Fin des années 1980. Nintendo et Sega imposent le jeu vidéo comme un produit culturel de masse en s'adressant à un public plus large. Les États-Unis sont balayés par le krach du jeu vidéo depuis 1983. Pourtant, quelques cerveaux français entrent en résistance tant sur les codes culturels que commerciaux. La complicité des créateurs indépendants Éric Chahi, Paul Cuisset et Frédéric Raynal les amènera à choisir le même mécène pour produire leurs jeux : Paul de Senneville. Formidable dénicheur de talents, P. de Senneville est capable de produire le dernier disque de Polnareff, comme de s'aventurer à lancer un studio de développement de jeux vidéo. P. Cuisset est le premier à s'engager en 1988 au sein de Delphine Software, nommé ainsi en hommage à la fille de P. de Senneville. P. Cuisset pose les fondamentaux de la French Touch avec Bio Challenge sur Atari ST en 1989 : une maîtrise technique flagrante, une bande-son très soignée (P. Cuisset est musicien avant d'être développeur), une ambiance science-fiction unique, et enfin, une difficulté titanesque.
E. Chahi rejoint P. Cuisset, qui venait juste de créer le département Cinématique au sein de Delphine Software. Comme ils partagent tous deux le goût pour une S-F adulte (Dune, Soleil Vert, 2001 : l'Odyssée de l'Espace), ils créent ensemble Les Voyageurs du temps : la Menace. Il s'agit d'un des tout premiers jeux d'aventure en point n'click. L'ambition de P. Cuisset était de créer une expérience de jeu cinématographique. La cinématique d'ouverture fait date : un vaisseau extraterrestre atterrit dans une clairière tout en décimant au laser de pauvres soldats humains. À la manière d'un générique de cinéma, le titre du jeu, puis les noms des auteurs apparaissent à l'écran de façon dynamique. Les énigmes sont d'une difficulté redoutable (temps limité, impossibilité de revenir en arrière d'où blocage en cas d'oubli d'objet indispensable, la taille de certains objets (2 pixels) rend les recherches fastidieuses). Cependant, ce qui marqua les esprits ne fut pas tant la frustration due au gameplay aride que l'ambiance émanant des graphismes signés E. Chahi. Le jeu est encensé dans la presse et Delphine Software accède à la notoriété dès 1989.
F. Raynal se fait d'abord engager au sein d'Infogrames, studio de jeux vidéo français depuis 1983. Il donne vie à un genre, le Survival Horror avec Alone in the Dark en 1992, bien avant Resident Evil. La technique utilisée est révolutionnaire : il s'agit du premier jeu vidéo à utiliser des personnages animés en véritable 3D, dans des décors en 2D statiques. La narration est astucieuse : collecter les journaux et les carnets de notes permet de remonter à l'origine du chaos. Le joueur comprend surtout que les zombies qu'il affronte étaient des êtres humains, et cette idée est si bien exploitée que certains écrits suscitent plus de peur que les cinématiques du jeu. Alone in the Dark reste l'un des meilleurs hommages en jeu vidéo à l'œuvre de H. P. Lovecraft. Face au succès, la direction d'Infogrames somme F. Raynal de réaliser une suite commerciale d'Alone in the Dark, avec les mêmes ingrédients mais avec plus d'action. F. Raynal refuse catégoriquement. Another World 2, développé non pas par Delphine Software (E. Chahi, catapulté consultant, n'a en fait que prêté son nom sur la jaquette du jeu), suffit à convaincre F. Raynal de ne pas voir son nom associé à un jeu sans âme. Il quitte Infogrammes avec fracas, et c'est ainsi qu'il rejoint l'équipe d'E. Chahi, P. Cuisset et P. de Senneville.