Du point de vue des beat’em up, Capcom semble peu intéressé par le marché console. Mais les jeux qu'il développe pour son système de jeux vidéo propriétaire (le CPS) pour borne d'arcade sont des succès que les fabricants de console veulent se vanter d'avoir dans leur ludothèque. Retrouver l'arcade à la maison est le grand rêve de l'époque. Plus d'une société extérieure, Nintendo et SEGA en tête, vont approcher Capcom afin d'obtenir les droits sur l'adaptation de tel ou tel titre. La marque fait vendre, peu importe si, ensuite, le jeu n'est plus capable d'afficher que 3 ennemis en même temps à l'écran, un seul personnage jouable, des couleurs ternes, et qu'il a été nécessaire d'opérer des coupes importantes sur le contenu d'origine. A côté de ça, les jeux pensés et développés de A à Z pour une console bien précise s'avèrent souvent être de meilleures alternatives.
C'est ainsi que SEGA va retourner une situation qui lui était, à l'origine, défavorable (la Super Nintendo avait Final Fight dans son catalogue) en concevant son propre clone de Final Fight. Streets of Rage est capable d'offrir un mode deux joueurs, d'afficher plein d'ennemis à l'écran, de proposer un contenu conséquent et des combats nerveux. Il est, en plus, doté de qualités propres que l'on ne cite plus (mais on va les citer quand même) : une bande son mythique, pouvoir passer dans le dos de son adversaire après l'avoir attrapé, pouvoir se récupérer après avoir été projeté en l'air ou projeter son adversaire après avoir été soi-même attrapé, pouvoir projeter son partenaire ou se propulser depuis son partenaire sur les adversaires... Lorsque Streets of Rage 2 arrive sur le marché en proposant en plus des graphismes de haute volée (pour une console 16 bits), des personnages vraiment différents à jouer (avec notamment Max, le "Haggar" de cette licence) et de nouvelles attaques, la Mega Drive devient LA console du beat'em up. Il faut comprendre que c'est alors un créneau majeur, au sommet de son âge d'or. C'est un peu comme aujourd'hui d'être LA console du RPG. Nintendo n'a pas envie de perdre cette course, et va logiquement se tourner à nouveau vers le maître du genre : Capcom. Mais cette fois-ci, ce sera pour un jeu développé exclusivement pour la Super Nintendo, le premier beat'em up de Capcom développé exclusivement pour une console, et pas n'importe quel beat'em up : La suite de Final Fight !
Final Fight premier du nom avait déjà été porté sur Super Nintendo, mais il s’agissait d’un très mauvais portage. Qu’à cela ne tienne, avec Final Fight 2, Nintendo ne pouvait pas trouver licence plus prestigieuse, concurrent plus alléchant à opposer à Streets of Rage. Malheureusement pour eux, Capcom va sortir un Final Fight 2 aussi technique que Final Fight 1… mais plus de 3 ans après la sortie du premier opus, le gameplay est complètement daté. Final Fight 2 est certes un titre aux graphismes tout à fait concurrentiels, avec de gros sprites assez impressionnants, mais beau ou pas, le titre est simplement ennuyeux. Et les clins d’œil à Street Fighter II n’y changent rien. Undercover Cops, sorti un an plus tôt sur le même support, l’enterre. Streets of Rage II aussi. La volonté de proposer l'expérience Final Fight sur console n'avait pas besoin d'être à ce point fidèle ! Dans la même foulée, ils proposent sur NES un titre du nom de Mighty Final Fight, un Final Fight version Super Deformed, dans le plus pur esprit de River City Ransom, le beat'em up phare de la NES. Comble de l'ironie, Mighty Final Fight va se trouver être un titre déjà plus complet que Final Fight 2. Mais en 1993, les regards ne sont plus tournés vers la petite 8 bits. Le géant japonais ne fait que montrer combien sa vision du marché console continue d'être faussée.
C’est peut-être, de fait, par esprit de revanche que Capcom sortira, en décembre 1995, à nouveau exclusivement pour la Super Nintendo, Final Fight 3, alors que la migration s’opère déjà vers les consoles Saturn et PlayStation, et que les joueurs sont tous en train de creuser la tombe du genre de la tape de rue. Final Fight 3 est sorti trop tard pour intéresser son public, mais il n’est pas trop tard pour s’intéresser à lui. Sans égaler les références des salles d’arcade, Final Fight 3 se pare d’une move list à faire pâlir n’importe lequel de ses concurrents consoles. Les personnages peuvent enfin courir, esquiver, faire des attaques spéciales, des super (en remplissant une jauge de super), ont autant de choppes qu’Axel et autre Blaze Fielding (et Haggard que Max)… Le gameplay à base de cancel et de manips tout droit tirées de Street Fighter 2 est facile à prendre en main et offre quelques jolies possibilités. En plus d’être beau et assez riche, avec une progression à embranchements et des mini-jeux (une marque de la série), il permet aussi à l’IA de contrôler le 2nd joueur (pour les solitaires). Une IA qui s’en sort remarquablement bien. Bon, elle sera hors-jeu dès le troisième stage (dans le dernier niveau de difficulté), mais l’effort mérite d’être salué.
Avec Final Fight 3, Capcom offre aux consoles 16 bits une nouvelle référence. C’était un peu tard, mais compte tenu des mornes années qui ont suivi, il a servi de madeleine de Proust à bien des passionnés de Beat’em up pendant un bon moment. J’en sais quelque chose.