Le collectionneur de jeux vidéo, comme tous les collectionneurs, est compulsif et éternellement insatisfait, toujours en quête. Il ne s'est pas arrêté à une console, il les veut toutes, les anciennes, les récentes, les nouvelles, les éditions limitées, les prototypes, les versions spéciales, voire les kits de développement même s'il ne sait pas programmer. Il recherche aussi tous les jeux jamais édités (de nouveau, peu importe sur quelle plate-forme, « exhaustivité » est le mot préféré du collectionneur), surtout les moins connus et les plus obscurs. Les accessoires les plus zarbis ont leur place de choix sur ses étagères et dans ses vitrines. Le salon d'un collectionneur ressemble à un musée du jeu vidéo, quand il n'a pas une ou plusieurs pièces de son logement dédiées entièrement à son hobby, glouton en espace.
Un collectionneur assigne la ligne de budget la plus élevée possible à son passe-temps dévorant, proportionnellement à ses revenus. J'en connais même certains qui ont trouvé embauche dans des boutiques ou dans des magazines de jeux, dans le seul but de se procurer les dernières nouveautés en gros et au meilleur prix (le collectionneur a le nez fin et connaît suffisamment l'histoire du jeu vidéo pour détecter le nouveau produit qui se raréfiera et prendra de la valeur au fil du temps), ou encore pour avoir accès à certains inventaires de surstocks issus du passé, auprès des différents fournisseurs de la place.
Il y a une dizaine d'années, un de mes amis, collectionneur aux revenus confortables, passait son temps à lire les magazines du monde entier, écumant les rubriques petites annonces et les pages de publicités, pour ensuite compiler un annuaire de toutes les boutiques, classées par pays et par région. Il se tapait ensuite des séances au téléphone où il appelait chacun des revendeurs un par un, histoire de leur poser des questions sur leurs inventaires et leur tarification aussi bien en neuf qu'en occase, se focalisant sur ce qu'il y a de plus vieux et de plus rare. Il avait aussi une question rituelle : « Avez-vous une PC Engine LT ? » La PC Engine LT était son Graal à lui mais il s'est toujours limité à 600 Euros pour l'acquérir. Il en a déjà eu une entre les mains au cours du siècle passé, mais il y avait une fine griffe sur l'écran et un bouton ne fonctionnait plus, il avait donc préféré passer amèrement sur cette occasion. En fonction des réponses à son questionnaire téléphonique, mon ami jaugeait la nécessité d'un déplacement, et de son urgence. Il parcourait régulièrement la Belgique et la France pour dénicher quelques trouvailles dont il avait le secret (des trucs dont je n'avais parfois jamais entendu parler alors que pourtant je me gausse moi aussi d'être un vieux routier du pad). Ce fou n'hésitait pas à se rendre une fois par an au Japon pour arpenter le district d'Akihabara, et régulièrement à Hong Kong, où disait-il, « il y a des comptoirs avec quatre mètres carrés de cartons empilés maladroitement, mais qui représentent des mines d'or » pour des pionniers comme lui. Enfin, il connaissait les plannings des brocantes et foires aux puces qui devaient avoir lieu au cours de toute l'année et à travers tout le pays, mieux que je savais l'horaire du bus qui me ramenait chez moi tous les soirs.
Ce ne fut pas le seul cinglé de mon entourage. J'ai aussi eu un collègue à qui il fallait tous les objets Mario Bros du monde, et enfin un contact qui possédait quasiment toutes les consoles de la terre (selon lui, il ne manquait que des trucs impensables, comme un prototype de l'Atari Panther, un autre de la M2, la TerraDrive, le R360...). Ce dernier prenait d'ailleurs toujours garde à posséder les systèmes dans chacune de leurs versions sorties (PAL, JAP, US), et avait parfois acheté quatre ou cinq unités de bidules tels que le MultiMega, à un moment où il était bradé pour les achats en quantités, au cas où il y en aurait un qui tomberait en panne ! (sic). Le collectionneur n'a aucune limite et ne sera sans doute jamais heureux, car les centaines de pièces maîtresses de sa collection ne lui feront jamais oublier l'élément manquant qu'il recherche présentement en vain.
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Ceci étant dit, le stade d'évolution ultime du genre n'est à mon humble avis atteint que par les « Gemu Otaku » Japonais. Cette expression en Katakana désigne les fanatiques de jeux vidéo, qui, non seulement collectionnent tout ce qu'ils trouvent dans le genre (consoles, jeux, périphériques, produits dérivés, bornes d'arcade, cartes Jamma etc.), mais, en supplément, dissèquent les différents objets, pratiquent le reverse-engineering, décompilent les sources codes des différents jeux qui leur tombent sous la main et, enfin, ne manquent de lire aucun numéro de GameLabo (le magazine Japonais de référence pour les technicos). Les Gemu Otaku possèdent, certes, des collections impressionnantes mais ce n'est pas une fin en soi. Leur moteur c'est la soif de connaissances vidéoludiques. Ils acquièrent des objets seulement dans le but de les étudier, lisent sur la question, dialoguent avec d'autres Gemu Otaku sur le sujet par Internet. Aucun détail ne leur échappe : dans quels jeux telle ou telle technique est utilisée pour réaliser tel ou tel effet, le moteur 3D de quel autre ancien jeu est utilisé pour la conception d'un nouveau titre, ou des millions d'autres informations abstraites et absurdes aux yeux du commun des mortels, ou même de la vaste majorité des gamers.
L'industrie pourra toujours tenter de nous conditionner à coups de modes et de courants dominants, la pensée unique ne passera pas. L'humain n'est pas une machine rationnelle et son infinie nuance ouvrira toujours les voies vers des tendances marginales et passionnées non-calculées dans les stratégies marketing. Même confronté aux machines et aux jeux virtuels, l'être humain suit son coeur et ses sentiments, imprévisibles et irrationnels. Ce n'est pas parce qu'un spot publicitaire ordonne en boucle de passer à la nouvelle génération technologique, que tous les joueurs s'exécutent instantanément.