Will O'Neil est par passion un auteur et un joueur canadien gagnant sa vie en travaillant dans la communication qui raconte un récit largement autobiographique dans Actual Sunlight, substituant à sa personne Evan Winter, un résident de Toronto souffrant du dos, en surpoids et dépressif visiblement chronique depuis son adolescence. C'est un trentenaire membre de la classe moyenne, employé d'une agence de communication qu'il hait de même que la société de consommation en général, sans réels amis, aigri par des années de malaise et de solitude, misanthrope et hanté par un désir de mort. Au cas où vous ne l'auriez pas saisi, Actual Sunlight n'est pas un titre à mettre entre toutes les mains, son contenu est dur, cru, sombre et dresse une ligne d'horizon bouchée par un mur de parpaings.

Au risque de passer pour un rustre dénué de sensibilité, je n'ai pas du tout apprécié Actual Sunlight. Ce qui semble être un cas unique ou fort peu répandu, qu'à cela ne tienne, j'assume. L'une des grandes forces du jeu indépendant est de s'affranchir des barrières du marketing, de briser les codes établis et de ne pas hésiter à se pencher sur des sujets profonds, l'existence, la philosophie, la mort, la famille ou dans le cas présent la dépression, bref des thèmes habituellement plutôt réservés à la littérature. Et c'est une chose dont on ne peut que se réjouir. D'autant plus que l'intérêt d'aborder ces thèmes via un média interactif, faute de vraiment encore pouvoir parler de "jeu", est de disposer d'outils qui impliquent le joueur, des choix, des interactions, une mise en scène ou des mécaniques qui permettent d'une façon ou d'une autre de lui faire partager une expérience, de le mettre dans les chaussures d'un autre, d'en faire un acteur plutôt qu'un lecteur ou un spectateur qui subit un récit. Une façon différente d'amener sa cible à ressentir des émotions. Précisément ce que Actual Sunlight ne fait pas.

Récit interactif ou essai illustré ?

Actual Sunlight est un récit composé d'une suite de pages que l'on ne tourne pas directement. Le seul contrôle que l'on a sur Evan permet d'aller d'un objet ou d'une personne à une autre et d'appuyer sur une touche pour lancer l'affichage du texte blanc sur fond noir. Ne cherchez pas de choix ou d'autres types d'interactions, il n'y en a aucune. Le jeu de Will O'Neil tient en vérité plus du visual novel qu'autre chose, une simple façon différente de proposer la lecture d'un carnet de bord personnel sans pour autant profiter réellement de l'interaction possible avec le joueur. Ce qui est une occasion manquée, du moins à mon sens, à ce compte-là autant simplement publier un essai si l'aspect graphique et interactif n'apporte rien à l'ensemble. Car même le traitement esthétique de Actual Sunlight ne sert aucun but artistique, développé avec RPGMaker, il a un aspect générique qui n'est finalement qu'une interface graphique reliant les pages entre elles. En attendant une version 3D sous Unity qui ne change pas vraiment la donne générale.

Un témoignage...

Reste donc la question du contenu que l'on appréciera à l'aune de sa propre subjectivité. Pour ma part, Actual Sunlight m'a paru la plupart du temps pontifiant, lourd, pesant et inutilement démonstratif. La dépression est une maladie qui revêt bien des formes et loin de moi l'idée de juger l'attitude ou les propos d'une personne qui en est victime. Mais malgré tout, la lecture des textes de Evan Winter, l'alias de Will O'Neil est pénible. Le traitement réservé au sujet est évidemment un témoignage, une démonstration des pensées qui le traversent, d'un délire dans lequel il s'entretient avec un médecin imaginaire, d'échanges verbaux ou textuels, de son dégoût de la société consumériste et des pseudos joies auxquelles il ne parvient pas à accéder, de son mépris des autres, de sa haine de tout qui naît de sa haine de lui-même. Ce qui se traduit par un flot constant de propos acides compréhensibles mais sans finesse, de réflexions philosophiques sur le monde qui ne prêtent pas vraiment à la réflexion justement. O'Neil prend le parti d'un témoignage brute et brutal, ponctué, il faut le reconnaître de quelques phrases percutantes, d'humour grinçant et d’aphorismes bien sentis (et une très bonne traduction française pour un jeu indé, au passage) que vous aurez l'impression d'avoir déjà entendus si vous avez croisé le chemin d'un dépressif chronique. Il manque à tout cela quelque chose qui élève le propos au-delà d'un simple carnet de bord de la haine et de la souffrance quotidienne répétant ad nauseam "je hais ma vie, je hais mon boulot, je hais le monde dans lequel je vis, pourquoi vivre si on meurt seul à la fin". La dépression a été maintes fois abordée dans la musique, la poésie, la littérature ou le cinéma, suffisamment pour montrer qu'on peut en faire autre chose de plus subtil, de moins abrupt qu'une simple transcription d'états d'âme.

Ajoutons en outre que pour lire une page de texte on se retrouve contraint d'appuyer 15, 20, 30 fois sur la touche Entrée pour afficher la suite des phrases souvent fragmentées parfois en simples mots pour apporter un peu d'emphase à certains passages. Le flux de lecture est constamment interrompu, c'est comme lire un bouquin avec un chat qui a décidé qu'il est l'heure de le caresser et qui s'obstine à mettre des coups de tête sur la couverture.