Vous aimez la légende du roi Arthur ? Le studio Neocore vous propose de la revivre, depuis son avènement après avoir tiré Excalibur de la pierre jusqu'à la conquête totale de la Bretagne. Le tout à travers un mélange de stratégie et de wargame qui n'est pas sans rappeler la formule des Total War, avec un zeste de jeu de rôle en prime.
Avec Crusaders : Thy Kingdom Come, son premier jeu, le studio Neocore nous avait emmenés au Proche-Orient pendant les Croisades. Sans être mauvais, le titre souffrait de la comparaison avec Medieval II : Total War, qui aujourd'hui encore fait figure de référence concernant cette période historique. Les développeurs vont pourtant persister dans cette voie avec Lionheart : King's Crusade, prévu pour le printemps 2010. En attendant ce troisième projet, intéressons-nous au second bébé du studio, King Arthur, qui est disponible depuis quelques semaines sur Steam, en langue anglaise, contre une quarantaine d'euros. Beaucoup plus riche et prenant que la précédente production de Neocore, ce jeu de stratégie/wargame imprégné du mythe arthurien se révèle étonnamment solide. The Creative Assembly peut trembler, il a trouvé un concurrent à sa mesure, capable de menacer son hégémonie sur le genre.
Difficile en effet de ne pas faire la comparaison avec la série Total War, tant les jeux partagent de points communs. Comme dans un TW, la campagne de King Arthur prend donc place sur une carte globale découpée en régions à conquérir. Ici, il s'agit logiquement de la Bretagne, pas le territoire français, mais bien le royaume légendaire du roi Arthur. Enfin le futur royaume, plutôt, puisque votre mission va justement consister à unifier le pays, alors morcelé en une multitude de provinces rivales dirigées par autant de princes. Même s'il est possible d'obtenir le ralliement de certains seigneurs sans user de violence, cette unification passe avant tout par la guerre. Vous devrez donc commencer par mouvoir vos armées sur la carte globale dans une phase de wargame en tour par tour. Un tour représente une saison, avec quelques subtilités : en été, les troupes se déplacent plus vite, tandis qu'en hiver elles ne peuvent pas bouger ni combattre. La saison froide est mise à profit pour faire évoluer les unités grâce à l'expérience accumulée au cours de l'année, un mécanisme qui n'est pas sans rappeler le jeu de rôle papier Pendragon. Hormis les mouvements de troupes, la phase wargame semble bien limitée au départ. En fait, elle s'enrichit considérablement après quelques heures de jeu, en particulier après l'obtention de la première forteresse, nous y reviendrons.
Pour l'instant, concentrons-nous sur la guerre. Lorsque votre armée rencontre celle d'un ennemi, la bataille s'engage. Comme dans un Total War, vous pouvez opter pour une résolution automatique du combat si le rapport de force vous est favorable. Une fonction bien pratique vous permet même de désigner quelles unités protéger, sachant que les autres seront plus exposées en compensation. Le principal intérêt du jeu reste toutefois de conduire soi-même ses hommes à la victoire, en les dirigeant directement dans des séquences de stratégie en temps réel. Au premier abord, les batailles semblent très classiques. Vous commencez par disposer vos unités dans une zone de déploiement, puis c'est parti. Tous les paramètres habituels sont là : influence du terrain sur les déplacements et la couverture, formations, accélération du temps, vitesse de marche et endurance... Même en pâtissant d'une grande infériorité numérique, il est donc possible de l'emporter en jouant intelligemment. En planquant une unité d'infanterie dans un bois pour tendre une embuscade par exemple, ou en positionnant des archers sur une colline pour faire pleuvoir des traits mortels sur l'armée adverse, ou en utilisant une charge de cavalerie à bon escient... Les possibilités tactiques sont nombreuses. Dommage que l'intelligence artificielle ne fasse pas preuve d'un grand génie, mais l'illusion est là.
Dit comme ça, les batailles ressemblent à une simple copie de celles des Total War. Mais ce serait oublier un paramètre essentiel : nous sommes en pleine Bretagne légendaire. Tandis que la série de The Creative Assembly se cantonne à un froid réalisme historique, King Arthur, lui, peut se lâcher en proposant de la magie ! Vos chevaliers, ou héros, disposent en effet de plusieurs pouvoirs à utiliser pour faire pencher la balance. Bonus passifs, sorts de soin, capacités offensives... Il y a de quoi faire. Mais la magie est aussi présente sur le champ de bataille, sous la forme de "victory locations". La possession de ces lieux stratégiques peut en effet vous conférer des pouvoirs spéciaux. Cette diversité est la source de combinaisons particulièrement sympathiques. Par exemple, si vous contrôlez un cercle de pierre, vous pourrez lancer une terrible tempête magique, empêchant tous les archers de tirer. Jetez alors votre sort "dragon's eye", permettant à vos troupes de ne pas subir les effets des conditions météo, et vous voilà avec un avantage décisif sur l'adversaire ! Notez qu'en plus d'accorder ces joyeux bonus, les "victory locations" influent également sur une jauge qui, arrivée à zéro, est synonyme de défaite. Leur possession est donc essentielle, ce qui pousse les joueurs à avancer au lieu de camper sur leurs positions en laissant l'ennemi venir. Un mécanisme plutôt à la mode dans les STR ces dernières années, qui permet d'éviter l'enlisement.
Une fois la bataille terminée, retour à la carte globale, sur laquelle vous allez pouvoir bichonner vos héros. En plus de gagner de l'expérience et donc des points dans plusieurs attributs et compétences, vos chevaliers méritants peuvent aussi être équipés d'objets magiques. Ils peuvent même se marier, comme dans King's Bounty, leur femme apportant alors divers bonus (et malus !). Notez que vous ne pourrez pas compter plus de douze héros à votre service, puisque c'est le nombre de places autour de la Table Ronde dans cette version du mythe. C'est d'ailleurs par le biais de l'interface "Table Ronde" que vous pourrez octroyer les terres gagnées à vos vassaux. Ces provinces produisent de l'or et de la nourriture, les deux ressources du jeu, qui servent ensuite à recruter des troupes et à payer leur entretien. L'aspect gestion semble d'abord limité, nous l'avons évoqué. Mais une fois en possession d'une forteresse, de nouvelles perspectives s'ouvriront à vous. Vous pourrez déjà construire des bâtiments accordant certains avantages. Vous aurez aussi accès à la chancellerie, qui permet de gérer l'imposition et de publier lois et décrets. Enfin, trois arbres technologiques se débloqueront, vous autorisant à effectuer des recherches dans les domaines militaire, économique et royal. Au final, une fois la partie bien avancée, le côté wargame du jeu se révèle d'une profondeur tout à fait satisfaisante.
Mais la meilleure partie de King Arthur est encore son aspect jeu de rôle, qui est loin de se limiter à quelques points de compétences et artefacts. Il s'agit avant tout du développement du scénario et de ses quêtes annexes. Concrètement, le jeu vous propose régulièrement des objectifs à accomplir, qui viennent se greffer sur la trame principale. Ces quêtes prennent souvent la forme de mini livres dont vous êtes le héros, déroulant de manière textuelle une petite histoire à choix multiples. De vos décisions dépendra la suite de votre épopée, les embranchements possibles étant nombreux. Malheureusement, le tout est un peu manichéen, vous laissant grosso modo le choix entre le bien et le mal. Le jeu inclut d'ailleurs un système d'alignement moral, entre tyran/juste d'une part, et entre le christianisme et l'ancienne foi d'autre part. De nouveaux sorts et unités vous seront accessibles selon votre place sur cette grande roue de la vertu. Outre cet aspect, la grande force du scénario et des quêtes est surtout de s'inscrire parfaitement dans le dense tissu des légendes arthuriennes. Si vous avez dévoré les récits de Chrétien de Troyes, si vous vénérez le film Excalibur de John Boorman, si les arcanes du mythe n'ont plus de secret pour vous, alors vous adorerez King Arthur. Vous y retrouverez tous les personnages et lieux qui constituent la "matière de Bretagne", depuis la Dame du Lac jusqu'à la forêt de Bedegraine. On sent que les développeurs ont vraiment une passion pour ce contexte, et qu'ils se sont attachés à le retranscrire le plus fidèlement possible.
Bref, King Arthur est une incontestable réussite. Seul le mode multi paraît un petit peu en retrait, n'offrant que des escarmouches entre deux joueurs. Il aurait été plus intéressant de pouvoir jouer la campagne à plusieurs, mais quand on voit que même le géant Empire Total War ne vient que de s'y mettre, neuf mois après sa sortie, il ne faut pas trop en demander à Neocore... Le studio a déjà abattu un travail colossal, et pas seulement en termes de gameplay. La réalisation est très convaincante, avec un moteur 3D mignon et des musiques envoûtantes. On pourra toujours pester contre les temps de chargements longuets, mais à part ça c'est un sans-faute. Au final, si vous êtes fan de stratégie et du mythe arthurien, ce King Arthur est une excellente pioche, qui laisse espérer de bien belles choses pour le futur. Il serait dommage de passer à côté.
- Graphismes15/20
Sans être aussi impressionnant qu'un Total War, King Arthur assure l'essentiel côté visuel. Certes, les animations des soldats pourront faire sourire si on zoome au cœur des combats, mais c'est un détail. Globalement c'est très propre, et la carte générale se paye le luxe d'être la plus jolie qu'il nous ait été donné de voir dans le genre.
- Jouabilité17/20
Le gameplay est un savant mélange de plusieurs genres, qui se révèle tellement digeste qu'on en redemande. Entre une phase wargame qui s'enrichit considérablement en possibilités après quelques heures, des batailles classiques mais sublimées par l'ajout de magie et le côté jeu de rôle pas si gadget que ça, King Arthur a de sacrés arguments à faire valoir. Reste quelques soucis d'IA, mais rien de rédhibitoire.
- Durée de vie16/20
La campagne est longue, et sa rejouabilité est excellente vu tous les embranchements possibles. Après ça, il reste encore des scénarios indépendants, ainsi qu'un mode multi malheureusement limité à des escarmouches entre deux joueurs.
- Bande son15/20
Les thèmes musicaux font la part belle aux percussions et aux mélodies d'inspiration celtique. C'est une franche réussite, on est immédiatement plongé dans l'ambiance des légendes arthuriennes. Le doublage anglais est de bonne facture. En revanche, la qualité et surtout la variété des effets sonores laissent encore à désirer, même si on note un certain progrès depuis Crusaders : Thy Kingdom Come.
- Scénario17/20
Le scénario s'appuie merveilleusement bien sur les nombreuses histoires qui brodent le mythe du roi Arthur et de la Bretagne légendaire. Les développeurs ont manifestement pris grand soin de ne pas trahir cette matière, mais au contraire de la retranscrire dans toute sa splendeur. De plus, le déroulement est non-linéaire, vous laissant fréquemment choisir entre de nombreuses options dont découleront des événements différents.
Sous son apparence de copie de Total War, King Arthur cache en fait des mécanismes inédits et d'une profondeur insoupçonnée. Empruntant tour à tour au wargame, à la stratégie et au jeu de rôle, avec son système de quêtes bien fichu et sa gestion de l'alignement, le nouveau titre de Neocore se révèle particulièrement prenant. Pour ne rien gâcher, il bénéficie d'une réalisation solide et d'un suivi exemplaire. Bref, il ne manque pas grand-chose à King Arthur pour devenir une référence du genre. Espérons qu'un éditeur daigne se pencher sur son cas pour le localiser en français.