George Stobbart est un homme comme on en voit peu. Mélange de Clark Kent, d'Indiana Jones et de Jim Carrey, cet aventurier du pauvre a tout connu, tout vu et tout subi depuis sa première apparition sur PC il y a de cela quelques années. Si on pensait que Charles Cecil aurait laissé reposer sa créature après un dernier épisode on ne peut plus décevant, il n'en fut rien. Ainsi, notre trublion américain, toujours aussi "3Disé", revient avec la ferme intention de vous décrocher quelques éclats de rire dont il est le seul à connaître les secrets de fabrication. Tremblez chèvres irlandaises, frémissez caisses en bois, George est de retour et cette fois et il n'est vraiment pas content.
Faut-il nécessairement détruire ce qui a été créé pour reconstruire par-dessus ? Que valent des mécanismes prétendument usés face à la technologie qui évolue sans cesse ? Doit-on privilégier une approche plus moderne du genre Aventure à celle qui a fait les beaux jours de Lucasarts, Delphine Software ou Lankhor ? Si Charles Cecil s'est, semble-t-il, poser des questions similaires lors de la réalisation du troisième épisode des Chevaliers De Baphomet, le résultat est là : George Stobbart est immortel, sa vision du monde unique en son genre mais son univers continue de tomber en décrépitude. Diantre, que voilà une entrée en matière pour le moins tranchée. Certes, je vous accorde cette remarque de bon aloi mais par respect pour cette série de légende qu'est Broken Sword, je préfère opter derechef pour une franchise absolue dont découlent bien des désillusions engendrées par la version preview des Chevaliers de Baphomet : Les Gardiens Du Temple De Salomon. Est-ce à dire que la dernière itération aventureuse de notre américain goguenard préféré est à oublier avant même d'avoir eu la moindre pensée pour cette dernière ? S'il est encore trop tôt pour l'affirmer (ou l'infirmer), disons que cette première prise de contact aura soulevé bien des interrogations frémissantes quant à la version finale qui arrivera sur PC dans quelques semaines à peine.
Et si Moïse avait créé une arme ? Une arme si puissante que les rois égyptiens furent obligés de capituler devant sa toute puissance ? Et si le potentiel destructeur de cette arme avait pu permettre à son propriétaire de tuer avec discernement ou au contraire de se mesurer à Dieu lui-même, d'arracher les ailes des anges et d'ouvrir les portes du Paradis pour en opacifier la moindre parcelle de pureté, de lumière ? Voici donc dans ses grandes lignes, le pitch de départ du nouveau Broken Sword auquel on rajoutera un mystérieux manuscrit renfermant l'endroit où se trouve le bien de Moïse. Retour dans le présent, à New-York plus exactement. Un homme, l'air décontracté, entre dans une pièce et lance une remarque cinglante à son ami en usant de tout son flegme américain. En une réplique, George refait surface, tout comme son formidable interprète français, l'inégalable Emmanuel Curtil qui apporte depuis le tout premier épisode un charme délectable à notre trublion en goguette. D'emblée, nous pouvons donc être rassurés sur trois points : 1/ le doublage français est une fois encore excellent (et ceci se confirme par la suite), 2/ l'humour de la série est autant présent que dans les deux premiers volets de la saga (ne serait-ce que par des dialogues savoureux) et 3/ George est égal à lui-même : sarcastique, détestable par moments mais toujours prêt à aider une belle demoiselle en détresse. Et justement, aussitôt les embrassades chaleureuses avec notre vieil ami terminées qu'une certaine Anna Maria arrive en trombe poursuivie par une horde de gougnafiers qui ne lui veulent pas que du bien. A peine le temps de faire connaissance qu'il est déjà temps de réfléchir au moyen de s'échapper de l'immeuble où notre couple improvisé est enfermé. La grande aventure débute non sans avoir apporté avec elle moult surprises, mauvaises la plupart du temps.
Tout d'abord, Charles Cecil s'entête et signe à nouveau un épisode en trois dimensions. Le choix est plus que discutable dans le sens où celui-ci n'apporte strictement rien à l'aventure si ce n'est la possibilité d'inclure quelques énigmes à base d'éléments à pousser. A priori, ces énigmes "Tomb Raideresques" semblent moins présentes que dans le manuscrit de Voynich (alléluia) mais n'ont pas complètement déserté l'esprit de Charles. De plus, si on s'attarde sur la réalisation technique, on remarque, entre deux traces de tearing, qu'hormis une modélisation des personnages plus détaillée, le jeu n'a pas énormément évolué. Les décors restent vides et à des années lumière de ce qui se fait de mieux aujourd'hui. Encore une bonne raison de pleurer à chaudes larmes en pensant à ce qu'aurait pu donner cet opus avec des graphismes 2D à la Runaway 2 : The Dream Of The Turtle. Malheureusement, le sieur Cecil est convaincu du bien fondé de sa démarche et cela ne devrait pas s'améliorer avec le temps. Le problème est que Revolution Software a beaucoup de mal avec tout ce qu'implique un jeu à volumes, comme la gestion des angles de caméra notamment. Les Gardiens De Salomon ne fait pas exception à la règle et si la jouabilité repose sur un système simple et agréable (une barre des tâches, des icônes d'interaction et un déplacement au clavier ou à la souris), le joueur n'obtient jamais le confort qu'il est en droit d'attendre.
Une autre interrogation nous titillant les zygomatiques concerne les différences entre la version preview et finale. Et là, autant dire, qu'on peut commencer à se faire du souci. En effet, si la mouture envoyée par THQ bénéficiait déjà du doublage français, inutile de se voiler la face sur les problèmes émaillant le jeu. Outre les ennuis de caméra cités plus avant, nous avons eu droit à des ralentissements innommables (le plus incroyable étant celui du curseur qui bouge à la vitesse d'un pachyderme), des cinématiques hasardeuses (avec des plans de caméra incompréhensibles) et des bugs sonores (George parlant parfois avec une voix différente). A ceci on précisera que le jeu est actuellement beaucoup trop sombre, ceci nous empêchant de voir certains éléments essentiels à la résolution d'énigmes. D'ailleurs, on pestera aussi contre le fait qu'il faille souvent positionner précisément le curseur sur tel ou tel objet à actionner pour se rendre compte de sa présence. Ensuite, je vous avouerai que j'ai eu beaucoup de mal avec plusieurs énigmes passablement illogiques. Pour prendre un exemple citons celle de l'horloge que nous ne pouvons approcher sous peine d'être réprimandés par le tenancier d'un hôtel se trouvant à deux mètres de l'objet. Ok, n'y touchons plus dans ce cas. Seulement voilà, quelques minutes plus tard, il convient de poser un termite sur ladite horloge puis d'aller parler au propriétaire afin d'attirer son attention. Bizarre, vous avez dit bizarre ? Bien entendu, on peut aussi mettre en doute mon incapacité à résoudre telle ou telle devinette mais avouez que l'énigme décrite ci-dessus a de quoi décontenancer l'aventurier le plus blasé.
Pourtant, malgré les tares énoncées plus avant, on veut et on peut encore y croire, même si l'ombre menaçante de Voynich plane au-dessus des gardiens du temple de Salomon. Oui, l'aspect technique est à la ramasse mais d'un autre côté le scénario semble prometteur avec des dialogues très bien écrits. George Stobbart manie toujours aussi bien l'ironie et c'est un plaisir que d'assister à ce défilement de sales trognes qui donnent l'impression d'avoir voué leur existence entière à notre tourment. En somme si la machine fonctionne, les engrenages sont un peu rouillés et ont bien besoin d'être huilés. De plus, si le fait de retrouver Nico devrait apporter son lot de situations abracadabrantesques, on espère que la construction de ce Baphomet sera plus inspirée de celle du précédent volet qui avait un peu perdu de vue au fil de la progression son principal objectif : attiser cette petite étincelle dans l'oeil du joueur désireux de s'adonner au noble art qu'est celui de la réflexion. La balle est dans ton camp Charles, tu nous as déjà tant fait rêver que nous t'accordons le bénéfice du doute jusqu'au 15 septembre prochain.