Si beaucoup d’entre nous n’ont pas connu cette période, on peut facilement jauger l’émotion qu’ont eu nos parents en découvrant la borne de Space Invaders en 1978. Le peu de couleurs ou l’absence de musique n’ont pas eu d’impact sur le plaisir provoqué par ces envahisseurs provenant du haut de l’écran et qu’il fallait détruire à l’aide de son petit aéronef. Ancêtre des shoot’em up, il a fait dépenser des sommes considérables aux joueurs d’alors (causant d’ailleurs une pénurie des pièces de 100 yens lors de sa sortie initiale au Japon). En effet, à l’époque, il suffisait d’une seule et unique erreur pour perdre une vie sur les trois, avant que ne s’affiche le Game Over. Pendant un bon moment, se frotter à n’importe quel jeu vidéo signifiait qu’il fallait se heurter à un vrai challenge.
À l’époque, le plaisir découlait de cette propension à surmonter ses propres limites. Dans les salles d’arcade, cette réalité était encore plus palpable car les développeurs faisaient en sorte que l’aventure soit suffisamment difficile pour que les joueurs remettent des crédits. Et puis, petit à petit, cette notion du « non droit à l’erreur » a évolué – notamment grâce à l’explosion du marché des consoles de salon et portables – pour se matérialiser sous la forme d’avatars pouvant résister à un certain nombre d’impact (barre de vie, barre de puissance, items, objets, véhicules…). Dans Alex Kidd in Miracle World, si un seul impact suffit à faire mourir le personnage, l’utilisation de la moto ou de l’hélicoptère lui donne le droit de subir un choc. Dans Castle of Illusion, Mickey possède une barre de vie qui lui permet de surmonter plusieurs coups ennemis. Sonic, quant à lui, ne craint rien tant qu’il possède des anneaux. De la même manière, Mario, en ingurgitant un champignon, devient plus grand, plus résistant et peut même – le cas échéant – accéder à des pouvoirs. Dans Donkey Kong Country, Rare a choisi de remplacer la barre de vie par la présence de Diddy pour une finalité identique. Au fil des années, l’absence du droit à l’erreur s’est estompée pour donner libre court à des avatars plus costauds.
Dans Doom, personne n’a oublié la barre de santé matérialisant le pourcentage et la face du héros qui s’amoche de plus en plus à mesure que le joueur subit des dégâts. Auparavant, les joueurs devaient apprendre à maîtriser entièrement les titres en faisant fi de la technique, des problèmes d’accessibilité ou d’ergonomie. Ce n’était vraiment pas simple et les développeurs ont vite compris qu’il fallait faire évoluer le média pour le rendre plus facile d’accès, tout en conservant le challenge d’origine. Dans Halo : Combat Evolved, le Master Chief possède un bouclier qui se regénère mais cette idée va aller encore plus loin avec la saga des Call of Duty qui va instaurer la régénérescence du héros. Ce concept, qui consiste à se planquer pour retrouver de la santé, va devenir incontournable à partir des années 2000. Cette situation va ainsi perdurer quelque temps jusqu'à environ la moitié de la génération PlayStation 3 / Xbox 360. Les moeurs ont alors évolué et une transition s'est opérée à cette période.
Il y a une dizaine d’années, on a ainsi vu arriver des titres… sans Game Over. On se souvient notamment de Prince of Persia en 2008 (avec des systèmes permettant au joueur de reprendre immédiatement à l’endroit du précédent échec) ou encore du premier Prey. La sanction du Game Over, se faisant moins importante dans le cadre de jeux plus narratifs ou avec plus d’exploration, a fini par s’estomper jusqu’à quasiment disparaître. Pour les joueurs de la première heure, on peut alors comprendre que la pilule a eu du mal à passer.