Été 2001. Alors qu'une chaleur étouffante frappe la ville de Los Angeles, le salon de l'E3 bat son plein. A l'intérieur du Convention Center, une foule de journalistes se presse devant le stand d'Electronic Arts.

Trépignant d'impatience, les professionnels ne sont pas là pour découvrir les dernières itérations sportives de l'éditeur. En effet, si les FIFA et autres NHL sont présents, ils font bien pâle figure face à l'une des claques du salon : Medal of Honor : Allied Assault (Débarquement allié chez nous). Ce FPS, réalisé par le studio 2015 (ça ne s'invente pas), exploite le moteur de Quake III et retranscrit l'horreur de la guerre avec une authenticité d'une rare précision.

Mélange de fiction et de réalité, le titre d'EA fait sensation avec sa bande son signée Michael Giacchino et ses bruitages d'un réalisme saisissant. La reproduction virtuelle du débarquement du 6 juin 1944 est à couper le souffle ! Dans une barge menant à Omaha Beach, le joueur est affecté au 2ème bataillon de Rangers US, avec pour mission de survivre et de détruire les bunkers ennemis. Cette séquence, mémorable, va alors marquer l'univers des FPS comme jamais. Dès lors, plus rien ne sera plus comme avant...

Parqué avec ses compagnons d'armes dans une barge, le Lieutenant Powell assiste, impuissant, à l'avancée de l'embarcation. Alors que les bombes sifflent autour d'eux, une explosion retentit à quelques mètres de l'escadron. En jetant un œil à gauche, le soldat aperçoit des individus être éjectés comme de vulgaires papiers de chiffon. Soudain, l'engin touche le sable de Normandie et un coup de sifflet se fait entendre : l'heure est venue ! La porte blindée s'ouvre et en quelques secondes, le héros se retrouve sous le feu nourri de l'ennemi. Les rafales percent l'air tandis que ses camarades s'écroulent les uns après les autres. Dans ce fracas épouvantable, en vue à la première personne, le joueur se retrouve au cœur du conflit ! Les grenades explosent, les corps tombent, des militaires répliquent à coups de mitraillettes. La guerre, grandeur nature, apparaît de façon virtuelle sur les écrans.

Si Medal of Honor : Débarquement Allié a changé la donne, c'est aussi parce qu'il est passé maître dans l'art des scripts. Il fait partie de ces précurseurs, à la manière d'un Half Life, qui utilisent des routines d'intelligence artificielle pour apporter plus de vie à leur univers virtuel. Les soldats ennemis ne font pas n'importe quoi, les compagnons d'armes participent à l'effort de guerre, tout est fait pour que le joueur se sente épaulé. Les actions sont spectaculaires, la mise en scène est cinématographique et le son, digne des longs-métrages américains, donne l'illusion d'être au cœur d'un film. Á cette époque, au début des années 2000, le terme "blockbuster" n'est pas très répandu dans le domaine du jeu vidéo. En ce sens, Medal of Honor fait partie des premiers blockbusters. Et, ironie de l'histoire, il faut savoir que le mot "blockbuster" désigne, entre autres, la puissante bombe des forces armées anglaises et américaines durant la Seconde Guerre Mondiale. Un petit cours d'histoire, ça ne fait jamais de mal...

En lisant ces premières lignes, vous pensez peut-être que votre serviteur s'est ruiné au saké la veille et qu'il s'est totalement trompé de sujet. Parler de Medal of Honor alors qu'il s'agit d'un dossier dédié à Call of Duty, difficile d'y voir un quelconque rapprochement. Et pourtant...

2015 A L'ORÉE 2000

Le studio 2015, Inc. (twenty-fifteen) est une société de développement américaine. Basée en Oklahoma, la firme possède également une équipe dans le Nebraska. Fondée en 1997 par Tom Kudirka, 2015 s'est fait connaître en réalisant un mod spectaculaire pour Quake. Activision, impressionné par le talents des membres de l'équipe, leur offre l'opportunité de travailler sur une extension dédiée au jeu Sin, un FPS sorti en novembre 1998. L'add-on, intitulé Wages of Sin, surpasse les ventes du jeu original lors de son arrivée en février 1999. En septembre de la même année, 2015 embauche deux hommes : Jason West, développeur de son état, parvient à convaincre Vince Zampella, producteur, de rejoindre le studio. Ce duo ne le sait pas encore, mais il va bouleverser l'industrie du jeu vidéo...

En 1999, la société de Steven Spielberg, Dreamworks Interactive, lance sa branche jeu vidéo : DreamWorks Interactive. De ce studio naîtront deux titres canoniques sur PlayStation : Medal of Honor et sa suite, Medal of Honor Resistance. En dépit du succès critique et commercial des deux jeux, DreamWorks préfère se recentrer sur ses activités cinématographiques et ses films d'animation. DreamWorks Interactive est alors vendue à Electronic Arts durant l'année 2000. L'éditeur fusionne ce dernier avec Westwood Studios (les créateurs de Command & Conquer) et EA Pacific, donnant naissance à EA Los Angeles. Conscients qu'ils tiennent là une licence de grande qualité, les dirigeants d'EA décident de l'exploiter au maximum. Pendant que EA Los Angeles réalise Medal of Honor : Frontline (En Première Ligne) pour les consoles nouvelle génération, le studio 2015 se charge de Medal of Honor : Débarquement Allié, dédié exclusivement au PC.

Medal of Honor: Frontline

QUATRE GARÇONS DANS LE VENT

Pour 2015, l'offre est difficile à refuser mais le challenge est de taille. Réaliser un FPS qui soit digne du film "Il faut sauver le Soldat Ryan" n'est pas chose aisée. Quatre hommes vont alors se battre pour imposer leur vision : celle d'un jeu d'action qui n'ait rien à envier aux plus grosses productions de Hollywood. Pour réussir ce pari insensé, Tom Kudirka embauche des développeurs expérimentés et fait confiance à Grant Collier (producteur), Zied Rieke (designer), Vince Zampella et Jason West. A l'origine, les hautes instances d'EA souhaitent que le studio adapte Medal of Honor : En Première Ligne sur PC mais Zampella et West parviennent à les convaincre qu'il est préférable de réaliser un titre exclusif au PC. De cette manière, les créateurs n'ont pas à niveler les performances de leur production future par le bas. Au contraire, ils peuvent totalement exploiter la puissance du support PC. Grâce aux dernières routines de développement et à son équipe très talentueuse, 2015 Inc. reçoit les éloges de la presse spécialisée lors de l'annonce de Medal of Honor : Débarquement Allié. Début 2002, le jeu fait un carton lors de son arrivée dans les magasins.

Désormais sous le feu des projecteurs et bien conscients de leur potentiel, Vince Zampella et Jason West aspirent à une plus grande liberté. Seulement voilà, 2015 et Electronic Arts ne l'entendent pas vraiment de cette oreille. D'abord pressentis pour rejoindre EA Los Angeles, les deux hommes, ainsi que 20 membres de l'équipe (!) démissionnent de leur poste. Avec le soutien d'Activision (qui a bien senti le filon pour concurrencer EA), Vince Zampella et Jason West créent un nouveau studio : Infinity Ward.