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Sujet : Mise en abîme

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Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
21 février 2014 à 02:28:58

Bon. J'ai toujours pas eu tous les retours que j'aurais bien voulus avant de poster ici, mais je ne pense pas que ça change grand-chose pour la première partie, et de toute façon j'en suis arrivée au point où je ne vois sans doute plus les éventuels problèmes à force de relire, pour le début de cette nouvelle en tous cas. :(

Donc voilà. C'est une nouvelle qui constitue un mélange bizarroïde entre fantastique, fantasy, et peut-être quelques accents SF mais ce n'est pas dominant. Il y a des influences (conscientes, en tous cas) de King, P.K. Dick, Lovecraft et Pratchett, pour ceux à qui ces noms diraient quelque chose. (Et la faute dans le titre est voulue, au cas où). J'ai un peu plus de 16 000 mots, et j'ai découpé ça en 4 parties dont voici donc la première ^^

(mes tirets avaient sauté au c/c, j'espère les avoir tous bien remis :( Les mots entre astérisques sont censés être en italique)

I. Sable et sel

- Tu sais que tu n'es pas censée pouvoir faire ça, petite ?

La silhouette tremblotante de Lyz sursaute en entendant la voix, douceâtre comme un miel à l'arrière-goût amer. Elle frissonne, hausse les épaules.

- Rêver ? Et alors, vous aussi vous êtes là.

L'homme hoquette un petit rire sans joie.

- C'est vrai. Mais ce n'est pas mon rêve.

Lyz se retourne pour le jauger du regard. Engoncé dans une lourde cape noire, il la fixe, un rictus agrafé aux lèvres.

- Alors c'est vous, le magicien ?
- Le magicien ?
- Celui qui entre dans les rêves. Ma soeur m'en a parlé.
- Ta soeur, hein ? Oui, je suppose qu'on peut dire ça.

Le vent marin mord son visage, le poussant à resserrer sa cape autour de lui comme une chauve-souris.

- Tu n'as pas froid ?

Elle ne porte qu'une fine robe pourpre. Ses cheveux de jais volettent librement autour de sa tête au gré de la brise, comme les tentacules mourants qui flotteraient auprès d'un cadavre gonflé d'eau.

- Non. On peut avoir froid dans un rêve ?
- Moi j'ai froid. Et tu comprendras vite qu'on peut absolument tout faire dans un rêve, petite. C'est ton château ?

D'un geste du menton, il lui désigne l'édifice planté en arrière-plan : une haute forteresse délavée, lessivée par les flots. Une hordes d'algues et de lichens de toutes sortes gangrènent des pierres que la mer, dans sa fureur, n'a de cesse de venir fouetter. Des nuages noirs ont infesté le ciel. La tempête imminente gronde au-dessus de sa tête, et Lyz baisse les yeux vers la grève de sable gris qui s'étend devant elle. Elle fronce les sourcils, se mord la lèvre inférieure.

- Depuis quand est-ce qu'il est là ? Je n'avais pas v... comment ça pourrait être mon château si je ne savais même pas qu'il était là ?

Le magicien hausse les épaules, les coins de ses lèvres légèrement relevés.

- C'est ton rêve.
- ... alors tout ce qui est dedans est à moi ? Mais il est moche, ce château. Je ne me ferais pas un château moche.
- Je ne sais pas, moi. Je ne te connais pas. C'est la première fois que tu rêves ?
- Je ne crois pas. Mais je n'arrive pas à me souvenir.

Il sourit, penche la tête.

- C'est normal. C'est souvent comme ça que ça marche, les rêves. Tu t'appelles comment, petite ?
- Lyz. Et toi ?
- Tu peux m'appeler Reav. Je crois. Mais c'est à toi de décider.

La petite fille semble réfléchir quelques secondes, puis le gratifie elle aussi d'un sourire, un peu hésitant.

- D'accord. On va voir mon château, Reav ?
- Si tu veux. C'est ton rêve, après tout. Après toi...

Lyz le prend gaiement par la main et l'entraîne à sa suite sur la grève grise. Un isthme asthmatique serpente jusqu'au château, comme une langue de sable malade. A mesure que la petite fille s'y avance, les rangs de rochers paraissent à la fois rester solidement ancrés dans le sol et s'écarter devant elle pour la laisser passer, comme de vulgaires décors de théâtre en carton. Le bruit de la mer, soudain, semble partout : dans l'air iodé, les clabaudages des mouettes, l'écume qui vient doucement mourir à leurs pieds. Le son saccadé des vagues parcourt la côte à la hâte et rebondit de dune en dune pour venir se larver derrière chacun des pas de la petite fille et son compagnon. Un désagréable frisson parcourt l'échine de Reav tandis qu'il jette alentour des regards suspicieux.

- Tu n'as pas peur ? demande-t-il dans un froncement de sourcils.
- Non. Ce n'est qu'un rêve, non ?

Il ne répond rien, baisse la tête vers le sable détrempé. Des puces de mer l'y précèdent en bondissant, qui ont un il ne sait quoi d'étrange. Un bref instant, il tente de les examiner plus précisément, mais les créatures ont déjà disparu un peu plus loin, trop vives pour lui. Une moue de dépit hante ses lèvres l'espace de quelques secondes avant de s'estomper, quand soudain, au-dessus de lui, le ciel gorgé d'eau se met à cracher en contrebas une pluie cinglante. Lyz lève la tête vers les nuages sombres, l'air surpris.

- Viens, dépêchons-nous, lui souffle Reav en la poussant vers l'avant avec douceur.
- Tu crois que je peux arrêter la pluie ? Tu dis que c'est mon rêve.
- Peut-être, accorde-t-il, hésitant. Mais pas forcément, ce n'est pas si simple, et... là-bas, regarde ! Il y a quelqu'un !

L'homme lui désigne une silhouette noire à une dizaine de mètres de là, plantée au milieu du chemin.

- Allons voir ! s'exclame Lyz avec enthousiasme, prête à s'élancer vers le nouveau-venu.
- Non, intervient Reav, attends. Ça pourrait être dangereux, petite, ne va pas trop vite...

La fillette le jauge un instant du regard puis finit par acquiescer et le laisse passer devant. Prudemment, Reav progresse de quelques enjambées, jusqu'à pouvoir discerner un peu mieux celui qui leur barre la route. Un vieux ciré sombre dont les intempéries et les périples ont rendu la couleur d'origine indéfinissable enveloppe la silhouette élancée ; un large suroît fatigué la couronne, qui engloutit son visage dans les ténèbres. Un coup de tonnerre claque soudain dans l'air, avalant à moitié le cri du marin :

- Halte ! Qui va là ?

Reav fait encore quelques pas mesurés avant de s'arrêter et de passer le bras autour de Lyz pour la maintenir un peu en retrait.

- De simples voyageurs, assure-t-il d'une voix grave, qui ne veulent pas d'ennuis.
- Et toi, tu es qui ? demande l'enfant d'un ton insouciant, avant que son compagnon n'ait pu l'en empêcher.
- Moi ? Je suis un Loup, un très vieux loup qui n'a plus rien d'autre à faire que de lécher ses plaies sous la pluie battante. Je suis brisé, tu vois. Le tambour de la mer m'a défiguré et a emporté ma chair, comme ça, d'une caresse iodée douce-amère. Comme de l'acide. Qui le demande ?
- Tu ne ressembles pas à un loup, pourtant.
- Je suis un loup à écailles. Quelle importance ? Plus rien n'a d'importance, sous l'eau. Les sons s'atténuent et les sensations s'assourdissent. Tu as déjà essayé de te noyer plusieurs fois d'affilée ?

Reav fronce les sourcils devant ce discours absurde. Un éclair soudain lui révèle la face du marin, dans l'ombre de la toile trempée de son suroît. L'os crasseux lui saute au visage. Ses orbites vides semblent vouloir le happer vers sa mâchoire à jamais figée dans ce rictus caractéristique des crânes décharnés, comme pour le dévorer. Reav frissonne, une fois de plus.

- Écoutez, Loup, commence-t-il avec circonspection, on ne veut pas d'histoires. On veut juste passer.
- Passer ? Il n'y a pas si longtemps de ça, c'était à moi de décider qui passait tout court ou qui passait l'arme à gauche, si vous voyez ce que je veux dire. Maintenant je passe d'une rive à l'autre, d'une vague à l'autre, d'une mort à l'autre. Sous l'eau plus rien n'a d'importance.

Il penche la tête dans un craquement sinistre de sa nuque, puis la tourne vers la droite avec un bruit plus ignoble encore. Ses yeux inexistants fixent le gant couvert de boue et de rouille fiché au bout de son bras squelettique, le poing serré autour du manche étouffé de moisissure d'un trident antique. Ses pointes corrodées se hérissent en un sourire de requin.

- Mais je pense que ça fonctionne encore bien, ça. Ça fera l'affaire, si jamais je dois vous envoyer rejoindre le cimetière marin. Pourquoi voulez-vous passer ? Il n'y a plus rien, ici, plus rien qui vaille la peine en tous cas. Juste des vieilles briques, des vieilles algues et des morts dans des vieilles tombes. Je ne crois pas que vous vouliez les rencontrer.
- C'est mon château, là-bas, précise Lyz. On voudrait aller voir.
- Ton château ? s'étonne le curieux personnage de sa voix désincarnée. Mes excuses, dans ce cas, je me suis égaré, j'ai la tête trop remplie d'eau. Vous pouvez passer, bien sûr, je... je vous montrerai le tunnel sous-marin. Mais vous devrez faire attention. Sauf si vous voulez essayer de vous noyer plusieurs fois d'affilée.
- Le tunnel ? fait Reav sans plus se soucier des propos décousus de son interlocuteur. Quel tunnel ?

La créature pivote la tête vers lui dans un nouveau craquement de vertèbres, puis le dévisage pendant quelques instants sans rien dire. Toujours sans un mot, le squelette tend son bras pour désigner un endroit plus loin sur la route. Sous la force de la pluie, le ciré détrempé laisse deviner la forme de ses os nus sous la manche.

- Le tunnel, là-bas, précise-t-il. Le courant est tellement fort qu'on a dû l'ériger il y a bien longtemps pour permettre le passage sans rejoindre les morts qui dorment sous l'eau. Mais c'était il y a *très* longtemps.
- Ce n'est pas dangereux ? intervient Reav d'un ton inquiet.
- Vous n'avez qu'à me suivre, je connais le chemin. De toute façon, sous l'eau plus rien n'a d'importance. Mais prenez garde à la marée haute en ressortant, où vous irez rejoindre les morts.
- Euh... d'accord.

Perplexe, Reav se tourne vers Lyz, étonnamment silencieuse à côté de lui, les yeux rivés sur leur curieux guide.

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
21 février 2014 à 02:30:01

- Tu as compris, petite ? On le suit, et il nous montrera le chemin le plus sûr... Ça va ?
- Oui. J'ai compris ! assure-t-elle avec un sourire confiant.
- Bon.

Le marin, qui a jusque là attendu la fin de leur bref échange en les fixant silencieusement, rictus obligé aux lèvres qu'il n'a plus, virevolte lentement pour se mettre en marche. Aussitôt, Lyz lui emboîte le pas d'une démarche légère, flanquée de Reav à une allure plus mesurée. Les trois compagnons poursuivent ainsi leur parcours au rythme des coups de tonnerre et de la pluie qui leur bat le dos et les épaules, chassée par le vent.

- Pourquoi tu as dit de faire attention ? demande Lyz au bout de quelques mètres, à voix basse pour ne pas se faire entendre du défunt. Si c'est mon rêve, ça ne peut pas être dangereux, si ? Hein... ?
- On ne sait jamais, élude Reav d'un air sombre. Tout dépend du Rêveur. Mais dans tous les cas, tu ne voudrais pas que tout ça vire au cauchemar, n'est-ce pas ? Je crois qu'il vaut mieux l'éviter si possible.

Lyz hésite, une moue perplexe plaquée sur le visage, puis finit par acquiescer et replonger dans le silence. Au bout de quelques dizaines de minutes, ils parviennent enfin à la fin du chemin, où la mer embrasse la langue de sable jusqu'à l'engloutir dans ses profondeurs. Un peu plus loin s'ouvre l'entrée d'un tunnel en métal que la rouille semble avoir rongé à de multiples endroits, dépassant à la surface. La partie supérieure d'une échelle est encore visible malgré la marée haute. Le squelette grimaçant se retourne alors vers eux, hoche la tête puis leur désigne la cavité béante.

- C'est l'entrée, précise-t-il sans réel besoin.

Après avoir solidement arrimé son trident dans son dos, il s'avance dans l'eau pour pénétrer dans la galerie métallique. Quelques secondes plus tard, un gant bourbeux en ressort pour faire signe à Lyz et Reav de le suivre. La petite fille s'exécute, mal assurée. L'eau lui arrive jusqu'à la poitrine, mais avec l'aide du magicien, qui la suit immédiatement à l'intérieur, elle parvient à se hisser jusqu'à l'entrée du tunnel et s'y engouffrer. Quelques marches à moitié effondrées, qu'ils empruntent avec précautions de peur de glisser, les mènent à la galerie proprement dite, un boyau étriqué envahi par les algues. Puis, rejoignant le marin qui les attend un peu plus loin, ils entament leur lente progression dans le tunnel qui les mène en pente douce vers les profondeurs de la mer. Reav garde les yeux rivés au sol, la mâchoire serrée. A chacun de ses pas, le métal grince sous ses pieds, s'ajoutant au concert angoissant des échos de dégouttements d'eau ici et là. Après un temps et une marche qui lui ont paru une éternité, il finit par lever la tête vers la cloison métallique, au plafond. Elle semble soudain bien peu épaisse, en comparaison de toute cette eau qui pèse sur elle. Que se passerait-il, si la galerie venait à s'effondrer sous leur poids ? Finiraient-ils comme leur guide ? Reav inspire plus fort.

- Ça va ?

Lyz tire sur sa manche humide, l'obligeant à baisser les yeux vers elle. Elle l'observe d'un regard où semble briller de l'inquiétude. Il tente d'afficher une ombre de mine assurée.

- Oui, ne t'en fais pas pour moi, petite. Euh... Loup ? On est bientôt arrivés ?

Une eau croupie commence à envahir le sol du tunnel. D'une simple flaque verdâtre, elle passe bientôt à un mince filet qui a tôt fait de ronger et tremper leurs pieds.

- Nous arrivons au carrefour. Venez voir, appelle la voix désincarnée.

Les deux compagnons hâtent le pas, jusqu'à rejoindre le marin. D'un doigt éburnéen, il leur désigne le plafond, où une échelle à moitié dévorée par la rouille mène à une sortie scellée à la façon d'une plaque d'égout.

- C'est une sortie de secours. Plus loin, le tunnel est tellement endommagé qu'il risquerait de céder sous vos pas. On va sortir par là, ensuite il ne nous restera que quelques mètres de cimetière sous-marin avant de pouvoir rejoindre l'île. En espérant que ce ne soit plus la marée haute, ou le courant vous enverra rejoindre les morts. Peut-être même vous noierez-vous plusieurs fois d'affilée.

Le squelette n'ajoute rien, il se contente de les fixer quelques secondes. L'espace d'un bref instant, Reav semble prêt à dire quelque chose, puis finit par baisser les bras et se murer dans un mutisme maussade. La créature le contemple encore un moment de ses orbites vides, puis se retourne vers la plaque obstruant leur sortie, bloquée par une vanne circulaire. Il monte un ou deux échelons, ce qui lui permet d'atteindre le cercle de métal, et commence à tirer dessus dans un grincement poussif. Reav jette des regards angoissés au plafond, qu'il craint de voir s'écrouler sur lui à tout moment. Ses dents tremblent un peu plus à chaque nouvelle plainte du mécanisme. Il déglutit péniblement. Les crissements s'intensifient, de plus en plus sinistres, jusqu'à ce qu'un énorme craquement éclate soudain dans le silence tendu et humide. Le squelette, impassible, toujours souriant, contemple au-dessus de lui sa main osseuse restée misérablement coincée sur la vanne, puis le moignon désormais au bout son poignet. Quelques lourdes secondes s'égrènent sans aucun bruit si ce n'est celui des dégouttements d'eau, puis le marin se tourne vers Reav.

- Vous pourriez me donner un coup de main ? demande-t-il, la voix inexpressive.
- Euh... oui, bien sûr. Attendez...

L'homme se hisse jusqu'à l'ouverture scellée, se tient d'un bras aux échelons couverts de rouille, et, de l'autre, tente de récupérer le membre resté coincé. Après quelques minutes à s'échiner pour desserrer l'étreinte crispée des phalanges, avec force craquements au passage, il finit par redescendre, son trophée à la main.

- Tenez, voilà. Vous voulez que je me charge d'ouvrir ça ?
- Si vous voulez, accorde le mort. Mais faites attention à la marée haute.
- Et, euh... – Reav se racle la gorge – il n'y a pas un moyen de savoir si c'est marée haute ou non ? Je veux dire... vous devez bien connaître ces rivages, non ? Alors en fonction du temps qu'on a mis à parcourir le tunnel...
- Allons donc, s'étonne soudain son interlocuteur avec ce qui ressemble de loin à un rire, vous croyez encore à ces boniments que vous servent certains vieux marins ? Mais mon ami, vous devez bien savoir que c'est complètement absurde. Impossible de prédire une chose pareille. On change bien trop souvent de lune, vous comprenez.
- De lu... Mais oui, bien sûr, de lune... je dois être stupide ! lance Reav avec un gloussement nerveux. Ce que vous êtes en train de me dire, c'est qu'il y a cinquante pour cent de chances que nous ouvrions cette vanne pour nous retrouver engloutis dans ce tunnel ou emportés par le courant ? Et il n'y a pas un moyen d'empêcher ça ? Qui a pu concevoir des plans pareils ?!
- C'est son château, répond simplement le squelette détrempé en indiquant Lyz d'un geste du menton. De toute façon, sous l'eau plus rien n'a d'importance.

Reav se prend la tête dans les mains dans un geste de dépit. Quand il les retire, la fillette le regarde d'un air désolé, une pointe de tristesse dans la candeur de ses yeux.

- J'ai fait quelque chose de mal ? demande-t-elle d'une voix chevrotante.

L'homme hésite un instant, soupire puis revêt un maigre sourire.

- Tu ne pouvais pas savoir, petite. C'est comme ça, les rêves. Au pire, ça deviendra un cauchemar, mais ça finira, d'une manière ou d'une autre. Tu es prête ?

Lyz plisse les lèvres, murmure un faible « Désolée », puis hoche la tête avec vigueur.

- Très bien, alors allons-y. Quand je te le dirai, tu prends ma main et tu la serres très fort, d'accord ?

Nouveau hochement de tête. Reav lui jette un dernier regard avant d'actionner péniblement la vanne, presque coincée depuis tout ce temps sans avoir été utilisée. Quelques minutes et efforts plus tard, le mécanisme cède, et l'homme en noir s'apprête à repousser la plaque à l'extérieur.

- Maintenant, petite.

Sans mot dire, Lyz s'exécute : sa main gracile va se nicher dans celle de Reav, qui l'étreint fermement. Avec un dernier soupir, il gravit encore un échelon puis pousse de toutes ses forces, et le déluge s'abat sur eux.

L'eau déferle avec violence dans le tunnel, manquant de les faire chuter de leur perchoir et tomber au sol. Reav s'accroche du mieux qu'il peut tout en tentant d'avancer vers la sortie. Il y parvient finalement, seulement pour voir la brutalité des flots s'intensifier : le courant meurtrier l'emporte bientôt sans qu'il puisse résister. Sa vision devient floue. Un instant, il aperçoit la lumière filtrer depuis la surface, bien plus haut, puis les fonds marins recouverts d'algues, puis de l'eau, partout. L'air commence à lui manquer. Il hoquette, avale encore plus d'eau. Il ne sait même plus s'il tient encore la main de la fillette, dans ce tumulte. Il ne croit pas. Et s'il ne se réveillait pas ? S'il n'y parvenait pas ? Le courant l'emporte encore plus loin, et il peut distinguer de vagues formes sombres au fond de l'eau, qui s'approchent de plus en plus vite à mesure que la force des flots l'entraîne dans leur direction. Il se débat, tente de nager vers la surface, de pousser depuis le fond, mais c'est peine perdue : le courant balaie tout, et bientôt les formes sombres se précisent. Des statues en pierre, d'hommes et de femmes à l'air étrange. Le mouvement de l'eau l'emmène vers elles à toute vitesse. Dans un réflexe, il tente de se protéger de ses bras, de s'accrocher à l'une des statues. Une de ses mains attrape une épaule, l'autre s'écrase violemment sur un torse rocheux. La douleur arrive presque tout de suite après, fulgurante, et l'oblige à fermer les yeux. Quand il les rouvre, malgré sa vision floue, il discerne maintenant clairement le visage de pierre qui lui fait face. Il a l'expression terrifiée de ceux qui savent qu'ils vont mourir.

Merci à ceux qui auront pris le temps de me lire :-)

Mandoulis Mandoulis
MP
Niveau 25
21 février 2014 à 02:55:47

Fiiiiirst! :-p

C'est magnifique! :cute:

"Un isthme asthmatique" :bave:
"clabaudages" :bave:
"éburnéen" :bave:

J'ai été littéralement transporté! J'ai eu l'impression d'être dans un film de Tim Burton, j'ai collé le visage de Johnny Depp à celui de Reav, c'est tellement... je sais pas comment dire, mais ça lui ressemble tellement. :cute:
Le décalage total entre les dialogues simplistes avec la fillette et les descriptions travaillées nous transporte dans ce monde absurde du rêve, on s'imagine tout, on y est. C'est beau, c'est fluide, c'est chantant... 'Fin c'est parfait! :coeur:

Aucun point négatif. :hap:

Combien de temps dois-je mourir d'attente pour espérer la suite? :cute: Des pavés comme celui-ci ne m'effraient point, poste tout, et je lirai dans l'instant! :cute: (Pour preuve, j'ai pas pu attendre demain matin quand j'ai vu ton texte... :noel: )
Je m'en vais rêver de fillettes et de magiciens, de squelettes et d'océans...

Merci! :coeur:

Abrahel-Meistr Abrahel-Meistr
MP
Niveau 8
21 février 2014 à 08:48:39

Je plussoie Mandoline :)

Très bon texte! Un vocabulaire qui est riche, une style très agréable à lire :3

J'aime particulièrement certains jeux de mots :D (j'adoooooore les jeux de mots)
- C'est ton rêve, après tout. Après toi...
- Vous pouvez me donner un coup de main (pour récupérer la main..)
- Etc.

Ce que j'ai adoré aussi, mais où je t'ai eu grillé au premier instant de doute de Raev, c'est le fait que le rêveur était Raev. Au départ, tu nous fais croire que c'est la fillette, mais en fait non! Et même si tu laisses de gros indices... Je suis ravie de ce retournement!

Mon petit bémol va pour la fin. Prévois-tu une suite? Si oui, pas de soucis :3 Mais qui est Pierre, qui a la mine terrifiée de celui qui sait qu'il va mourir? Ou est-ce une visage de pierre, sous entendu statue? Cependant... j'aime tout de même ce côté incertain et jeu de mots :)

Bref, bonne continuation, tu as un sacré potentiel :D

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
21 février 2014 à 11:02:09

Mand : ben... merci :p) J'avais pas pensé à l'éventuel côté "burtonien" mais c'est cool, j'aime bien Burton :) Par contre la suite devient un peu plus sombre niveau ambiance, je ne sais pas si ton petit coeur de hippie en ressortira toujours aussi rêveur :hap: Quant à la suite... la deuxième partie devrait pouvoir suivre dans pas trop longtemps. Les deux dernières, je sais pas trop, j'ai tenté des trucs dont je suis pas du tout sûre, j'aimerais bien au moins avoir l'avis d'Apolo et retravailler en fonction de ça avant de poster ^^

Abrahel : merci à toi aussi ! :) Oui, comme précisé dans mon petit blabla avant le texte (je devrais sans doute moins raconter ma vie dans mes introductions de topic :fou: ), il y a une suite, je n'ai posté là que la partie 1 sur 4. Contente que certains jeux de mots passent bien au moins pour une autre personne. :noel: Niveau scénario, ce que tu me dis me rassure et en même temps ça m'ennuie. :fou: Je n'en dirai pas plus avant d'avoir posté le reste.

Al-Tes Al-Tes
MP
Niveau 10
22 février 2014 à 02:01:10

Attention, longue critique en approche, mon général.

________________

C'est vrai qu'il y a un côté Tim Burton. Mais Tim Burton en Bretagne, alors. ^^

Ma foi, c'est pas mal du tout. Le style est fluide, la lecture agréable, le vocabulaire riche tout en évitant les tournures alambiquées. J'ai beaucoup apprécié aussi l'absurde des dialogues du squelette, et le « vous voulez bien me donner un coup de main ? », placé comme ça, mine de rien mais avec aplomb , est simplement excellent.
J'adore les jeux de mots au moins autant qu'Abrahel.

En revanche, j'ai, moi, des points négatifs :sournois:
(Rien de bien méchant, mais si on ne les signale pas, comment s'améliorer ? :-))) )

--> Les noms des personnages. Je ne sais pas pourquoi, mais ils ne sonnaient pas très bien dans ma tête.
Lyz : pourquoi pas Liz ou Lise ? Parce que les y c'est plus stylé ?
Reav : ça fait tellement « prénom de héros de fantasy noire ».
Je vois d'ici la scène : « Je me nomme... Reav », dit-il en rajustant négligemment ses cheveux de jais dérangés par le souffle maussade du vent marin.
Je ne peux pas m'empêcher de le prononcer à l'anglaise dans ma tête, et ça frise un peu le cliché, ainsi que ma tignasse.
D'ailleurs, tant qu'on est à parler de pilosité crânienne, la description « cheveux de jais » est une expression que l'on rencontre trèèèès souvent. Trop souvent. Elle est en passe de devenir un cliché, si ce n'est déjà le cas.

--> Isthme asthmatique : ce n'est pas vraiment un point négatif, plutôt l'intuition que l' « asthmatique » a été mis là pour le jeu sur les sonorités... au léger détriment du sens. Je voulais simplement le faire remarquer.

--> J'aime bien ton vocabulaire, dans l'ensemble. Mais « clabaudages » et « éburnéen » étaient-ils vraiment nécessaires ? Je trouve que c'est presque en faire trop. En particulier « éburnéen » que je range dans la même catégorie que « smaragdin », « marmoréen », « chtonien » (même si je l'aime bien celui-là) et, dans une moindre mesure, « cyclopéen ». Ce sont des épithètes qui, s'ils peuvent être beaux en soi – quoique je doive t'avouer qu'éburnéen et marmoréen ne remportent pas particulièrement mes faveurs –, gonflent les phrases inutilement.
Au milieu d'un vocabulaire certes riche, mais qui sait rester simple, sans prétention, on a un adjectif à mille euros qui arrive avec ses gros sabots et écrabouille la phrase. Ce n'est pas de mon goût car je trouve, au fond, qu'il dépareille le style. Dommage.

Et enfin, dernier point négatif, juste pour le fun :
--> « King, P.K. Dick, Lovecraft et Pratchett, pour ceux à qui ces noms diraient quelque chose. » Comment as-tu pu douter de notre culture à ce point ? :noel:
(Bon, je n'ai jamais lu les noms connus que sont King et Dick, en vrai ^^)

--crazymarty-- --crazymarty--
MP
Niveau 10
25 février 2014 à 13:25:41

Lu.

Je vois que mon incroyable style a fait des émules. C'est bien. J'aime me faire mousser :noel: ...
Bon blague à part, redescendons sur terre. Cela faisait très longtemps que je n'avais pas lu quelque chose de ta plume, et je dois dire que je suis bien bluffé. Les souvenirs de complexitude qui me restaient coincés en gorge se sont évaporés, pour laisser place à une clarté qui n'a d'égale que la noirceur de l'univers que tu dépeints.
Al parlait d'un coté "Burtonien" (ololz, Kom je suis fort, je trouve de nouveaux adjectifs). Ca m'a fait le même effet que les films dudit génie, le coté fun en moins. Ca reste quand même bien glauque à souhait :hap: .

Coté technique, rien à redire. C'est impeccable à mes yeux de néophytes. J'ai même découvert quelques nouveaux noms vachement keuwl, j'essayerai de les retenir. Je suis très très fan de ce style que tu as choisi, à la fois simple et percutant.

Coté forme, je suis un peu resté sur ma fin. Je trouve la chute vachement sèche. Il manque un petit truc à mon gout, mais ne sachant quoi, je vais me contenter de la fermer et d'applaudir.

Voilà voilà. Une très bonne impression donc :-) .

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
25 février 2014 à 18:11:36

Al' : merci de ta lecture ! :) Ce que tu me dis sur certains mots de vocabulaire confirme un peu ce que je craignais mais à force de relire, ça me semblait de plus en plus naturel jusqu'à ce que ça ne me choque plus ^^ Je remplacerai ça, donc.

Bon par contre, "Reav" oui il faut clairement l'imaginer prononcé à l'anglaise (ou à la semi-anglaise, avec le "i" long anglais). J'ai juste pioché dans ma "banque de données" de noms celui qui me parlait le plus sur le moment (aussi pour la proximité rive/rêve), je le trouvais pas spécialement connoté fantasy noire et je l'aime bien, moi :hap: Du coup je voulais un truc à consonance vaguement anglaise pour l'autre aussi, d'où le passage de Lise à Lyz (et je trouve ça plus joli avec un "y" sans trop savoir pourquoi, ouais :( )

Pour le reste je suis d'accord avec tes remarques. Et pour ton dernier point, je disais plutôt ça dans le sens "pour qui les aurait lus et serait à même de déceler les influences en question dans le texte" Mettons que j'aurais dû mieux m'exprimer :p)

crazy : merci à toi aussi ! :) Avoir un style plus sobre et simple c'est vraiment un truc que j'ai essayé (et que j'essaye toujours d'ailleurs) de travailler donc contente de voir que ça porte un peu ses fruits ^^

Par contre pour la "chute", encore une fois ce n'est pas la fin de la nouvelle, hein, j'ai posté que la partie 1 sur 4 là :hap:

Mandoulis Mandoulis
MP
Niveau 25
25 février 2014 à 18:30:55

" Je remplacerai ça, donc."

NOOOOOONNNN, c'est ça la "Elfi Touch"! Si tu les enlèves tous, le texte perdra ta touche personnelle... :-(

" j'ai posté que la partie 1 sur 4 là"
Ouais on attend toujours la suite... :hap:

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
25 février 2014 à 18:38:05

On parle de deux mots là, Mand, c'est pas la mort :hap: Et faut reconnaître que ça doit dénoter un peu pour qui n'est pas habitué à la """Elfi Touch""" :noel:

La deuxième partie arrivera sans doute fin de cette semaine quand j'aurai un peu le temps de la relire :p) Pour le reste... comme je suis vachement vachement moins sûre de moi niveau scénario j'attends toujours les avis de Ash et Apolo mais bon, si j'ai toujours rien je finirai bien par poster ici et je passerai au crible de vos critiques directement alors :hap: (de toute façon je pense pas que ça soit trop le style de textes d'Ash, et Apolo c'est devenu un fanboy :noel: )

Mandoulis Mandoulis
MP
Niveau 25
25 février 2014 à 18:57:07

Meh si c'est la mort... :mort: :-(

Apo est aussi incapable que moi d'émettre des critiques négatives si j'ai bien compris... :hap:
Pas avant la fin de la semaine? Tu sais te faire désirer... :noel:

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
25 février 2014 à 19:02:47

J'exagérais un peu, il m'a quand même fait une ou deux remarques sur une phrase ou l'autre. Mais bon c'est surtout les deux dernières parties sur lesquelles je doute et ce sont celles-là qu'il n'a pas encore lues :fou: Et Nato, ayant tout lu, m'a juste dit que c'était bien mais que si on a des gosses plus tard, ce ne serait pas moi qui leur raconterais des histoires avant d'aller dormir :noel: Ça ne m'avance pas trop ^^

Mandoulis Mandoulis
MP
Niveau 25
18 mars 2014 à 02:22:55

Je uppe afin de rappeler à Elfi que je ne la lâcherai pas, je veux la suite! :noel:

Psyclo Psyclo
MP
Niveau 10
18 mars 2014 à 11:16:32

un dosage des métaphores bien maîtrisé.
"Un isthme asthmatique serpente jusqu'au château, comme une langue de sable malade." --> un peu de mal avec celle-là, la virgule n'étant pour moi pas essentielle du tout. Mais ça va avec le ton assez doux, contemplatif du rêve de la gamine.
petit bémol aussi dans le parlé de Loup : Dans une phrase il parle de "caresse iodée-douce amère" et dans l'autre de "passer l'arme à gauche" ce qui me dérange c'est qu'il semble parler d'une façon très distinguée et que l'instant d'après il use d'expression populaire et même le "si vous voyez ce que je veux dire" est fort familier. Après, c'est p-e voulu, j'attends que tu m'en dises plus.
Après le "c'est l'entrée", je trouve que le "précise-t-il sans réel besoin" n'est pas utile, après c'est peut-être voulu aussi j'en sais
rien...
les phrases que répètent souvent le loup me font un peu penser aux punchlines de grippe-sou le clown :hap: (tout le monde flotte en bas georgiiie)

fond :
c'est très bien écrit, de belles phrases, aucune erreur, aucune coquille, une atmosphère pesante, le monde du rêve est toujours un monde attrayant.... Y'a aussi quelque chose d'intéréssant, tu vois, dans les trucs que j'ai relevé, difficile de savoir si c'est voulu ou pas...et ça augmente le côté ambigu et nébuleux du rêve dont on se souvient à peine au matin.
J'ai un peu galéré sur la fin par contre : le magicien est pas un personnage qui n'existe que dans les rêves ? Pourquoi aurait-il peur de ne pas se réveiller ? les hommes et les femmes en statut de pierre, pourquoi en pierre ? cela veut-il dire qu'en fait à chaque fois elle pétrifie des gens dans son château ou... j'sais pas je suis dans l'flou :hap:
sinon, c'était plutot cool.

ps : tu aimes K. Dick ? T'as lus quels bouquins de lui ?

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
19 mars 2014 à 12:34:27

Bon bon, chose promise, chose due, voici donc la suite. C'est la partie 2 sur 4, et j'ai l'impression diffuse que c'est plus lourd que le début, mais à force de relire je finis par ne plus faire qu'interchanger entre deux variantes de certaines phrases selon mon humeur :fou: Psyclo, je te réponds juste après ^^

(Les quelques passages qui devraient être en italique sont toujours entre astérisque. Et j'espère que j'aurai bien remis tous les tirets :( )

II. Sang et sol

Quand il revient à lui, le ciel le dévisage d'un air sombre. L'orage s'est calmé, mais la pluie tombe toujours. Des dizaines de gouttes froides viennent s'écraser sur lui avant qu'il ne réagisse enfin en clignant des yeux puis en secouant la tête. Son corps, bien qu'encore un peu engourdi, lui fait l'effet d'avoir été traîné sur une distance interminable. Il tente de se redresser, mais sa tête tourne. Sa main le lance furieusement, et il laisse échapper un sifflement aigu lorsqu'un réflexe l'amène à s'appuyer dessus, avant de retomber lourdement sur le sable mouillé.

- Reav ? appelle une voix timide à sa gauche. Ça va ?

Tournant la tête vers Lyz, qui a l'air indemne, il lui adresse un sourire tremblotant pour tenter de la rassurer.

- J'ai vu mieux, mais ça peut aller.
- Vous avez eu de la chance, la mer vous a recraché. Vous auriez pu rejoindre les morts. Ils vous auraient bien aimé, je crois. Vous êtes-vous noyé ? Combien de fois ?

Reav pivote de l'autre côté, où le crâne du marin, séparé de son corps, fixe sur lui ses orbites toujours aussi vides. Il ne peut réprimer un frisson.

- Loup. Vous êtes... toujours là.
- Si l'on peut dire. Le tambour de la mer n'a pas été tendre avec moi, comme vous voyez... Je ne pense pas que je vous accompagnerai plus loin. Ce n'est pas mon domaine, de toute façon, et sans corps je ne vous serais d'aucune utilité.
- C'est... dommage.

Le crâne ne bouge pas, ne peut pas bouger, mais Reav a l'impression qu'il sourit plus fort, et ne parvient pas à soutenir ce regard creux plus longtemps. Les dents serrées, il s'appuie sur sa main valide et se redresse en position assise, se couvrant le visage de ses doigts tremblants.

- Tu es sûr que ça va ? s'enquiert la petite fille un peu plus loin, l'air désolé.
- Ça va, ne t'en fais pas pour moi. On est ici pour ton château, non ? On est encore loin ?
- Je ne crois pas. Il y a un escalier. Tu vois ?

Du doigt, elle lui montre l'escalier en question, guère plus qu'une série de marches à peine visibles de la plage. Taillées dans les cimes brutes des falaises couvertes d'algues, elles mènent en pente escarpée vers la forteresse perchée plus haut.

- Le début est un peu plus loin, ajoute encore Lyse, par là.
- Je vois... – Reav jette un oeil dans la direction indiquée, réfléchit un moment – quelques centaines de mètres de plage, un peu d'eau... ça ne devrait pas prendre très longtemps. Je suppose que c'est là-bas que débouchait le tunnel, à l'origine. Tu te sens d'attaque, petite ?

Lyz acquiesce, presque avec entrain.

- Bon, aide-moi à me relever, tu veux ? J'ai l'impression d'avoir été battu contre une enclume.

Elle s'exécute, le tire par un bras avant de se placer sous son épaule. Reav se redresse tant bien que mal, laisse sa main s'attarder sur l'échine de la fillette, l'espace d'un instant, puis la ramène sur son propre front pour chasser en vain les gouttes de pluie piégées dans ses mèches tombantes. Après quelques étirements craintifs, l'homme hoche la tête, satisfait.

- Merci. Loup... on y va. Est-ce qu'on peut, eh bien... faire quelque chose pour vous, pour votre corps je veux dire ?
- Ne vous dérangez pas. La marée me le rendra, ou me ramènera à lui. Ce n'est pas la première fois que cela se produit. Je doute de pouvoir jamais retrouver mon trident, par contre. Je devrai trouver un autre moyen d'envoyer les importuns rejoindre le cimetière, je suppose. Je l'aimais bien, pourtant. Je pouvais y coincer une gorge, transpercer tout ce qu'il me plaisait... D'un point de vue ergonomique, je ne pense pas trouver mieux dans le fond de mer.
- ... Désolé pour vous. Vous savez, fait Reav d'un ton hésitant, comme s'il ne croyait pas à ce qu'il est en train de dire, il existe des harpons qui pourraient vous intéresser, vous devriez peut-être vous renseigner. Juste au cas où.
- J'y songerai quand je ne serai pas occupé à me noyer, mon ami, merci.
- Eh bien, adieu, dans ce cas. Bon vent.
- Au revoir, Loup ! ajoute Lyz d'un ton enjoué. Tu es le bienvenu dans mon château quand tu veux.

Le crâne ne répond pas, se contente de la fixer de ses yeux absents. Reav lui tourne le dos aussi vite que possible, déjà un peu plus serein, même si un malaise diffus l'accompagnera jusqu'à ce que les restes du marin soient totalement hors de vue. Il prend la main de Lyz et se met en marche, d'un pas un peu claudicant. L'eau et la pierre ne l'ont guère épargné : il peut sentir ses muscles le tirailler dans ses jambes, et les courbatures lui donnent l'impression d'avancer au ralenti comme un mécanisme grippé. Le sable n'arrange rien, même rendu un peu humide par la pluie. Le moindre galet qui passe à sa portée fait les frais de sa douleur contenue en allant valdinguer quelques mètres plus loin, projeté par un coup de pied rageur. Lyz paraît ressentir sa nervosité, peut-être parce qu'il serre trop sa main, et lui jette quelques regards scrutateurs.

- Tu es sûr que ça va ? T'as pas l'air.
- Ma main me fait mal, grommelle Reav. C'est rien.
- Alors on peut avoir mal dans un rêve ?
- Visiblement.
- Désolée, murmure-t-elle craintivement. Je voudrais pouvoir faire quelque chose...
- Ne t'en fais pas, ça ira. On devrait bientôt arriver à l'escalier, de toute façon.

Comme pour lui donner raison, le temps semble soudain s'accélérer, et sans trop savoir comment les deux rêveurs ont progressé de plusieurs centaines de mètres en quelques secondes, comme s'ils avaient été téléportés. La plage qu'ils parcourent s'est considérablement rétrécie, et ne reste plus devant eux qu'un mince filet de sable léché par les eaux, qui débouche à droite sur l'escalier. Tout droit, un peu plus loin, Reav discerne plusieurs poteaux de bois défraîchi plantés à une extrémité dans l'écume, l'autre fichée dans la roche à pic qui les surplombe. A cette distance, un étrange mouvement semble vaguement les agiter, que l'homme écarte d'une secousse de la tête comme de probables phosphènes. Puis il cligne des yeux, bouche bée. Un instant, juste un instant, la mer lui a paru rouge de sang, avant de recouvrer son gris tempête originel. Il s'arrête.

- Tu as vu ça ? fait-il, interloqué.
- Vu quoi ? demande Lyz, ses sourcils froncés donnant soudain un air étrangement adulte à son visage.
- La mer... tu n'as rien vu de spécial ?
- Je regardais l'escalier. Tu as vu quoi de spécial ?
- ... rien, c'est... c'est pas important. Continuons.

La fillette hésite puis hoche la tête, et ils reprennent leur marche. Reav lève les yeux vers le ciel gris, où le soleil brille derrière les nuages et l'éblouit quelque peu malgré le mauvais temps. Puis il les ramène vers le sable où s'échouent encore des gouttes de pluie. Quelques mouvements vifs apparaissent soudain à la périphérie de sa vision. Lorsqu'il tourne le chef pour voir de quoi il s'agit, cependant, il n'y a plus rien. Un soupir s'échappe de ses lèvres frustrées. *Le château a intérêt à en valoir la peine*, songe-t-il tandis que les mouvements reviennent, plus nombreux cette fois. Reav serre les dents, préfère ne pas alarmer la petite fille qui avance d'un pas léger à ses côtés, mais les tressautements se font de plus en plus fréquents dans son champ de vision à mesure qu'il approche du bout de la jetée sablonneuse. Puis, enfin, quelques pas supplémentaires l'amènent à discerner ce qui le tourmente : les puces de mer, incroyablement rapides, semblent converger en grand nombre dans cette direction. Reav exhale un nouveau soupir, de soulagement cette fois.

- Tu as vu ça, petite ? sourit-il en désignant les crustacés. On dirait qu'elles vont vers les poteaux.

Lyz fixe les animaux d'un air incrédule, qui paraît partagé entre le dégoût et l'émerveillement. Malgré sa démarche boiteuse, Reav l'emmène vers le bout de la plage en quelques enjambées enthousiastes. Son visage, qui s'était éclairé, se plombe cependant tout à coup. Abasourdi, il découvre enfin l'origine de ce qu'il prenait jusque là pour un simple effet d'optique. Les poteaux sont en fait entièrement recouverts d'une masse grise et grouillante de centaines, de milliers de puces. Pire encore, il réalise soudain ce qui lui avait paru si étrange à leur sujet un peu plus tôt mais qu'il n'avait pu identifier, pris de vitesse par la vivacité des créatures : à une extrémité de l'animal, là où auraient dû se trouver les mandibules, les antennules et les yeux noirs des crustacés, c'est une face humaine qui le dévisage sans expression. Les centaines d'yeux bien trop semblables aux siens clignent, impassibles, ce qui le met un peu plus mal à l'aise à chaque fois. Il titube, déglutit, finit par tomber à genoux dans le sable qui pullule de talitres en chemin vers les poteaux, dégoûté. Une nausée diffuse menace d'éclater dans sa gorge. Derrière lui, il croit entendre Lyz étouffer une exclamation de surprise.

- ... Reav ! Ça va ? Reav ?

La fillette le fixe d'un air inquiet, sa main gracile cramponnée à son épaule. L'homme déglutit à nouveau bruyamment, son regard passe d'elle aux crustacés, avant de revenir sur elle. D'un genou tremblant, il se relève.

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
19 mars 2014 à 12:39:09

- Ça va – il lui prend la main, la serre plus fort un instant – C'est passé... On monte ?

Sa compagne acquiesce avec un soulagement visible, et ils se tournent ensemble vers l'escalier massif. Les premières marches ont l'apparence de larges dalles rongées à quelques endroits par des algues rougeâtres, et encore un peu trop humides pour que la pluie en soit seule responsable. *La marée a dû diminuer un peu depuis tout à l'heure...* , songe Reav en en se demandant combien de temps il a pu rester inconscient. D'un pas prudent, il se hisse sur le premier rocher.

- Fais bien attention, petite. Ça glisse. Et j'ai l'impression que ça devient très escarpé plus loin, ajoute-t-il en scrutant l'horizon. Tiens, donne-moi la main, je vais t'aider.

Lyz s'exécute en fixant le sol, attentive. Quelques creux mangent la pierre, où s'est attardée de l'eau et, avec elle, divers coquillages insouciants. Certains, au plus proche de la surface, luisent tant au soleil qu'ils en prennent des airs de trésors engloutis. La petite fille ne peut s'empêcher de s'arrêter de temps à autre pour en ramasser un particulièrement attirant, sous le regard attendri de Reav. Elle trouve même une étoile de mer qu'elle glisse avec précautions dans une poche avant de repartir. Ils parcourent ainsi quelques dizaines de mètres , les vestiges du passage de la mer s'estompant peu à peu jusqu'à disparaître. Les marches se font plus hautes, plus étroites aussi. Lorsque l'homme en noir jette un oeil en bas, la distance qui les sépare déjà du sol le fait sourciller un instant. Il n'a pas le souvenir d'être tant monté, mais écarte cette impression d'un petit haussement d'épaules. Sans doute un effet de la marée descendante. Ou du rêve. Secouant la tête, il se concentre à nouveau sur la roche abrupte, à ses pieds, de peur de trébucher si son attention se relâchait. Une erreur très probablement fatale, à l'altitude qu'ils commencent à atteindre.

- Pas trop le vertige, petite ?
- ... Un peu, avoue-t-elle après un moment d'hésitation. Mais on dirait presque que je flotte, parfois.
- Que tu flottes ? Tiens... ça ne m'est pas encore arrivé, ça. Les rêves nous affectent différemment les uns des autres, je suppose.
- Comment ça ?
- Euh... l'effet qu'ils ont sur nous. Ce qu'ils nous font ressentir à chacun. On dirait que ça dépend des gens.

Lyz semble réfléchir un instant puis hoche la tête. Tout en continuant laborieusement à marcher, elle demande :

- Dis, tu en connais beaucoup des gens qui rêvent ? T'as l'air d'avoir déjà beaucoup fait ça.
- J'ai déjà rencontré quelques autres Rêveurs, oui. Ce n'est plus très répandu... Souvent des enfants, comme toi. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être qu'on perd la capacité en grandissant.
- Mais toi non.
- C'est vrai... Eh bien, je ne sais pas si je dois en être heureux ou pas. J'atterris parfois dans des endroits très bizarres. Enfin, je ne voudrais pas te dégoûter, c'est parfois très joli aussi, reconnaît Reav avec un sourire encourageant.
- Le mien, tu le trouves bizarre ?
- Un peu. Mais je suis curieux de voir à quoi ça ressemble, dans ton château. Je suis sûr que ça doit être très joli, si on a le temps d'aller voir avant de se réveiller.
- Tu crois ? insiste la fillette avec une excitation enfantine.
- Mais oui ! Allez, courage, on sera bientôt arrivés.

Lyz poursuit sa progression d'un pas un peu plus léger, note son compagnon, son enthousiasme apparemment ravivé. A mesure qu'ils gravissent les marches, la pluie se fait moins drue, jusqu'à s'estomper totalement. Mais ce qu'ils perdent en risques de glisser, ils le regagnent aussitôt en danger de trébucher ou s'érafler sur le sentier. Les dalles deviennent de plus en plus irrégulières et Reav remarque qu'elles s'ornent peu à peu de marques étranges, qui lui paraissent peu naturelles. Les teintes de la roche s'étaient jusque là montrées variables, mais les motifs qu'elle esquisse à présent se précisent trop pour être encore aléatoires. L'homme fixe ces taches à ses pieds d'un air songeur puis lève la tête pour vérifier si le phénomène s'étend au reste de l'escalier. Il respire avec difficulté, soudain. Des dizaines de rictus vitriolés le dévisagent depuis les creux qui séparent les marches les unes des autres. Des faciès torturés, comme creusés dans le roc. Certains ont l'air désespérés avec leurs grands yeux de pierre, d'autres arborent un large sourire, mais la plupart affichent une expression grimaçante qui fait frissonner Reav.

- ...hein, Reav ? Pourquoi on s'arrête ?

Lyz, dans son dos, tirant sur sa manche pour le faire réagir. Abasourdi, il semble ne pas l'avoir entendue la première fois. Il soupire, se calme un peu.

- Regarde, les marches... ça m'a surpris, c'est tout.

Il s'écarte pour qu'elle puisse voir, plisse les lèvres devant son expression apeurée.

- Allez, je suis sûr que ce n'est rien, rien que des dessins un peu bizarres, hein ? Viens, on continue.

Lyz n'a pas l'air beaucoup plus rassurée, note-t-il, mais elle lui emboîte le pas malgré tout. Elle ne scrute plus le sol à la recherche de trésors inattendus, cependant, elle évite au contraire un maximum d'y porter son regard. Reav y garde ses yeux rivés. Le terrain est trop traître pour s'y aventurer sans faire attention où l'on met les pieds, et puis ces rictus exercent sur lui une sorte de fascination qu'il ne s'explique pas bien. D'une démarche mal assurée, les deux rêveurs poursuivent malgré tout leur chemin pendant quelque temps, jusqu'à ce que Reav, sondant toujours les marches à ses pieds, ne remarque de nouvelles inscriptions en sus des visages.

- Attends, Lyz, je crois qu'il y a quelque chose d'autre sur cette dalle-ci... , prévient-il en passant sa main sur la pierre érodée. C'est très abîmé, mais on dirait des lettres. L...A... un B je crois, ce qui doit être un I, et ça... un M ? Il en reste encore une mais c'est trop éraflé. La...bim ? Ou bien... oh. L'abîme ! C'est un E... et ça, les vestiges d'une apostrophe, sans doute. L'abîme... mais pourquoi... ?

A nouveau, son regard remonte vers la marche supérieure, où se trouve gravé un autre mot, puis sur celle qui suit.

- « Appelle ... l'abîme ». Ah...

Dans son dos, les sueurs froides sont de retour.

- Qu'est-ce que ça veut dire ? interroge Lyz derrière lui.
- Rien de très encourageant...
- Ça devient très bizarre, non ? J'aime pas ça.
- Moi non plus, petite, moi non plus... Et là, regarde, encore des inscriptions !

Ils gravissent les quelques marches qui suivent à la hâte, puis Reav se penche pour déchiffrer les mots qui rongent la pierre.

- Ci-gisent... ci-gisent qui ? demande-t-il à voix haute.
La suite n'est pas au-dessus ?
- Non, on dirait qu'il n'y a plus rien après ça, de ce que je peux voir d'ici... mais le château se rapproche.
- C'est déjà ça.

L'homme fronce les sourcils, pensif. Perdu dans ses réflexions, il murmure à nouveau : « Ci-gisent... »

- Ci-gisent..., reprend une voix par-dessous lui.
- Reav et Lyz..., ricane une autre un peu plus loin tandis que les intéressés jettent tout autour d'eux des regards paniqués.
- Et tous ceux... , hurle une troisième quelques mètres plus haut.
- Qui ont tenté...
- De gravir ... l'escalier ! conclut une dernière avec des accents lascifs, juste à leurs pieds.

A leur grande horreur, ayant baissé les yeux juste comme elle profère les derniers mots, ils voient en même temps qu'ils sentent le creux dans la marche s'ouvrir au rythme de ses paroles, avant de retourner dessiner un sourire tordu. Les trous formant les yeux, paraît-il à Reav, se sont aussi plissés, l'espace d'un instant. Bouche bée, il resserre son étreinte sur le poignet de Lyz.

- Petite... je n'ai pas rêvé, hein, tu as vu et entendu comme moi ? questionne-t-il d'une voix dont il ne peut maîtriser totalement les tressautements.
- Oui... souffle sa partenaire d'un ton tout aussi apeuré. - L'escalier est vivant, tu crois ?
- Vivant... entendent-ils un peu plus bas cette fois.
- Ou mort !

Une sorte de rire caverneux ponctue l'interruption. Reav cligne des yeux, comme s'il pouvait par là effacer la scène d'horreur absurde qui se déroule devant lui comme l'escalier. Les poils de sa nuque se sont hérissés comme jamais, de la sueur baigne son front malgré le vent marin qui souffle sur la plage en contrebas. Il voudrait pouvoir courir, enchaîner les marches quatre à quatre jusqu'au portail du château, qu'il voit se dresser à quelques centaines de mètres dans la brume, mais le chemin est bien trop accidenté pour qu'il s'y risque. Par endroits, la roche semble tellement érodée qu'elle pourrait s'écrouler sous ses pas. Sans compter les vibrations des dalles lorsqu'elles ouvrent leurs « bouches » monstrueuses. Il secoue la tête, reprend un peu ses esprits malgré la peur qui noue son estomac.

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
19 mars 2014 à 12:39:42

- Ecoute-moi bien, petite, fait-il en se tournant vers la fillette crispée autour de son bras. Je sais que tout ça est très bizarre, et sans doute assez effrayant pour toi comme pour moi, mais on n'a plus trop le choix, maintenant, il faut continuer à avancer. Le château est beaucoup plus proche que la plage... Tu comprends ?

Lyz le fixe un instant avec une angoisse bien visible, jette un oeil sur le chemin parcouru en arrière, puis sur les contours flous du château qui s'ébauchent à l'horizon. Il n'est encore qu'une vague forme grise, qu'un bloc barbouillé par un trait de pinceau brouillon. Mais au moins il est visible et cela semble la rassurer un peu.

- D'accord, Reav, finit-elle par concéder avec réticence. Si tu dis que c'est ce qu'il faut faire.
- C'est juste la moins mauvaise solution, je pense... Bon. Il faut avancer assez vite, mais pas trop vite non plus parce que ça reste très dangereux, d'accord ? Tiens-toi bien à moi et ça devrait aller.

Sa mâchoire tressaute. Ça pourrait être le froid de ses vêtements encore humides sous la brise qui ferait enfin effet, mais l'homme mise plutôt sur la peur. *Si seulement cette sorte de téléportation pouvait encore avoir lieu... c'est maintenant qu'on en aurait bien besoin*, songe-t-il avec amertume. Empoignant Lyz d'une main décidée, il reprend sa montée des marches d'un pas un peu plus vif, scrutant toujours le sol pour pouvoir déjouer d'éventuels pièges du terrain. Ses jambes meurtries protestent contre l'effort qu'il demande d'elles. Il serre les dents, accuse le coup. Comme il l'a si bien fait remarquer à la fillette qui tente tant bien que mal de le suivre, il n'a pas trop le choix. Il parcourt le reste du chemin dans un état second : il essaye de se concentrer sur les irrégularités à ses pieds tout en faisant abstraction des paroles lugubres lancées par les dalles. Les vibrations dans le roc le déséquilibrent à quelques reprises, mais il parvient à se remettre d'aplomb. Plus de peur que de mal, jusque là, même si l'angoisse tend ses nerfs à les en rompre. Ses poings ont blanchi à force de rester serrés, au bout d'un moment il ne sent même plus la douleur de son poignet meurtri lors de sa dérive. Il ne parvient plus à maîtriser les tremblements qui l'agitent, plus forts à chaque nouvelle provocation de l'escalier. Ces fanfaronnades s'entremêlent dans l'esprit de Reav, accompagnent chacun de ses pas. « Qui fait le malin... tombe dans le RAVIN ! », en vociférant le dernier mot. « Sentiments chroniques de vide », d'une voix grave et languide. « Trompe-la-mort », comme un souffle dans son dos. Il ignore depuis combien de temps il marche ainsi, traînant derrière lui une Lyz pantelante. Il a perdu toute notion du temps dans sa frayeur, si tant est que la notion du temps puisse être correctement conservée dans un rêve de toute façon. Mais peu à peu, le vent qui s'intensifie semble l'apaiser. Au sol, il remarque enfin que les rochers gris et leurs visages ont fait place à une pierre noire presque uniforme, de la même couleur que le château qui se dresse non loin. La brume qui enveloppe ses hauteurs vient presque lécher leurs pieds. Le rêveur peut encore entendre l'écho des voix dissonantes essayer de le poursuivre, mais elles sont loin derrière lui à présent.

- Ça va, petite ? Tu tiens le coup ? s'enquiert Reav en s'autorisant enfin de tourner la tête en arrière.
- Je suis... fatiguée, répond sa compagne d'aventures, sa respiration saccadée. J'ai eu peur...
- Pour être honnête, moi aussi. Mais je pense qu'on est tirés d'affaire, au moins pour l'instant. Il ne reste que quelques dizaines de marches avant d'arriver à ton château. Il a l'air très imposant, vu d'ici.

La pensée que l'impressionnant édifice soit de son fait paraît raviver quelque peu son enthousiasme et sa joie perdus, car c'est avec un petit sourire que Lyz ajoute :

- Oui, il est vraiment très grand ! Mais ce qu'il y a autour, c'est quand même vraiment bizarre...
- C'est vrai, soupire Reav. Tu sais, peut-être qu'on rêve pour aller à des endroits qu'on n'a encore jamais vus, pour découvrir les désirs cachés au fond de notre esprit.
- Tu crois... que je désire tout ça ?
- Ce n'est pas ce que j'ai dit.
- Je ne comprends pas, alors.
- Je ne comprends pas très bien moi-même, petite, rassure-toi. C'est juste une idée comme ça. Quand tu rêves depuis un certain temps, tu te poses des questions. Tu trouves parfois des réponses, pas LA réponse, mais des idées, tu vois ? Parfois je pense aussi que les rêves sont peut-être des souvenirs d'univers parallèles au nôtre, des échos de « nous » alternatifs qui parviennent jusqu'à nous... ou qui nous rappellent qu'on a un jour existé dans d'autres mondes que celui-ci. Et puis, un rêve, ça peut aussi être un univers complet en soi, un vaste monde avec sa propre ligne du temps. Peut-être qu'on peut vivre des millénaires d'histoire en une nuit de sommeil...

L'homme en noir laisse son regard dériver sur l'horizon. Après quelques instants, il le ramène sur Lyz, qui paraît complètement perdue même si elle n'ose sans doute pas l'interrompre. Un sourire rêveur vient se loger sur ses lèvres.

- Enfin, ça doit te paraître bien compliqué, tout ça. Laisse tomber, ce n'est rien, je divague. Et si on reprenait notre route tranquillement jusqu'à la porte de ton château, qu'est-ce que tu en dis ? On n'est plus aussi pressés qu'avant, mais le ciel s'assombrit on dirait. Je ne sais pas du tout comment marche le temps ici mais j'aimerais autant arriver à l'intérieur avant la tombée de la nuit.
- Je pense aussi que c'est mieux, acquiesce la petite fille. - On y va alors.

Elle reprend sa main et lui emboîte à nouveau le pas. Il soupire, soulagé, avant de poursuivre sa marche à une allure moins exigeante. La brume qui commence à les entourer lui donne l'impression de marcher au milieu des nuages. Elle rend les contours du château confus et difficiles à bien cerner depuis cette distance, mais bientôt ils s'approchent assez pour distinguer le bâtiment de façon plus nette. Ce que Reav avait cru voir depuis la plage lui est confirmé lorsqu'il jette un oeil en contrebas : la forteresse, d'une hauteur impressionnante, a sa partie inférieure régulièrement battue par les flots. La marée encore assez basse laisse entrevoir la pierre rongée par des algues et des lichens délavés. La base de l'édifice, aux formes abruptes mais travaillées, se perd au sol dans les rochers qui l'entourent, comme si on l'avait taillé dans un énorme bloc déjà présent, ou qu'il avait comme poussé là. Des chemins couverts du fond de mer émergent par endroits, désertés depuis longtemps. Le voyageur relève la tête avec une sensation de vertige. Il ignore quelle est la taille exacte de la forteresse, mais vu la distance qu'ils ont parcourue en dénivelé pour parvenir au niveau de la porte, il préfère ne pas connaître les chiffres exacts. D'autant que le château se hisse encore plus haut après cela, hérissé de plusieurs tours élancées qui renforcent encore plus l'impression d'élévation générale. Comme des flèches qui fuseraient vers le ciel pour toucher les nuages... ce que leurs pointes noirâtres font d'ailleurs du bout du doigt.

Reav laisse échapper un sifflement d'admiration face à la puissance et la beauté dynamique du monument. Il n'avait pas du tout imaginé cela en l'apercevant de loin. D'un pas mesuré, il franchit les dernières dizaines de mètres le séparant du portail massif en ébène. Autour des rêveurs, la brume, comme les rochers bien plus tôt, semble à la fois s'écarter sur leur passage et les envelopper dans son voile laiteux. L'escalier s'élargit sur un belvédère aux bords escarpés, juste devant le porche. Deux poignées circulaires sont attachées par une extrémité à la porte.

- Bon... je suppose qu'on y est enfin, soupire Reav. Je te laisserais bien l'honneur d'ouvrir mais ça doit être trop lourd pour toi.

Lyz hoche la tête, lui lâche le bras pour le laisser s'approcher du portail. Après s'être solidement campé au sol, il empoigne les anses métalliques en essayant de ne pas trop mal positionner son poignet endolori et tire, de toutes ses forces. Le contact est d'abord froid dans ses mains, avant de le faire crier de douleur, les yeux soudain exorbités, son mouvement interrompu.

- Reav ? Qu'est-ce qui se passe ?!

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
19 mars 2014 à 12:39:54

L'homme ne répond pas, fixe ses mains d'un air incrédule. Une dizaine de petites piques d'acier sont apparues d'un côté à l'autre des cercles, embrochant ses membres au passage. De fines rigoles rouges coulent vers l'intérieur de ses manches. Lyz crie à son tour après avoir réalisé ce qui arrive à son compagnon, accourt près de lui. Par réflexe, il essaie de se libérer de l'emprise des anneaux en secouant les mains, mais une nouvelle vague de douleur le transperce.

- Fais quelque chose, petite... vite ! siffle-t-il entre ses dents serrées.

Lyz palpe les poignées puis la porte avec frénésie à la recherche d'un bouton ou d'un mécanisme quelconque, mais en vain. Elle ferme alors les yeux et ses traits se contractent, comme si elle se concentrait, mais elle arrête quelques instants plus tard, les larmes aux yeux.

- Je suis désolée, Reav, je trouve rien pour enlever les piques et j'arrive pas à contrôler le rêve... Je sais pas quoi faire. Désolée...
- Pas... ta faute, mais essaie encore... s'il te plaît, supplie l'homme d'une voix entrecoupée de halètements torturés.
- Je... ça marche toujours pas, Reav. Peut-être... peut-être que tu dois continuer à tirer, et que la porte te lâchera quand elle sera ouverte ?
- ... au point où j'en suis, ça vaut... la peine d'essayer, soupire-t-il après un bref moment de réflexion. Au pire j'aurai mal... après tout, ce n'est qu'un rêve, même si ça paraît si réel, c'est ça que je dois me dire. Ecarte-toi.

Reprenant appui plus fermement sur ses jambes, ses poings tant bien que mal refermés sur les anneaux pour éviter de déchirer encore plus ses mains, il prend son élan puis tire à nouveau avec ce qui lui reste de forces. Un nouveau cri s'échappe de ses lèvres mordues jusqu'au sang. Le grincement sonore de la porte lui répond comme s'il se riait de lui, suivi cependant du tintement du métal qui se rétracte. Reav tombe à genoux, ses mains poinçonnées tendues devant lui avant de les ramener dans l'ombre tremblante de sa cape. Il serre les dents, relève la tête, puis sourit malgré tout devant la vision qui s'offre à lui. Il est enfin parvenu à son but : le château l'attend.

Suledhel Suledhel
MP
Niveau 10
19 mars 2014 à 13:19:07

Psyclo :

Pour commencer merci beaucoup pour ta lecture ! :) J'essaie de trouver le temps de poursuivre ta nouvelle, de mon côté.

Alors pour ce qui concerne le parler de Loup, oui c'est un peu voulu. J'ai essayé de rendre une sorte d'entre-deux entre un personnage tout de même mystérieux et effrayant, mais avec une aura théâtrale, d'humour un peu absurde (un peu à la Pratchett et son personnage de la Mort, si tu connais ^^). C'est la même chose qui est à l'oeuvre pour le "C'est l'entrée" etc., cette théâtralité ridicule mais avec quand même une certaine tension un peu menaçante derrière. Je suis pas sûre de très bien m'expliquer, ni d'avoir très bien réussi à rendre ce que j'essaie d'expliquer dans le texte, m'enfin si ça peut t'éclairer un peu, voilà ^^ Et si au passage ça peut donner une impression de rêve un peu flou, tant mieux :fou: J'avais pas pensé au petit côté Grippe-Sou mais c'est pas plus mal non plus ^^

Sur le fond, encore une fois le texte est loin d'être fini, donc c'est normal que ça te paraisse encore flou sur la "fin" - qui n'est la fin que de la première partie sur quatre au total. La suite devrait t'apporter les réponses ^^

Et j'aime beaucoup K.Dick en général, oui. J'ai lu le Dieu venu du Centaure, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, Ubik, Loterie Solaire, Rapport minoritaire, We Can Remember it for your Wholesale (la nouvelle sur laquelle est basé le scénario de Total Recall, je connais pas le titre VF), un mini recueil "Petit déjeuner au crépuscule et autres nouvelles" dont je garde assez peu de souvenirs, et SIVA que j'ai commencé mais laissé tombé parce que j'ai pas du tout aimé :( Je crois que c'est tout. J'ai "L'Oeil dans le ciel" et "Le Maître du Haut Château" qui attendent dans ma bibliothèque.

Al-Tes Al-Tes
MP
Niveau 10
19 mars 2014 à 16:11:52

Je vais lire tout ça plus en détail.
Une première remarque tout de même : pourquoi pas de tirets cadratins pour les dialogues ?
(Oui, je suis agaçant. :fier: )

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