. Quoi de mieux qu'une histoire de fantômes pour éloigner les fouineurs ?

Des bruits sourds se font entendre dans l'enceinte de la cour intérieur et résonnent sur les parois des montagnes, créant un espèce d'écho dans la vallée. Six enfants agés d'environ sept à huit ans s'entraînent aux rudiments du combat à l'aide d'épées en bois et de mannequins. Cela fait maintenant plusieurs mois que chacune de vos journées débutent par une séance d'entraînement intensif avec le maître-sorceleur Noldrak. A votre grand étonnement, vous vous rendez compte que votre professeur n'est toujours pas arrivé. Vous profitez de cet instant de quiétude pour discuter un peu et mieux vous connaître. Bizarrement, les trois autres garçons de votre formation ne souhaite pas vous rejoindre et continue leur entraînement acharné.

                { Sera Eckhart }

        La jeune fille se focalisait sur le mannequin et les coups qu’elle devait lui porter, ou tout du moins elle essayait. Elle était constamment distraite par le paysage autour d’elle, et elle s’émerveillait de la nature qui l’entourait, même après plusieurs mois passés dans ce même endroit. La neige disparaissait, laissait place à des décors plus verdoyants et colorés par de la faune et de la flore qui avaient, elles aussi, attendu l’équinoxe du printemps.
        Elle s’était encore perdue dans ses pensées. Peste ! Si le maître sorceleur avait été témoin de cet égarement, elle se serait faite taper sur les doigts à coup sûr, dans le meilleur des cas. Mais Noldrak n’était pas encore présent, ce matin. La jeune fille reporta son esprit sur le mannequin de paille, qui faisait bien deux pieds de plus qu’elle et qui avait plus l’apparence d’un affreux épouvantail spécialement créé pour instaurer la peur chez les jeunes adeptes. Elle serra son épée en bois des deux mains, serra les dents et fronça les sourcils, et mis toute son énergie dans un coup sur le flanc gauche de sa cible immobile, laquelle frémit à peine. La jeune fille jeta un coup d’œil à ses voisins et fut secrètement ravie de voir que la plupart n’arrivaient qu’au même pauvre résultat qu’elle. Noldrak n’arrivait toujours pas. Elle décida de continuer dans sa lancée. Ainsi, si le maître sorceleur venait à finalement arriver, il pourrait constater qu’elle n’avait pas besoin de lui pour s’entraîner, ou au moins s’acharner en essayant des manœuvres trop compliquées pour elle et ses membres frêles.
        Elle avait toujours aimé les entraînement au combat, en particulier ceux à l’épée en bois. Le mélange savant entre technique, force et rapidité l’avait fasciné depuis le premier jour. Elle était la plus attentive quand le maître à danser expliquait les mouvements très précis à effectuer quand on portait un coup ou que l’on se mettait en garde. La posture, la tenue, la position des pieds, des mains, du dos, de la tête, tout cela pour créer un mouvement fluide et puissant, presque artistique. Pour la petite fille de sept ans qu’était Sera Eckhart, manier l’épée était un art qu’elle voulait maîtriser.
        Elle effectua un dernier moulinet de son bâton en bois, plus méthodique que le précédent et porta le coup sur ce qu’elle imagina être le cou du mannequin. Cette fois-ci, le bois trembla et de la paille tomba sur le sol de pierre. Elle était elle aussi tombée par terre, emportée par son élan, mais elle souriait, fière d’elle et de ce qu’elle venait d’accomplir. Elle se releva et dégagea les mèches auburn qui tombaient devant ses yeux bruns. Elle ignora le regard de son voisin qui l’avait vue tomber et ramassa son bâton. Elle était essoufflée et aurait bien pris une pause. Elle regarda autour d’elle. Noldrak n’était pas là.
        Ça suffit. Noldrak n’a pas pour habitude de ne pas assister aux entraînements. Quelque chose de curieux doit être en train de se passer. Il faut en parler aux autres.
        Elle se retourna vers son voisin, celui qui l’avait vu tomber.
        ─ C’est étrange, l’absence de sieur Noldrak, non ? Il ne manque jamais un entraînement avec nous. Il lui est peut-être arrivé quelque chose...

Dominant d'une tête l'assistance, il était pourtant le plus jeune. A six ans, il était aussi pourtant un de ceux étant là depuis le plus longtemps. Deux années qu'il apprenait les bases scolaires et l'art des sorceleurs. Dalhender connaissait très mal son propre passé, qui d'ailleurs se réduisait à trois noms : Père, Mère et Hardin son village. Ses trois noms ne signifiaient plus grand chose par ailleurs.
Des autre élèves de l'assistance, il ne connaissait pas grand chose et sa timidité naturelle n'arrangeait rien. Si les autres avait du mal avec leur mannequin, lui, réussissait mieux. Arrêtant son exercice il recoiffa ses cheveux châtains clairs et il jeta un coup d'oeil circulaire de son regard vert-bleues. Il remarqua que les autres avait plus de mal, excepté une fille aux cheveux rougeâtres et un autre à l'air de garçon des rues. L'absence de Noldrak sembla jeté un froid mais il n'en avait cure. Noldrak s'absentait de temps en temps quand une affaire importante avait lieu dans la forteresse. Dalhender se reconcentra sur le mannequin. Frappant au coeur d'une force qu'il ne soupçonnait pas le mannequin vibra fortement. L'épée lui glissa dans des doigts et tomba sur le sol avec un vibrement sourd. La poignée de son arme lui blessa la paume en projetant quelques gouttelettes de sang à terre. Les autres élèves déjà perturbé se retournèrent comme un seul homme vers lui. Le rouge monta à ses joues naturellement rosées. Il ramassa sa lame en vitesse et se remit à son exercice. C'était décidément une journée particulière.

Un éclat de rire s'élève derrière votre dos. A l'unisson, vous vous retournez et apercevez l'un des trois autres garçons du groupe se moquant de votre prestation à l'épée. Cette bouille d'ange aux cheveux blonds ébouriffés et aux yeux d'un bleu azur se nomme Olle. Originaire des îles Skellige, il est considéré par vos professeurs comme étant l'un, si ce n'est le meilleur de votre formation. Son hilarité prenant fin, il s'adresse à vous de son air hautain, propre à lui :

- Franchement, je vous remercie de m'avoir fait autant rire en cette fraîche matinée de printemps. Les monstres n'auront qu'à bien se tenir face à vous, bande de bras cassés ! Si je peux vous donner un conseil : partez tant qu'il en est encore temps. Vous n'êtes pas fait pour devenir des sorceleurs. Regardez moi et peut être que vous apprendrez deux ou trois trucs sur comment manier correctement une épée.

Dans un enchaînement presque chorégraphique, Olle vous montre à la perfection les différentes techniques de combat qu'il a appris : estoc, pirouette, parade ... Le mannequin en bois manque de se décomposer en plusieurs morceaux sous la précision et la puissance des coups qui lui ont été portés. Essoufflé par le spectacle qu'il vient d'offrir, il se retourne vers vous et rétorque :

- Un volontaire pour m'affronter ?

Cela c'était passé à une vitesse faramineuse, si la jeune fille s'était fait dominée elle avait repris le dessus et avait fait mordre la poussière au garçon blond. Dorénavant elle haletait tandis qu'il était tombé dans les pommes voire pire...
S'il avait secrètement espérait une victoire de la fille au cheveux rougeâtres, maintenant il trouvait qu'elle y était allé un peu fort. Une léthargie commune s'était emparée de tout le monde. Pour briser ce phénomène il décida de s'approcher de l'insulaire, il effectua ce qu'il avait appris dans les quelques cours d'anatomie.
Ayant trouvait ces cours fortement intéressant, il se rappelait que pour savoir si un animal était mort il fallait voir si son sang circulait toujours. De ce fait il se baissa et pris le premier endroit au l'on était sensé pouvoir vérifier la circulation sanguine: le poignée.
Mais ses cours ne lui furent pas utile. A peine sa main avait effleuré le poignée du blondin que le garçon ouvrit les yeux et attrapa le propre poignée de Dalhender.
Quelle vitalité !, pensa t'il.
S'il s'était réveillé, s'était à peu près tout ce qu'il était en mesure de faire. Ses yeux bleus était vitreux et sa bouche ouverte ne laissait pas sortir de son. De plus ses joues avait pris la même couleur que le sang qui lui englué les cheveux.
Plus que se faire battre, il s'était fait battre par une fille et ça il ne le pardonnerait sûrement pas...

Un silence de mort venait de s'abattre sur l'ancienne forteresse de Kaer Gerden après l'affrontement violent qui s'était déroulé quelques minutes plus tôt entre les deux enfants. Personne n'aurait pu imaginer que cette petite gamine aux cheveux cuivrés puisse mettre à terre ce grand et fier insulaire de Skellige, considéré comme le meilleur de votre formation. Inconscient suite au choc qu'il avait subit au crâne, Dalhender s'empressa de le rejoindre afin de vérifier s'il était toujours en vie. Ses quelques notions en anatomie ne lui servirent pas à grand-chose. En un battement de cils, Olle se réveilla brusquement et saisi d'un geste rapide le poignée de la personne en face de lui. Dal, surpris par ce geste, tomba à la renverse et s'éloigna précipitamment de la victime. Le visage tuméfié et la bouche remplit de son propre sang, Olle n'arrivait plus à se relever, ni à communiquer normalement.

Soudain, une voix rauque et forte vient percer le calme ambiant, c'est Noldrak. Agé d'une cinquantaine d'année, mais grâce aux mutations qu'il avait subit en paraissait seulement la moitié, il s'approche furieux vers votre groupe avec sa barbe brune et son crâne entièrement rasé. S'apercevant qu'aucun élève ne s'entraîne au combat, il s'exclame :

─ Qu'est-ce qu'il se passe ici ?! Pourquoi je ne vois personne entrain de s'exercer sur les ... Oh merde !

Le sorceleur s'agenouille aux côtés de l'enfant blessé et commence à l'examiner. Quelques secondes plus tard, il relève la tête dans votre direction et vous demande d'un ton sec :

─ Qui a fait cela ?! Parlez ! Où vous irez tous croupir au cachot pendant deux semaines !

L'un des deux autres enfants du groupe, impressionné par la menace que venait de proférer Noldrak, pointa son doigt en direction de Sera.

─ C'est ... elle, dit-il d'une voix tremblante. Elle ... elle l'a attaqué dans le dos alors que ...

─ Silence ! J'en assez entendu ! rétorqua t-il d'une intonation sévère.

D'un simple regard destiné à la jeune fille, le chasseur de monstre exprima toute la haine et la déception qui le submergeait suite à l'action de celle-ci. Son attention se posa ensuite sur l'une des plus hautes tours de la forteresse. Vous faites de même et y apercevez un homme, les bras croisés, vous observant à partir de son balcon. Bizarrement, vous ne l'aviez jamais aperçu auparavant. Son visage marqué d'une cicatrice, partant en diagonale du haut de son front jusqu'à son oeil droit, vous est inconnu. Il effectue un petit hochement de tête à l'attention de votre maître d'arme qui s'exécute en dégainant son épée en acier d'un des deux fourreaux accrochés à son dos et tend le pommeau en direction de Sera.

─ Termine ce que tu viens de commencer, lui dit-il sur un ton monotone.

        Sera sentait les regards qui pesaient sur elle. Elle n’osait plus détacher le sien du crâne de Olle, tâchant le sol du liquide rougeâtre effrayant. Le très grand garçon s’était approché du corps inconscient et avait effectué quelque manœuvre que Sera n’avait pas pu observer. Une seconde plus tard, Olle reprenait connaissance, ce qui fit sursauter tout le monde, Sera y comprise. Il n’eut pas le temps de se relever cependant, car Noldrak arrivait. Enfin. Les oreilles de Sera sifflaient encore un peu, elle n’entendit pas les exclamations du maître sorceleur à leur encontre à tous. Quand elle daigna lever la tête vers le sorceleur chauve à la barbe hirsute, c’était pour apercevoir l’un des compères de Olle la pointer du doigt en tremblotant. Noldrak cria une seconde fois – ou une troisième fois, Sera ne comptais plus. Il leva ensuite la tête vers une des tour de Kaer Gerden. L’on pouvait y voir un balcon et, sur ce balcon, ce curieux personnage inconnu à la jeune fille qui hocha la tête. Sera entendit alors le bruit caractéristique de l’acier frottant le cuir, ce qui lui donna un frisson étrange, comme une vieille sensation qui refaisait surface. Quelqu’un dégainait une véritable épée. Le temps de tourner la tête vers l’origine du son et elle découvrit le pommeau de l’épée en acier de Noldrak tendu vers elle.
        ─ Termine ce que tu viens de commencer.
        Sera n’osait pas regarder le maître sorceleur dans les yeux. Elle ignorait ce qu’elle allait y trouver et craignait que ce soit un sérieux implacable. Mais elle savait qu’elle allait devoir prendre cette poignée en main, elle venait de recevoir un ordre. Avec toute l’habileté dont elle était capable à ce moment précis, elle empoigna l’épée à une seule main. Noldrak lâcha son emprise sur la lame, laquelle tomba immédiatement au sol. L’arme faisait deux fois la taille de Sera, et pour ce qui était du poids, elle aurait pu affirmer qu’elle-même était moins lourde que ce qu’elle tenait entre les mains. Elle se saisit de la poignée des deux mains et souleva, bon gré mal gré, la lame au-dessus de sa tête. Elle tremblait, ses yeux s’embuèrent à cause de quelques larmes qui commençaient à arriver au bord de ses yeux. Elle resta dans cette douloureuse position pendant des plusieurs secondes, elle fixait Olle, qui regardait dans la vide, la bouche entrouverte. Il ne bougerait pas, ça allait être facile.
        J’ai juste à abattre la lame. Ça n’est pas bien compliqué, je dois juste la faire tomber droit devant moi. Elle transpercera Olle, peut-être sera-t-il coupé en deux. Je n’aurais rien à faire, la gravité fera tout le travail. Ça se passera très vite, un seul coup bien placé et je pourrais retourner à l’entrainement. J’ai juste à abattre la lame...
        Elle abattit la lame.
        Un autre bruit de fracas résonna dans Kaer Gerden. Pas celui de l’acier contre la chair. Celui de l’acier contre la roche. L’arme lui avait échappé des mains, Sera tremblait de plus belle mais essayer de se contenir, de sauver les apparences. À quoi diable pensait-elle pendant qu’elle levait la lame au ciel ? Elle était devenue folle le temps d’un instant, un instant où elle pensait que tuer un élève de l’école résoudrait ses problèmes et lui garantirait une tape sur l’épaule de la part de Noldrak. Évidemment qu’elle n’avait pas pu faire une telle chose. Personne de sensé ne l’aurait pu. Sera se massa les poignets, endoloris à cause de la charge qu’ils avaient dû supporter, avant d’essuyer les larmes qui coulaient sur ses joues. En cet instant, elle n’attendait plus qu’une évidence : que Noldrak lui demande de rentrer chez elle pour avoir échoué à cette épreuve. Elle attendait, le menton haut, tremblante de la tête au pied, des joues rosées par la rage et les poings serrés, elle attendait sa sentence pour avoir désobéi.

Il serra les dents, la fille devait être face à dilemme terrible auquel personne n'aimerait être confronté. Il avait déjà vu quelques cas se rapprochant du traitement que Noldrak lui avait réservée mais rien de similaire. Souvent il réprimandait les élèves par des exercices physiques ou des coups mais jamais par ça. Dalhender la voyait qui hésitait les larmes aux yeux, il aurait bien voulu faire quelque chose pour lui venir en aide. Mais ce révoltait face au maître d'arme était bien trop pour lui qui avait souvent du mal à ne serait ce qu'abordé un autre enfant. Enfin il la vit qui levait l'épée au dessus de sa tête avec difficulté .
C'est bon, elle va le faire, tout va bien maintenant calme toi…
Ses paumes était moites et il tremblait, il se souvenait avoir déjà vu une scène similaire mais pas moyen de se rappeler laquelle cela pouvait être. La cour était alors plongé dans un silence de mort où le moindre mouvement semblait anormal. Ce silence malheureusement lui permit d'entendre parfaitement le son de l'épée de la fille tombant au sol avec fracas. Le peu de soulagement de l'hypothèse de voir la scène s'achevait venait de s'évanouir.
A ce moment précis où le temps semblait s’arrêter, il se rappela pourquoi il avait se sentiment de déjà-vu. Il se rappela du bruit de l'acier non contre la pierre mais cette fois ci contre la chair et surtout contre d'autre acier. Ce son absorba toute ses autres pensées, il vacillait et les souvenirs allait à lui par flash successif. Il vit des gens au sol et des maisons qui brûlait, il entendit des cris et des pleurs mais surtout il vit quelque chose qui l'étonna et le remplit d’incompréhension : il vit Noldrak.

Suite au refus de Sera d'exécuter son ordre direct, Noldrak dévisage de son regard glacial cette dernière. Aucune personne depuis ce jour, et de surcroît un enfant, ne lui avait tenu tête de cette façon. La colère commence à l'envahir, en témoigne ses poings et son visage se crispant d'un seul coup. Soudain sur un ton d'exaspération, le sorceleur s'exclame :

─ C'est bien ce que je pensais ...

D'une rapidité déconcertante, le tueur de monstre réussit d'un léger coup de pied à faire virevolter son épée en l'air et à saisir la poignée en pleine volée. D'un mouvement net et précis, la lame termine sa course sur le cou d'Olle et vient séparer sa tête du reste de son corps. Une gerbe de sang en jaillit, se répandant ainsi sur le sol et les différents membres de l'assemblée. Tous les enfants sont sous le choc et ne laisse échapper aucun bruit de leurs bouches grandes ouvertes. Le sang de Sera ruisselant de son crâne, suite à la blessure subies lors de son précédent affrontement, se mélange à celui de son ancien adversaire.

A l'aide d'un vieux chiffon sale, Noldrak nettoie les quelques résidus d'hémoglobine encore présents sur son épée en acier et la range dans son fourreau en cuir suspendu à l'arrière de son dos. De sa carrure impressionnante, il s'agenouille au niveau de la fillette, croise son regard livide et lui dit d'un calme olympien :

─ Règle numéro une : Un sorceleur à terre est un sorceleur mort. Tu ferais mieux de t'en souvenir pour la suite, petite. La séance d'entraînement est finis pour aujourd'hui, vous autres !

Sur ces paroles, le sorceleur vous abandonne devant cette scène macabre du corps inanimé d'Olle gisant dans une mare de sang sur le sol froid et dur de la forteresse de Kaer Gerden. Le mystérieux individus au balcon affiche un rictus de satisfaction à la vue de ce spectacle et se marmonne à lui même :

─ Votre formation vient tout juste de commencer.

***

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Feainn 1280

En cette chaude journée d'été, l'air est particulièrement lourd et chacune de vos respirations se fait de plus en plus difficile. Chaque pas que vous effectuez est un véritable supplice, accentué par les forts rayons de soleil venant se poser sur votre peau. Cela fait maintenant plusieurs semaines que votre petit groupe dirigé par Noldrak se fraye un chemin parmi les Montagnes Solitaires dans le but de rejoindre votre prochaine épreuve : le Souffroir. L'entraînement physique harassant que vous avez subies durant ces trois longues années va enfin vous être utile. Malgré la fatigue et les sacs de plusieurs kilos de matériel sur votre dos , vous continuez à avancer sous les invectives de votre maître d'armes jusqu'à atteindre la Forêt de Brokilone. Haut lieu de résistance face à la présence humaine, cette étendu de nature primitive est défendu avec férocité par les dryades. Ces nymphes de la forêt décrient comme de jeunes et belles femmes nues très délicates et discrètes peuvent également se révéler de farouche guerrières à l'arc dès lors que leurs frontières sont menacées par des forces hostiles. Aucune armée au monde n'a su domestiquer cette terre sauvage et les quelques hommes courageux qui ont décidés d'y entrer ont été abattus sans sommation.

Arrivé devant ce No Man's Land verdoyant, le sorceleur vous indique d'un geste de la main de vous reposer quelques instants, le temps d'examiner les lieux d'un peu plus près. Exténué, vous vous laissez tous tomber à l'unisson sur l'herbe fraîche et inhalez les différentes senteurs vous parvenant jusqu'aux narines. L'odeur des pommiers en fleurs, les feuilles d'érable ou encore la brise caressant délicatement vos visage sont des déclencheurs de souvenirs heureux pour certains d'entre vous. Des souvenirs lointains , très lointains qui au fur et à mesure des années commencent à s'effacer de votre mémoire et ne deviennent plus que des "sensations". Malheureusement pour vous, ce moment de quiétude est perturbé quelques minutes plus tard par la voix puissante de maître Noldrak.

─ Tout le monde debout ! La pause est terminé !

Comme un seul homme, le groupe d'enfant se relève précipitamment sous le coup de l'adrénaline et s'aligne à la perfection devant l'origine du bruit. Le tueur de monstre professionnel s'approche de vous et s'exclame :

─ Voici venu le moment de me montrer ce que vous valez réellement ! De me prouvez que ces innombrables jours d'entraînement au combat ne vous ont pas servis à rien ! Aujourd'hui, vous vous apprêtez à passer la terrible Épreuve du Souffroir. Votre agilité, votre force ainsi que votre intelligence y seront mis à rude épreuve. Certains d'entre vous, je le sais déjà, ne ressortiront pas vivant de ce dédale de pièges et d'obstacles naturel plus dangereux les uns que les autres. Seul les plus fort survivront, et c'est particulièrement ce que nous recherchons ! A l'intérieur de cette jungle hostile la faiblesse, la pitié ou l'abandon n'existe pas et se traduise le plus souvent par une mort lente et douloureuse. Pour vous montrez digne de continuer la formation, vous devrez ainsi résister aux différentes menaces qui pèseront sur votre chemin et, en guise de preuve, récupérer la plante magique connu sous le nom de conynhaela à Duen Canell, au coeur de la forêt. Bien entendu, les dryades ne vous laisseront pas approcher de l'Arbre Sacré aussi facilement. Afin de clôturer cette épreuve, il est impératif que vous reveniez à cet endroit le plus vite possible avant la tombée de la nuit, sous peine d'y rester prisonnier pour toujours. Votre épée est l'unique matériel autorisé à être porter durant cette épreuve.

Soudain, un court silence s'installe. Le sorceleur vous fixe du regard chacun un par un avant de finalement reprendre :

─ Qu'est-ce que vous attendez ? Le temps presse !

        La voix de Noldrak n’eut pas le temps de résonner que les cinq enfants partaient déjà vers l’inconnu, sans guide, sans carte, avec comme seule information le fait qu’ils devaient se diriger vers le centre de la forêt. Le groupe d’adolescents s’arrêta très vite afin de se reposer mais aussi et surtout de se consulter et de décider de la meilleure stratégie à adopter pour trouver la conynhaela.
        Sera jeta le bâton avec lequel elle jouait à dessiner des cercles dans la terre et se leva et s’étirant. Elle voulait être au-dessus de toutes les têtes, montrer qu’elle était confiante pour ce qui aller arriver dans cette forêt. Elle ne l’était pas, c’était évident. Mais depuis la mort de Olle, elle s’était efforcée de paraître plus mature que son physique le laissait supposer. Elle s’était endurcie, elle avait redoublé d’efforts le lendemain de cet événement qui lui avait valu d’être regardée de travers par ses camardes. Elle ne supportait pas une telle chose. C’était comme si elle voulait absolument être le centre d’attention, elle voulait toujours mener les autres, tout en leur prouvant qu’elle savait se battre – ce qu’elle savait faire, aucun doute n’était plus permis à ce sujet. C’était dans sa nature, ou peut-être était-ce un sentiment nouveau depuis qu’on l’entraînait à devenir une chasseuse de monstres légendaires.
        ─ Je propose, dit-elle en haussant la voix pour que tout le monde s’arrête de parler et l’écoute, de passer en première. Je suis la plus habile au combat à l’épée, on en est tous conscient. (Elle se tourna vers Ulric et Sola qui fronçaient tous les deux les sourcils.) Vous n’avez qu’a décider lequel d’entre vous passera en dernier. Et ne faites pas cette tête, si vous aviez écouté les leçons de stratégie, vous sauriez que le dernier de file est tout aussi important que le premier, voir même plus. Bref je vous laisse décider pour les autres, mais faites vite. On aura du mal à voir le soir tomber sous ces arbres qui cachent le ciel.
        Les apprentis sorceleurs ne mirent pas longtemps à se mettre en file indienne. Sera menait la troupe, suivie de Régis, qui n’était pas des plus confiants, puis de Dalhender et Ulric et enfin Sola, qui fermait la marche. Les adolescents commencèrent une discussion sur les différentes techniques de survie en milieu hostile. Dalhender expliquait par dessus l’épaule de Régis les différentes plantes médicinales trouvables dans cette région à Sera, qui écoutait d’une oreille semi-attentive, très occupée à scruter le moindre bruit qui pourrait paraître inhabituel. Sola et Ulric discutaient eux aussi, mais Sera n’était pas à portée d’écoute. Soudain, alors que le chemin s’élargissait et les laissait plus libres de leurs mouvements, Ulric s’avança devant Sera en lui lançant un regard de défi.
        ─ Qu’est-ce que tu fais ? demanda Sera d’un ton agressif. Tu es censé protéger nos arrières.
        ─ Sola peut très bien se charger de ça lui-même. J’ai envie d’être devant, voilà tout. Tu n’as pas d’ordre à me donner de toute manière, dégage !
        ─ Écoute-moi bien, sombre crétin, personne n’a osé prendre les rênes du groupe quand Noldrak nous a laissé dans cette forêt. Depuis qu’on est là tu n’a rien fait d’autre que te plaindre et maintenant tu veux perturber notre groupe ? (Elle fit un pas vers lui en le pointant du doigt.) J’ai mis Olle à terre. Reste derrière moi si tu ne veux pas finir comme lui.
        Ulric eut un mouvement de recul et manqua de se prendre les pieds dans des racines. Il ne se défila pas pour autant et regarda Sera de haut, elle qui était déjà très petite même pour son âge. Il se tourna ensuite vers les autres.
        ─ Vous comptez réellement confier votre vie à celle qui a condamné à mort Olle ? Qui nous dit qu’elle ne tentera pas de nous tuer dans ce dédale de pièges tous plus dangereux les uns que les autres ? Je ne fais et ne lui ferais jamais confiance pour assurer ma sécurité. Qui est de mon avis ?
        Un silence plomba l’assemblée, ce qui ne manqua pas de faire jubiler intérieurement Sera. Le Nilfgaardien resta quelques secondes devant elle, attendant une réponse des autres, puis finis par rejoindre Sola en queue de file, en marmonnant des insultes en une langue inconnue à la jeune fille. À l’inverse de son rival, elle n’eut pas besoin de prononcer un seul mot pour faire agir les autres. Elle se contenta d’avancer, et les autres suivirent.
        La lumière se faisait rare. Ils avaient marché toute la journée sans trouver une seule trace de cette maudite plante recherchée. Le chemin ne gagnait pas en largeur, et Sera n’aurait pu dire si c’était le manque de luminosité qui le rendait encore plus étroit où s’il n’y avait vraiment plus de place que pour un seul pied. Après quelques minutes, Sera se stoppa net. Ses compagnons l’imitèrent, ils ne disaient rien. La jeune fille tendit l’oreille pour confirmer ce qu’elle entendait : un bruissement continu qui ressemblait à un courant d’eau sur de la roche. Sera avança prudemment. Elle ne s’était pas beaucoup documentée sur la faune en forêt, mais elle en savait assez pour dire que là où il y avait de l’eau, il y avait généralement de la vie. Elle espérait seulement que cette vie soit amicale.
        Il s’agissait bel et bien d’un cours d’eau assez large dont le courant était relativement violent. Sera remarqua un tronc assez grand pour relier les deux rives qui semblait résister. Sola manifesta son envie de traverser en marchant sur ce pont de fortune, notifiant la tombée de la nuit qui ne saurait tarder. La première réaction de Sera allait dans le sens de Sola, elle ne voulait pas perdre un instant maintenant que le jour commençait à tomber. Cependant Dalhender s’interposa et remis en cause cette décision. Il précisa qu’il n’était pas sûr de pouvoir passer sur ce tronc qui était loin de leur rendre la tâche facile, et mis en cause sa maladresse. Sera se ravisa et rejoignit l’avis de Dalhender, elle portait une plus grande importance à la sécurité de chacun qu’a la réussite de la mission. Sola n’était pas de cet avis et s’était déjà avancé sur le tronc instable, ignorant Dalhender et Sera. Cette dernière s’opposa fortement à cette décision et arriva finalement à raisonner le jeune garçon, qui resta cependant renfrogné et affichait une moue désagréable.

Sola, après avoir fortement appuyé l’idée de traverser la rivière grâce au pont de fortune que constituait le tronc d’arbre, s’était vu ignoré et décida de suivre à contrecœur le reste du groupe. Le jeune garçon n’était pas borné au point de rester seul dans cette forêt. Pendant le trajet, il observa longuement Sera d’un œil mauvais, mais toujours discret. Pas assez discret cependant car Ulric, qui n’avait jamais caché ses nombreux désaccord avec la jeune fille, s’approcha de Sola en vérifiant qu’ils ne pouvaient pas être entendus.

─ Je suppose que tu commences aussi à en avoir marre de cette petite gamine prétentieuse qui prend toutes les décisions pour l’ensemble du groupe. Pourquoi diable devrions-nous toujours l’écouter au doigt et à l’œil ? De par quelle autorité elle se permet de nous donner des ordres ? Nous pouvons tout aussi bien prendre nos propres choix et permettre aux autres de réussir cette épreuve.

Sola voyait où voulait le mener le Nilfgaardien mais resta taciturne, comme à son habitude. L’autorité de Sera lui déplaisait, c’était vrai, mais les crises de jalousie d’Ulric ne valaient pas vraiment mieux selon lui. Cependant il n’objecta pas et laissa le garçon continuer son discours de révolte.

─ Que dirais-tu de nous entraider pour saper quelque peu l’autorité de Sera ? reprit Ulric. Disons que si, par un malheureux hasard, elle devait avoir besoin de notre aide, nous ne serions pas disponibles pour répondre à sa demande. Nous resterions en retrait, si tu vois ce que je veux dire. Alors, marché conclu ?

Sola observa la main tendue d’Ulric en sa direction. Le regard du Nilfgaardien était animé d’une intention mauvaise, mais justifiée. Sola pouvait comprendre les intentions qui le poussait à mettre la vie de Sera en danger. Après tout, elle n’était qu’une petite peste qui avait eu un coup de chance, et ce il y a plusieurs années déjà. Aujourd’hui encore, elle pensait certainement qu’avoir participé à l’exécution d’un apprenti sorceleur lui permettait de se croire au-dessus de tout le monde. Sola se mordit la joue en s’imaginant un monde où c’était lui qui avait défié et éliminé Olle. Il n’aurait pas abusé de cet événement pour se croire tout permis et avoir le destin du groupe entre ses mains. Non, décidément, Sera n’était pas faite pour leur dicter leurs actions, où du moins elle ne méritait pas de le faire. Ulric non plus d’ailleurs, c’était un jeune énergumène entièrement animé par la jalousie. Mais Sola pensa qu’il était temps pour la jeune effrontée de passer le flambeau, quitte à lui forcer la main.

─ Marché conclu, fit-il en serrant la main d’Ulric.

        Sera menait toujours le groupe, et elle aimait ça, elle ne pouvait pas dire le contraire. Même si quelques uns des futurs sorceleurs n’approuvaient pas ce poste autoproclamé, elle ne pouvait pas trouver mieux qu’elle-même pour diriger le groupe. Sola traînait le pas et fut rejoins par Ulric, avec lequel il eut une discussion que Sera ne pouvait pas entendre. Elle faisait mine d’observer régulièrement les environs, mais son principal objectif était de surveiller ces deux-là, qui venaient justement de se serrer la main comme à la fin d’un accord, ce qui ne présageait rien de bon. Sera espérait juste qu’ils ne mettraient pas la sécurité groupe en danger ou bien qu’ils compromettraient la mission – ce qui reviendrait au même auprès de Noldrak. Ce fut Régis qui tira Sera de ses pensées.
        ─ Regardez ! s’exclama-t-il en pointant le cours d’eau de son index. Nous y sommes arrivés !
Sera suivit la trajectoire du doigt de Régis et découvrit un gué qui séparait la rivière en deux, beaucoup plus stable que le tronc d’arbre qui devait maintenant déjà être brisé en mille morceaux par le courant.
        ─ Quelle chance ! fit Sera en se retournant vers les membres restant de la troupe. Nous allons enfin passer ce ruisseau de malheur et avancer dans la bonne direction... Qu’y a-t-il Régis ?
        Celui qui avait découvert le gué quelques instants plus tôt regretta d’avoir crié et se plaqua une main contre sa bouche. Il leva une nouvelle fois son doigt cette fois ci vers une masse de poils et de muscle brune qui frappait l’eau de toutes ses forces, projetant des éclaboussures qui atteignaient presque l’autre rive. Sera se crispa, leva instinctivement la main vers son épée accrochée dans son dos. Un mastodonte pêchait le poisson à quelques pieds seulement du gué. Sera jura silencieusement et jeta un œil à ses compagnons. Sola avait lui aussi la main sur son épée, il semblait se lécher les babines en fixant l’énorme tas de viande qui n’avait pas encore remarqué le groupe. Sera pouvait comprendre l’intérêt que portait Sola à tuer cette bête, elle était même d’accord avec lui. Elle se tourna vers Dalhender et Ulric qui semblaient eux aussi d’attaque à confronter la bête.
        ─ Quelqu’un sait quelque chose sur ce monstre ? demanda Ulric sans toucher à son épée.
Le visage de Régis sembla s’illuminer pendant un instant et se mit en avant, tout en restant discret.
        ─ Je connais cette créature ! Maître Noldrak nous en avait déjà parlé pendant l’un de ces cours sur le bestiaire. Attendez que je m’en souvienne...
        Sera, elle, ne se souvenait pas du cours qui évoquait une telle chose. Elle ne se souvenait pas de beaucoup de cours qui ne portaient pas sur les épées et l’escrime de toute manière.
        ─ C’est bon ! fit Régis. Écoutez-moi bien...
        Régis déblatéra en quelques minutes un cours qui tenait sur une heure. Ils avaient donc affaire à un « donn bearth », un « ours brun. » Cela n’avançait pas vraiment Sera, mais la suite fut plus intéressante. Régis disserta sur les points forts et les points faible de la bête – dont Sera avait déjà oublié le nom.
        Après un briefing aussi brillant que complet, Sera prit, une nouvelle fois, la tête des opérations.
        ─ Ulric, Sola, avec moi. On va attaquer le monstre de face. Dalhender et Régis, vous pouvez rester en retrait, couvrir nos arrières si quelque chose d’autre nous surprend. Je vais attaquer la première. (Ulric haussa les épaules suite à cette phrase. Sera décida de l’ignorer.) Vous me suivrez et l’attaquerez de tous les côtés, surtout la tête et le thorax. Il ne faudra pas lui laisser une seule seconde de répit. D’après Régis, cette bête est rapide malgré sa taille, et ses coups sont incroyablement puissants. Concentrez-vous donc sur ses pattes, tentez de l’immobiliser, bref soyez réactif et plus intelligents qu’elle.
        Ils acquiescèrent tous, avec plus ou moins d’entrain et traversèrent lentement le gué. La pierre glissait, ce qui rendait la tâche difficile, mais il arrivèrent tous sur l’autre rive, sains et saufs. La bête ne les avait pas encore vu, ce qui était une excellente chose. Sera profita de cet effet de surprise pour dégainer son épée et se rua, à pas feutrés, vers la masse brune. Tout semblait aller en sa faveur, la bête allait recevoir un coup violent dans le dos. Mais quelque chose clochait. Sera tourna la tête derrière elle, sans arrêter sa course et constata avec effroi qu’elle était la seule à charger la bête. Sola était étendu par terre, un nuage de poussière le recouvrait, et Ulric se tenait fièrement derrière lui, les bras croisés et un sourire narquois dessiné sur ses lèvres en apercevant la surprise sur le visage de sa rivale. Sera pensa à tourner les talons et à diriger son coup d’épée vers le Nilfgaardien mais il était trop tard, un rugissement venu tout droit d’une gueule aux mâchoires dévastatrices la ramena à des pensées plus urgentes. La bête n’était plus à quatre pattes, penchée sur la rivière, mais debout sur deux pattes, surplombant la jeune fille d’au moins quatre pieds. La bête retomba sur ses pattes, ce qui fit légèrement trembler le sol et impressionna Sera, qui perdit tous ses moyens. La bête avançait – non, elle courait vers Sera, en rugissant une deuxième fois. Sera voulut bouger, s’échapper, mais ses jambes refusaient d’obéir, ses yeux étaient fixés sur les pattes griffues de la bête qui martelaient le sol à chaque pas en avant. La bête arriva à la hauteur de la jeune fille et la bouscula de tout son poids. Sera sembla planer pendant une seconde avant de s’écraser sur le sol avec violence. Le fameux combat contre Olle lui revint en tête, où elle avait également effectué un vol plané après avoir été percutée de la même manière par l’insulaire. Mais cette fois-ci il ne s’agissait plus d’un enfant de six ans mais bien d’un monstre géant de plusieurs dizaines ou centaines de livres. Au moment de l’impact, Sera s’était protégée la tête de ses avant-bras, par réflexe, ce qui lui valut un craquement en-dessous de la poitrine qui ne disait rien de bon. À l’atterrissage, rebelote, encore un craquement cette fois à l’épaule gauche. Sera n’avait pas lâché son épée durant la chute, mais elle était incapable de la soulever. Tout autour d’elle n’était que formes floues et sons étouffés. Elle ne voyait que Sola, peu enclin à venir l’aider, Régis, tétanisé par la peur, Ulric, riant de bon cœur, et Dalhender...
        Où était Dalhender ?

Ce fut Régis qui l'aperçut en premier, démon de presque quatre coudées de long aux griffes affûtés comme des lames de rasoirs, la bête était affairée a pêcher et ne prêtée aucune attention au groupe. Régis leur expliqua de quoi il en retourné à la demande d’Ulric : un ours, Dalhender en avait déjà entendu parler et voilà qu'il pouvait en voir un à quelques dizaines de mètres de lui, il avait un peu peur mais heureux en même temps car le spectacle était fascinant. Après les explications de Régis quand à la nature de la bête et ses caractéristiques, Sera prit la tête du groupe. Il ne l'aimait pas des masses mais il savait qu'elle était la plus compétente du groupe. Elle lui donna son rôle dans l'attaque de la bête, il devait couvrir les arrières avec Régis pendant que les autres attaquait l'ours. Ils s'avancèrent à travers le gué, la bête ne les avaient pas aperçus. Ses mains tremblaient, peur ou adrénaline ? Il ne le savait pas encore. Sera prit les devant en partant la première vers la bête brune Ulric et Sola devant le suivre. Elle commença d'abord à partir lentement et furtivement puis accéléra le rythme mais toujours avec le pas presque inaudible des sorceleurs…
Mais rien n'allait comme prévu, car la jeune fille au cheveux rougeoyant avait accordé trop de confiance à ses compères. Elle s’avançait seule et personne ne l'avait suivi, Sera allait devoir affrontait seule l'ours qui venait enfin de l'apercevoir et commençait à foncé vers elle. Elle fut prise de cours et elle restait maintenant immobile se voyant seule face à la bête. Il fallait agir vite personne ne semblait en mesure de faire quelque chose, malgré l'urgence de la situation. Les jambes de Dalhender tremblaient, et il lança un nouveau coup d’œil vers les autres : Régis était immobile, Sola par terre et Ulric se gaussait de Sera. La haine envahit alors Dal, il n'aimait pas beaucoup Sera mais l'abandonné ? Comment pouvaient-ils faire cela alors qu'ils l'a connaissait depuis des années. Ses jambes se raffermirent, et ses yeux sombres d'habitude un peu vide se remplirent d'une détermination farouche. Pendant ce temps à quelques mètres la jeune fille était malmenée par la bête géante. Dalhender serra fort son épée dans sa main et couru droit vers l'ours qui chargeait à nouveau Sera. La patte du monstre s’apprêtait à faucher la fille mais cette fois elle n'atteignit pas sa cible. Avec la vitesse de la foudre frappant le sol l'épée de Dal faucha la patte qui s’apprêtait à lancer un coup sans nul doute fatal pour la jeune fille. Cette dernière se releva alors et attaqua elle aussi l'ours cette fois-ci au visage. L'ours était en pleine transe et redoublait de vélocité et de fureur. Il fonça vers le garçon qui se jeta sur le côté avec des réflexes qu'il ne soupçonnait même pas chez lui. Il garda son équilibre malgré la pirouette et esquiva ainsi plusieurs quintaux de muscles. Profitant de sa cabriole il tenta une ultime attaque en se projetant vers le dos de la bête épée au poing mais cette dernière était trop rapide et le coup se perdit dans l'air. L'affrontement resta en suspens, les deux partis étant à bout de souffle. La rage de Dalhender s’estompa et ses jambes étaient sur le point de cédées. Mais heureusement pour tout le monde, l'ours s'en alla d'un pas lourd et mal assuré à cause de ses blessures. Il aida Sera qui devait avoir de nombreux hématomes puis ils rejoignirent le groupe.

        Le regard de Sera envers Ulric n’avait rien de différent avec celui de l’énorme bête qui attaquait le groupe d’adolescent quelques instants auparavant. Sera remercia quelques divinité sans nom que ce n’était pas son bras directeur qui fut touché par la bête et, imitant cette même bête, asséna un coup de poings dans la figure du Nilfgaardien de toutes les forces qui lui restaient. La tête d’Ulric bascula en arrière et le garçon faillit tomber à la renverse.
        ─ Pécore ! Idiot ! Pisse-froid ! Inconscient ! J’aurais pu mourir, là-bas – on aurait tous pu mourir et se faire dévorer par ce monstre ! Qu’est-ce que tu avait derrière la tête, hein ?
        Son regard croisa celui de Sola, qui avait également des choses à se reprocher, mais elle était certaine qu’il s’agissait là de l’initiative d’Ulric.
        ─ Comment oses-tu me faire porter le chapeau de ton échec retentissant face à l’ours ? se rebiffa-t-il. C’est toi ! Et toi seule qui en est l’unique responsable. C’était ton choix d’aller affronter cette créature alors que nous pouvions très bien la contourner ! En réalité, tu n’es pas mieux que feu Olle. Toujours à te pavaner et à donner des ordres à tout le monde de ton air supérieur. En t’abandonnant face à cet animal sauvage, je voulais te faire prendre conscience du danger que tu représentes pour le groupe. Aujourd’hui, tes choix on failli te coûter la vie ainsi qu’a Dalhender. À chaque décision importante, tu joues avec notre destin comme des pantins sans te soucier de ce que nous pouvons penser. L’altercation que tu as eu précédemment avec Sola en est la preuve. C’est principalement pour cette raison qu’il ne t’as pas soutenu dans ce combat. Toi, celle qui a vaincu le meilleur de notre formation, doit désormais céder sa place à quelqu’un de plus raisonnable. En l’occurrence, moi ! Qu’en dis-tu, Sera ? Es-tu prête à renoncer à tes obligations pour le bien du groupe ?
        La jeune fille resta bouche bée. Un silence de plomb s’abattit à la suite du monologue d’Ulric. Sera avait besoin de réfléchir, mais c’était impossible. Ulric voulait une réponse et ses douleurs à l’épaule et à la poitrine l’empêchaient de se concentrer.
        Elle ferma les yeux en baissant la tête. Sa tête tournoyait et elle ne voulait pas perdre l’équilibre devant tout le monde. Cela résumait assez bien la situation. Elle voulait être la meneuse. Elle pensait avoir mérité cette place en confrontant Olle, mais c’était il y a longtemps. Cette reconnaissance, cette gloire, cette envie d’en faire trop, elle avait besoin de tout cela. Elle était rongée par le sentiment de perfection et de puissance.
        Elle ouvrit les yeux. Son épaule était toujours dans un angle peu naturel et sa respiration toujours un peu sifflante. Elle tenait à peine sur ses jambes. Après coup, le choc de ses phalanges droites avec la mâchoire de Ulric était lui aussi regrettable. Elle releva les yeux vers le Nilfgaardien.
        ─ Très bien. Si tu te crois meilleur que moi pour diriger ce groupe et trouver cette satanée plante alors je demande à voir. À partir de maintenant c’est toi qui commande. Alors ? Que faisons-nous maintenant ?
        Sera venait d’abandonner son poste de chef autoproclamé, mais elle profitait au moins de la satisfaction de voir Ulric perdre ses moyens et garder la bouche béante pendant plusieurs secondes. Sa surprise était entièrement justifiée, et il ne s’attendait pas à recevoir si vite toutes les responsabilité de sa qualité de meneur. Du moins c’était ce que Sera espérait.
        ─ Alors oui... euh... Maître Noldrak nous a bien dit que la plante que nous recherchons est au centre de cette maudite forêt, non ? J’ai remarqué que les racines de ces nombreux arbres semblent être reliés mutuellement et convergent vers un seul et même endroit. Je propose de les suivre et de voir où elles mènent. Dépêchons-nous ! Nous ne disposons plus de beaucoup de temps, au vu des quelques rayons de soleil que j’aperçois encore.
        Le Nilfgaardien avait reprit confiance au fil de ses mots et bombait déjà le torse en menant la troupe. Sera leva les yeux au ciel avant de prendre conscience qu’elle avait sûrement eu le même comportement sans s’en rendre compte. C’était même certain. Elle suivit la cadence sans broncher en se tenant en arrière dans le groupe, échangeant sa place avec celle d’Ulric.
        La fatigue et la faim commençaient à se faire ressentir. La plupart d’entre eux, Sera comprise, comptaient sur la bête sauvage pour servir de repas, mais ils le savaient tous maintenant, une occasion comme celle-ci ne se reproduirait plus. L’atmosphère qui régnait dans cette forêt n’aidait pas à rehausser l’ambiance du groupe. La pénombre s’installait doucement, laissant place à plus d’imagination concernant certains bruits qui, en plein jour, auraient semblés anodins. Mais ils avaient tous vu de quoi cet endroit était capable. Le monstre qu’ils avaient rencontré ne pouvait pas être le seul.
        ─ Restez sur vos gardes, conseilla Ulric. Qui sait sur quelle autre abomination nous pourrions tomber dans cet endroit. Évitez de faire le moindre bruit qui pourrait...
        Sera avait arrêté de suivre. Son attention avait été retenu par un étrange amas de feuilles placé ostensiblement sur le chemin. Elle était à la fois certaine que ce n’était pas naturelle mais aussi peu sûre d’elle car elle semblait être la seule à l’avoir remarqué. Elle éprouvait des picotements dans les yeux, signes de fatigue visuelle. Elle n’avait pas le temps de s’éclaircir les idées, Ulric était tourné vers elle et les autres et s’apprêtait à marcher sur les feuilles. Elle n’eut pas le temps de réfléchir.
        ─ Ulric ! Devant ! Attention !
        ─ Qu’est-ce que... ?
        Trop tard. Ulric avait posé le pied au beau milieu du feuillage. Un cliquetis se fit entendre, puis une sorte de roulement de corde très rapide. Enfin, un énorme rondin de bois fonça à toute vitesse sur lui, parsemé d’espèce d’échardes démesurées, taillées pour rentrer facilement dans la chair. Sera tenta de s’avancer, mais sa position ne lui laissait pas assez de temps. Heureusement pour lui, Ulric se rendit compte assez rapidement de ce qu’il se passait et effectua une pirouette d’esquive en arrière. Le rondin traversa le sentier en large et s’écrasa sur d’autres arbres en un violent choc. Ulric était à terre, saint et sauf. Il lança un regard à Sera, c’était elle qui l’avait averti du danger. Mais il ne s’aventura pas dans plus de remerciements et se releva en se dépoussiéra en tapotant ses vêtements.
        ─ Qu’est-ce que c’était encore que ce truc ? Et qui diable aurait pu poser ce genre de... Regardez ! Je distingue quelque chose là-bas ! Nous devrions y jeter un coup d’œil.

        Sera avança à la suite du groupe et arriva bien vite à l’endroit que Ulric avait distingué. C’était une clairière qui n’avait rien de claire pour le moment car le soleil était tellement bas qu’il était caché par la plupart des arbres environnant. Cette vaste étendue d’herbe aurait pu être accueillante si seulement elle n’avait pas été jonchée de cadavres en armure en train de tranquillement se décomposer.
        Les cinq enfants eurent le même réflexe : ils se redressèrent et portèrent leur main derrière leur dos, leurs doigts à un pouce de la poignée de leur épée. Sera avançait aussi lentement que les autres dans la clairière. Les cadavres n’étaient pas de toute fraîcheur, mais ils n’étaient pas là par hasard. La première chose que Sera observa sur les morts fut leur armure. Il y avait deux camps très distincts. D’un côté, des armures noires bordée d’un soleil d’or. Nilfgaard. De l’autre, des armures plus conventionnelles, parées d’un aigle d’argent sur fond rouge. La Rédanie. Le pays natal de la jeune fille. Une vague de nostalgie lointaine, très lointaine lui parcourut le corps. Des bribes de souvenirs sans beaucoup de sens d’une vie antérieure. D’aussi loin qu’elle se souvenait, elle avait habité à Kaer Gerden mais elle savait que cela n’avait pas toujours été ainsi. Elle fut vite sortie de ses songes en examinant plus méthodiquement les corps gisants sur les fleurs. Ils étaient parsemés de flèches. Or, de tous les soldats qu’elle pouvait apercevoir, aucun archer ne semblait faire partie de l’un ou l’autre bataillon. Il n’y avait ni arc, ni carquois, ni armure plus légère significative des combattants à distance. Elle voulut le faire remarquer aux autres mais les mots n’eurent pas le temps de sortir de sa bouche qu’une flèche se planta à deux pieds des siens. Elle leva la tête et son visage se crispa, elle avait devant elle une véritable pluie de projectile taillés pour tuer. Elle se retourna et vit que les autres avaient déjà commencé à se tourner vers Ulric. Au même moment, Régis hurla de tous ses poumons. Il venait de se faire transpercer le mollet par une flèche. Le Nilfgaardien, en bon nouveau chef du groupe, avait perdu ses moyens et se contenta de se recroqueviller afin d’amenuiser ses chances de se faire toucher. Sera, assistant à ce parfait exemple de couardise malvenue, prit les choses en main, comme à son habitude.
        ─ Courez ! Retournez dans la forêt ! Repliez-vous ! Sola ! Va chercher Régis !
        Le jeune garçon s’exécuta plus vite que Sera ne le crut. Il l’empoigna rapidement, le porta sur quelques coudées avant de le lâcher brutalement, affichant une grimace de douleur sûrement due à ses muscles qui devaient le lâcher après une journée entière de marche sans manger. Régis cria de douleur suite au choc. Sa jambe se trouvait à présent dans un angle peu naturel.
        ─ Ne m’abandonnez pas ! Sauvez moi, par pitié !
        Sola ne chercha pas à ramasser le blessé et partit se mettre à l’abris comme Sera l’avait ordonné. Cette dernière tenta sa chance, elle se devait de sauver Régis. Perdre un membre du groupe serait une catastrophe. Elle partit à toute vitesse vers Régis, un sifflement étrange s’échappait de ses lèvres alors que la douleur au poumon s’intensifiait. Elle ne ralentit pas la cadence pour autant. La jeune fille arriva miraculeusement à hauteur de Régis sans être touchée par une seule flèche. Elle empoigna l’estropié des deux mains, tirant de toute ses forces, avant de subitement lâcher prise et tomber sur le sol en hurlant de douleur à son tour. L’adrénaline lui avait fait oublier son épaule complètement déboîtée qui lui empêchait de transporter quoi que ce soit. Régis était en pleur, il rampa jusqu’à arriver près de Sera puis s’immobilisa entièrement après s’être contorsionné une seconde. Il écarquilla les yeux et les fit descendre sur son propre torse : il pouvait constater une pointe de flèche en fer, imbibée de son sang, sortir de ses poumons. Il releva la tête vers la jeune fille aux cheveux de cuivre qui aurait voulu le protéger.
        ─ Je-je... ne veux pas... mourir, Sera. Par pitié... s-sauve... moi...
        La vie quitta rapidement les yeux du garçon qui aurait pu faire un excellent sorceleur. Il rendit son dernier souffle en implorant pitié à une Sera qui n’avait pas la force d’en prodiguer. Le bruit des flèches passant tout près de ses oreilles semblait très lointain. Les cris d’Ulric l’étaient encore plus.
        ─ Dépêche-toi ! Il faut sortir de là avant de tous nous faire tuer ! Maintenant !
        La peur d’être touchée par un projectile avait disparue, laissant place à un vide, un moment suspendu dans le temps pendant lequel elle observa les cheveux roux ébouriffés contre l’herbe diablement verte. Sera ferma les yeux, mettant la Mort au défi. C’était comme marcher en équilibre sur un fil entre deux hauts pics de montagne. Le sentiment était grisant. Les flèches sifflaient. Ou étaient-ce des oiseaux ? Après un moment, il n’y eut plus rien, plus un seul bruit, le calme complet.
        C’est apaisant. Est-ce ce que ressent Régis en ce moment ? Quelle chance il a de ne plus avoir à se soucier de sa survie et d’une stupide fleur pour un stupide instructeur.
        Sera ouvrit les yeux. Les tirs avaient complément cessés. Il y avait plus de flèches plantées au sol que de brins d’herbe. C’était un spectacle morbide auquel Sera ne tenait pas à assister. Elle se releva et partit en direction de ses compagnons de route. Quand elle arriva à hauteur des adolescents, elle remarqua qu’ils étaient toujours sur leurs gardes et fixaient tous un point derrière elle. Elle se retourna et découvrit une bande d’elfes dont la plupart étaient en train de ramasser les quelques flèches encore utilisables par terre. L’un d’eux s’avança plus franchement vers le groupe de futurs sorceleurs. L’une de ses oreilles pointues manquait à l’appel, et les nombreuses cicatrices qui jonchaient son visage achevaient de rendre la face de ce grand gaillard totalement asymétrique et assez laide à voir, en tout cas pour un elfe.
        ─ Lâchez vos armes, dh’oine ! exigea-t-il. Ou j’ordonne à mes frères de vous abattre sur-le-champ.
        Sera ignorait ce qu’était un « dh’oine » et n’en avait rien à faire. Ce qu’elle comprit, c’était l’ordre que venait de donner cet elfe. Elle décida, par pur esprit de contradiction, de ne pas suivre l’exemple de Ulric et de garder son épée là où elle était. Seul Dalhender suivit le chef et déposa également son épée en la jetant sur celle de Ulric. À la grande surprise de Sera, Sola resta les bras croisés également, défiant du regard le non-humain qui le dépassait aisément de deux ou trois pieds. Ce dernier crispa son visage déformé pendant plusieurs secondes, jaugeant du regard les deux récalcitrants. Sera n’en attendait pas moins de celui qui avait visiblement donné l’ordre de tuer Régis, et tous les autres s’ils n’avaient pas eu autant de chance.
        ─ Vous, les dh’oine, êtes une race confiante et stupide, annonça-t-il comme s’il s’agissait d’un fait avéré. Même dans les situations les plus désespérées, vous vous pensez en sécurité et supérieurs par rapport à nous autres. C’est bien ce qui causera votre perte. J’aurais voulu que notre rencontre se termine autrement, mais vous ne me laissez guère le choix. Votre sentence pour avoir pénétré sur cette terre sacrée est... la mort. Scoia’tael ! Spar’le !
        Les archers ne se firent pas prier. Leurs flèches déjà encochées étaient maintenant à hauteur d’œil et prêtes à être lâchées sur le groupe.
        ─ Ne me tuez pas ! implora Ulric en retenant l’elfe asymétrique par le bras. J’ai fait ce que vous me demandiez ! Tuez les autres si ça vous chante mais laissez-moi la vie sauve ! Nous étions juste venus ici pour récupérer une plante du nom de conynhaela à...
        L’asymétrique se dégagea de l’emprise du Nilfgaardien et lui flanqua un soufflet dont il se rappellera encore le lendemain.
        ─ Comment oses-tu m’adresser la parole sans ma permission, sale chien ? (Il cracha dans les cheveux noirs d’Ulric, encore un peu sonné de la gifle qu’il venait de se prendre. Il se tourna ensuite vers les autres.) Comment connaissez-vous l’existence de cette plante ? Et pourquoi voulez-vous la récupérer ? Parlez !
        Ni Sola, ni Dalhender, ni Sera ne trouvèrent quoi que ce soit à dire qui ne leur vaudrait pas un taquet en pleine figure.
        ─ Très bien. Vous voulez jouer à cela ? Je connais quelqu’un qui sera ravi d’avoir une petite discussion avec vous. Attachez-les !
        Une fois de plus, les autres elfes à la botte de l’asymétrique s’exécutèrent au quart de tour et fondirent sur le petit groupe, en particulier Sera et Sola qui avaient tous les deux la main sur le manche de leur épée. Ils n’eurent pas le temps de se débattre, les elfes leur avaient déjà ligoté les poignets et placé un sac sur la tête.
        ─ En avant ! Nous les emmenons à Duén Canell !
        Sera se débattit de plus belle, elle avait perdu Régis de vue. Elle ne pouvait pas se résoudre à laisser son corps ici, mais avec le sac devant les yeux, tout ce qu’elle pouvait discerner étaient des tâches noires et argent sur fond vert, des tâches mortes. Régis faisait partie de ce groupe à présent. Il reposera là où se reposaient déjà des dizaines de vaillants soldats ayant combattu pour leur vie.

Chapitre 2 : Des cris dans la Nuit

Musique d'ambiance : https://www.youtube.com/watch?v=EkXYsYfvyRIlist=PLtQtDkpNHslRpvVul7mi_3T4bRoF4-gZv

Feainn 1280

Les derniers rayons de soleil de la journée viennent percer l'épais plafond de feuille, plongeant l'endroit dans une obscurité quasi-totale. Cela fait depuis maintenant plus de 6 heures que vous marchez sans interruption à travers cette immense forêt de plusieurs dizaines de kilomètres, empli d'une puissante magie. La fatigue envahit l'ensemble de vos muscles, mis à rude épreuve durant tout votre parcours. Aveuglé par le sac sur votre tête, vous manquez à plusieurs reprises de chuter violemment sur le sol, à cause notamment des nombreuses racines jalonnant le chemin de terre. L'air ambiant se rafraîchit sur votre peau habitué aux fortes température de ces dernières semaines. Attaché l'un derrière l'autre, chaque membre du groupe se soutient mutuellement créant petit à petit une forte cohésion afin d'éviter d'autres excès de violence de la part de vos ravisseurs. A vos côtés, vous pouvez entendre les discussions incompréhensibles des archers elfe usant de mots en langage ancien afin d'éviter que vous ne les compreniez. Quand soudain, un sifflement fort et modulé se fait entendre devant vous :

─ Ceádmil Cirdan.

─ Ceád Nínniel. Va'n vort meáth Iorveth à ? demande d'un ton grave l'elfe asymétrique.

─ Aesséa, ess craag Yaevinn. Ess'ae'n Sidh ? lui répond en retour une voix féminine semblable à un souffle de vent extraordinairement mélodique.

─ Néen. Ess wedd d'hoine, à váen conynhaela va e'ss.

─ Conynhaela ? Bloede caèrm ! T'ess folie.

Un léger ricanement émane de la part du chef du petit groupe de non-humain qui ordonne, à la suite de cette échange, de reprendre la route. A mesure que vous avancez, vous pouvez discerner au loin une conversation de plus en plus virulente entre deux personnes. L'une d'elle s'exclame :

─ Nous ne pouvons abandonner de cette façon nos frères et soeurs opprimés dans ces camps, Yaevinn ! La lutte doit continuer ! Même si cela implique notre mort à tous, je ne resterais pas les bras croisés alors que ce fou de Radovid extermine notre race à petit feu !

─ Calme toi, Iorveth ! Nous devons uniquement faire profil bas pendant un moment. Si nous lançons dès maintenant notre attaque sur ce convois sécurisé de prisonnier, il ne restera plus rien de notre cause et tous ces morts tombés au combat n'auront servis à rien, lui certifie d'une manière très calme son interlocuteur.

─ Comment oses-tu tenir de telle propos ?! Tu parles de l'avenir de notre peuple ! Sale traitre ! Aurais-tu donc rejoins les rangs de l'armée de ... (sa voix change soudainement et laisse place à de la surprise de par son intonation fébrile) Cirdan ! Que se passe-t-il ? Pourquoi as-tu quitter ton poste d'observation ?

─ Ceádmil Iorveth. Je t'apporte ces intrus ayant pénétré notre zone de sécurité ce matin même. Ils n'ont pas daigné décliner leurs identités, ni les raisons pour lesquelles ils se sont introduit sur cette terre sacré, interdite aux Humains. L'un d'eux m'a cependant révélé que ce petit groupe étaient à la recherche de la plante conynhaela. J'ai donc supposé que tu voudrais les interroger par toi-même.

─ Hum ... Enlève leurs ces fichus sacs de leurs têtes. Je veux pouvoir les regarder dans le blanc des yeux avant de les tuer de mes propres mains.

D'un simple claquement de doigt, les sacs recouvrant votre champ de vision sont ôtés. Vos pupilles s'étant habituées à l'obscurité, vous vous retrouvez éblouis par les différentes torches plantés tout autour de vous. En retrouvant au fur et à mesure votre vue, vous vous rendez compte que vous êtes au milieu d'une sorte de doline. Au dessus de vos têtes, "de drôles de maisonnettes", rappelant par leurs formes à de grandes boules de gui, étaient accrochées aux troncs et aux branches des arbres à des hauteurs variées, juste au dessus du sol ou plus haut, et même au niveau des cimes. Vous apercevez également quelques constructions plus grandes à même la terre : des cabanes de branches entremêlées et couvertes de feuilles. Vous devinez la présence de vie derrière les ouvertures de ces gîtes, mais leurs occupant semblent demeurer invisibles.

Face à vous, se tient un elfe au visage, qui semblait jadis magnifique, désormais balafré du côté droit et recouvré par un foulard cramoisi rouge. Sa tenu se compose de vêtements humains et elfiques, caractéristique des Scoia'tael, avec cependant une particularité frappante : une collection d'insignes des forces spéciales recrutées par les royaumes Humains pour combattre les non-humains pend le long de son torse. En retrait, quelques mètres derrière lui, un autre de ses congénères vous défigure d'un air de profond mépris. Ses longs cheveux noirs ainsi que ses traits de faciès anguleux sont le parfait exemple de la beauté légendaire et naturel de cette race en voie d'extinction. Cardin, l'elfe asymétrique, se rapproche en direction de Iorveth et lui tend vos armes confisquées.

─ Voici les seuls objets que nous avons récupérer sur ces enfants. Il semblerait qu'elle est déjà servi auparavant ....

Le "balafré", d'un mouvement net et rapide, dégaine l'une de vos épées et se retourne dans votre direction.

─ Mmh ... De l'acier Rédanien ... Et de bien mauvaise qualité à ce que je vois. Je suppose que depuis la fin de la Troisième Guerre Nordique, Radovid ne dispose plus d'assez d'argent pour armer correctement ces hommes, ni même pour engager des troupes compétente. Ce roi est décidément assez désespéré pour envoyer de simple gamin nous affronter ? Pff ! Même en 1000 ans, je ne vous comprendrais jamais assez, dh'oine ... Trêve de bavardage, dite moi immédiatement pour quelle raison ce roi fou est à la recherche de la conynhaela ? Je vous suggère de ne pas mettre ma patience à l'épreuve ...

        Sera fut soulagée lorsqu’on lui retira le sac de la tête. Il avait une odeur chien mouillé parfaitement désagréable. Les éclats de voix incompréhensibles qu’elle avait entendu ne trompaient pas, et elle en avait maintenant la certitude après que ses yeux se soient habitués à cette nouvelle luminosité : ils s’étaient encore plus enfoncés dans la forêt et se trouvaient au beau milieu d’un campement d’Écureuils. De partout des paires d’yeux étaient braqués sur le groupe d’humains. Elle crut entendre un peu de langue commune, mais elle porta son attention sur les membres restant du groupe. Ils échangèrent tous un regard tantôt apeuré, tantôt faussement confiant afin de cacher ladite peur aux deux grands elfes qui les surplombaient de leur imposante stature. L’un d’eux avait le visage parsemé de cicatrices et à moitié caché par un foulard rougeâtre. L’autre était l’elfe asymétrique qui avait ordonné, entres autres choses, de tuer Régis. Une profonde rage commença à bouillir dans le creux de l’estomac vide de Sera.
        ─ Voici les seuls objets que nous avons récupéré sur ces enfants, annonça Cardin l’asymétrique. Il semblerait qu’elle ait déjà servi auparavant…
        ─ Mmh, de l’acier rédanien, constata Iorveth le balafré. Et de bien mauvaise qualité à ce que je vois. Je suppose que depuis la fin de la Troisième Guerre Nordique, Radovid ne dispose plus d’assez d’argent pour armer correctement ses hommes, ni même pour engager des troupes compétentes. Ce roi est décidément assez désespéré pour envoyer de simples gamins nous affronter ? Pff ! Même en mille ans, je ne vous comprendrais jamais assez, dh’oine… Trêve de bavardages, dites-moi immédiatement pour quelle raison ce roi fou est à la recherche de la conynhaela ? Je vous suggère de ne pas mettre ma patience à l’épreuve…
        Sera jeta un œil à Ulric, le présumé chef de la bande qui n’avait plus rien d’un dirigeant. Il était derrière Dalhender et Sola, mais on pouvait entendre d’ici ses claquements de dents et ses tremblements. Sera bomba le torse puis soupira.
        ─ Cette plante, la conie... coi’na… bref ce n’est pas le roi qui nous envoie la chercher. Nous ne sommes pas des soldats rédaniens. C’est notre maître qui nous a donné pour mission de la trouver, en guise d’épreuve de… Enfin, nous sommes… (Elle hésita quelques secondes puis repris la parole.) Nous sommes des sorceleurs.

Suite à l'intervention de Sera sur la véritable raison de votre présence en ces lieux , un profond silence envahit l'ensemble de la place où vous vous tenez. Quelques légers ricanement étouffés se font entendre tout autour de vous, mais ce qui attire en priorité votre attention c'est le visage de Iorveth qui ne cesse de se durcir de colère au fil des secondes. La tête penchée vers le sol, il prend une grande inspiration puis relève son regard, empli de haine, dans votre direction.

─ Mauvaise réponse, rétorque-il sur un ton froid.

D'un simple geste de la main, l'un de vous, en l'occurrence Sola, est amené de force face à l'elfe balafré. Le non-humain saisit le jeune homme par ses cheveux d'un noir intense et place la lame d'une de vos épées au niveau de son cou. La panique vous gagne et vous tentez à plusieurs reprises de vous échapper de l'étreinte des archers Scoiat'ael afin d'aider votre camarade pris en otage. Malheureusement, en vain ...

─ Me prenez-vous réellement pour un simple d'esprit ? s'exclame Iorveth. Les derniers vatt'ghern, ainsi que leurs méthodes de mutation, ont disparus de cette Terre depuis maintenant plusieurs décennies. Plus aucune école de Sorceleur n'est désormais capable d'en former. Comme tout autre chose, leurs temps est révolus et ce monde n'a plus besoin de leurs compétences. Mais trêve de bavardage ... Je vous laisse une dernière chance de me révéler ce que vous savez sur les plans d'attaque de Radovid, avant que je ne saigne votre ami comme un vulgaire porc.