Chère maman, tout d'abord merci pour les chocolats au kirsh que tu m'as envoyés, même si je n'aime pas le kirsh c'était gentil quand même. Mon apprentissage se déroule parfaitement et je m'entends assez bien avec mes camarades stylistes. Je dois toutefois admettre que le fait d'être un garçon dans cette école prévue pour les filles me pose quelques problèmes d'adaptation et que j'en ai un peu marre qu'on accorde toujours les phrases au féminin quand on me parle. Enfin, c'est comme ça, je fais avec. Cette école a un fonctionnement assez simple et je suis bien contente, pardon content d'avoir été accepté. Je vais t'expliquer un peu. A chaque mois correspond une tendance et nous avons commencé l'année par la tendance ethnique (et là on vient de commencer le streetwear mais je trouve ça craignos, LOL), c'est ensuite à nous de planifier notre emploi du temps pour chaque semaine entre stylisme, maquillage et coiffure, séance photos afin d'alimenter notre book et surtout les défilés qui nous préparent aux épreuves mensuelles. Pour les réussir, il nous faut obtenir des notes correctes dans chacun des ateliers avant de faire défiler nos mannequins. La pression est dure à soutenir mais je tiendrai le coup, promis maman. Même si parfois, l'ambiance qui règne ici me donne le sentiment d'être dans un épisode de Un Dos Tres (d'ailleurs, tu n'oublies pas de me les enregistrer, hein ?).

Voilà comment les choses se passent dans les ateliers. Mon favori c'est le stylisme, en fait c'est le seul pour lequel je sois doué, à part la photo. Tout se fait sur ordinateur, on appelle ça de la "réalité virtuelle", c'est nouveau et ça va cartonner dans les années à venir. On voit donc notre mannequin et on peut l'habiller en choisissant différents types de vêtements qui doivent concorder avec le thème du mois, du top aux chaussures sans oublier le sac à main ou le chapeau. Ensuite, on choisit ses couleurs, les imprimés ou les motifs. Evidemment, si on habille le mannequin avec un baggy et un cache-coeur croisé, non seulement c'est moche mais en plus on récolte une mauvaise note. Et si on souhaite disposer de plus de vêtements, il faut répondre à un questionnaire chez monsieur Mac Allister, une sorte de vieux beau qui me fait un peu peur.

Pour ce qui est du maquillage et de la coiffure, là, on nous impose tout, je suis un peu déçu, quoique, vu mon talent, il est sans doute préférable que l'atelier ne consiste qu'à reproduire une image de référence, ça m'évite de commettre des attentats contre l'esthétique. N'empêche, ce n'est pas très intéressant tout ça. En plus, je soupçonne les profs d'être partiaux. L'autre jour, j'ai répété 3 fois la même séance sans rien changer à ce que j'avais fait la première fois et ma note a soudainement augmenté d'un point. Je commence à croire que Mac Allister a des vues sur moi et qu'il essaie de s'attirer mes faveurs en tronquant mes notes. J'en ai froid dans le dos. Dis tout de même à papa de ne pas s'en faire à ce sujet, je sais me défendre et j'ai arrêté de me raser, histoire qu'il n'oublie pas à qui il a affaire...

L'étape suivante, même si on peut en fait organiser la semaine comme on le désire, est la prise de photos. Là aussi il faut veiller à bien choisir son décor mais la liberté que l'on nous accorde est toute relative, c'est le prof qui nous dicte quel cadrage on doit adopter pour chaque photo et les filtres de lumières utilisables ne sont pas très nombreux. En plus, ils ne comprennent rien à mon art pictural et m'obligent à faire de la soupe pour magazines de papier glacé. Je pensais au moins pouvoir m'épanouir dans les défilés mais là aussi, tout nous est dicté. Avec ce système de "réalité virtuelle", on peut contrôler la démarche du mannequin sur le podium, il faut veiller à marcher droit et appuyer sur des touches au bon moment pour qu'elle prenne des poses en bout de course. C'est franchement nul.

En fait, quand j'y pense ma petite maman, je commence à avoir des doutes sur l'intérêt de cette école, si le stylisme nous laisse une petite part de liberté, le reste ne consiste qu'à suivre des consignes trop strictes qui limitent vraiment notre créativité. Ah, j'enrage, j'ai tant de choses à offrir au monde de la mode (je travaille toujours à mon projet d'un ensemble pantacourt vert avec bottillons oranges et veste Adidas rouge vintage 80's). Pour vaincre mon ennui et tenter de me changer les idées, j'ai essayé de me pencher sur les étranges évènements qui se produisent en ce moment dans le bâtiment. Par exemple, on a retrouvé des créations détruites et l'autre jour, Steeve (c'est un acteur Steeve et lui aussi je crois qu'il a flashé sur moi, ça devient pénible qu'on me confonde toujours avec les autres étudiantes) a reçu un projectile en pleine figure. Tout le monde en fait toute une histoire ici alors j'ai essayé de poser des questions en allant d'une pièce à une autre. C'est d'ailleurs comme ça que j'ai réalisé à quel point je me déplace lentement depuis que je suis arrivé, j'en arriverais presque à me mettre des claques toute seule... tout seul pardon. Bref, d'après ce que j'ai compris, l'école se situerait dans les locaux d'une ancienne maison de haute-couture et cela pourrait avoir un lien avec les faits dont je te parlais. Mouais, à la rigueur j'aurais préféré que l'école ait été construite sur un ancien cimetière indien, parce que là, ce n'est pas très palpitant. Du coup, ces moments au cours desquels je m'interroge sur cette soit-disant sombre histoire me semblent encore plus ennuyeux que le travail en atelier. En fait maman, c'est en t'écrivant ces quelques lignes épistolaires que j'en prends conscience mais, ce n'est vraiment pas terrible ici et je pense que je vais abandonner. J'ai cru les premiers temps que ce que je faisais avait de l'intérêt mais 90 % de nos activités sont strictement dictées par des consignes. Maman, je pense que je vais quitter cette académie et retourner à la clinique vétérinaire avec Léa, là-bas au moins, on me parle comme à un garçon. Dis à papa que je lui fais de gros poutous.